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Dialogue et rhétorique : autour de Platon, Quintilien et Lucien (Collège Sévigné, Paris)

Dialogue et rhétorique : autour de Platon, Quintilien et Lucien (Collège Sévigné, Paris)

Publié le par Université de Lausanne (Source : JP De Giorgio)

Journée d’agrégation

"Dialogue et rhétorique : autour de Platon, Quintilien et Lucien"

Programme Dialogos (Université Blaise Pascal / Celis),

(en partenariat avec le Collège Sévigné et La Vie des Classiques – Les Belles Lettres)

Vendredi 12 février 2016 de 9H30 à 15H30,

Collège Sévigné

251 rue Saint-Jacques, 75005 Paris
Entrée libre et gratuite.

 

Accueil dès 9H30

10h Frédéric Cossuta (UPEC / céditec) : Sur la forme dialogue dans le Gorgias.
10h45 Anne Balansard (AMU / CPAF) : Le dialogue n'est pas une question de forme.
11h30 Pause café
11h45 Pierre Ponchon (UBP / Phier) et Stéphane Marchand (ENS Lyon) : De Gorgias au Gorgias : à qui le logos appartient-il ?

14h Anne-Marie Ozanam (Henri 4) : Le dialogue lucianesque, entre comédie et philosophie.
14h45 Anne-Marie Favreau (UBP / Celis) : La satire des philosophes chez Lucien, entre dialectique, antilogie et mimesis.

15h30 Conclusions
 

Organisateurs : Anne-Marie Favreau Linder et  Jean-Pierre De Giorgio

Définir le dialogue comme l’enfant de la philosophie est une construction historiographique courante dans l’Antiquité. Le Syrien, personnage-masque de Lucien de Samosate, dans La double accusation, est justement accusé par Rhétorique de l’avoir abandonnée pour Dialogue, « ce barbu, cet homme au manteau » et d’avoir restreint la liberté des discours pour s’enfermer dans des « questions brèves et hachées », créant un tissu de « courtes phrases », ne parlant que « par syllabes », recueillant pour finir de l’auditoire non des applaudissements mais un hochement de tête, un salut, un sourire. Ces quelques traits identifient sans ambiguïté Dialogue avec le dialogue socratique, dans sa version platonicienne la plus familière et la plus stéréotypée. L’opposition entre rhétorique et dialogue ne date pas de Lucien et déjà, dans les milieux socratiques du IVe siècle av. J.-C., les rhéteurs sont fréquemment pris à partie dans les dialogoi. Le désaccord porte autant sur les implications éthiques et épistémologiques de l’usage du logos que sur la forme à lui donner et les conditions de sa pratique. Le Gorgias est un des témoins de cette opposition très vive entre rhétorique et philosophie : Platon y construit le genre du dialogue dans le processus même de sa confrontation avec les pratiques discursives du rhéteur ou de l’orateur. L’opposition entre discours en public et dialogue y devient fondamentale : Socrate refuse le discours long de la rhétorique et défend le dialogue qui seul permet de mettre en œuvre une véritable recherche de la connaissance et de la vérité, parce que cette recherche exige une forme dialectique.

Mais la relation entre les deux domaines n’a pas toujours été pensée en termes d’opposition : chez Cicéron, le dialogue peut être un lieu de complémentarité entre philosophie et rhétorique, comme l’avait montré A. Michel. Dans les Tusculanes 4, par exemple, Cicéron-personnage interroge son interlocuteur sur les modalités de leur échange : faut-il hisser les voiles du discours oratoire pour répondre à la question posée ou ramera-t-on un peu à la manière des dialecticiens ? Les interlocuteurs s’accordent sur l’intérêt de mêler les deux pratiques. De fait, à côté du dialogue portant sur des sujets philosophiques ou politiques, l’usage de la « forme-dialogue » ou plus simplement de la parole adressée s’observe également dans les ouvrages pédagogiques qui se donnent pour but de transmettre le savoir rhétorique à de plus jeunes étudiants (par exemple les questions/réponses dans les partitiones oratoriae de Cicéron)

L’antagonisme entre dialogue philosophique et rhétorique doit donc être nuancé. Qu’en est-il sur le plan de la théorisation du dialogue ? A première vue, la rhétorique n’a guère pensé le dialogue comme genre. Faut-il dès lors aller, comme le fait Laurent Pernot dans « Un rendez-vous manqué » (1993), jusqu’à dire que c’est dans les milieux philosophiques que s’est essentiellement développée non seulement la pratique littéraire du dialogue mais aussi sa théorie ? Les travaux de P. Chiron (« Le dialogue entre dialogue et rhétorique », 2003) invitent à infléchir cette conclusion, en notant la perméabilité entre réflexion philosophique et réflexion rhétorique sur la question et en montrant que les traités de rhétorique rendent compte d’une part du dialogue comme forme littéraire et d’autre part du mécanisme dialogique, pensé comme modalité ou figure. Le Ps.-Démétrios de Phalère isole ainsi un certain nombre de caractéristiques stylistiques du dialogue qui l’opposent à la prose oratoire ou historique. Entre autres, Quintilien, auteur de l’Institution oratoire, identifie quant à lui parfaitement, avec la sermocinatio, la figure du dialogisme, insérable dans un discours continu pour obtenir, entre autres, un effet de vivacité (d’autres auteurs de traités, dont l’anonyme du Traité du sublime ont par ailleurs identifié une figure semblable). La rhétorique et ses traités ont manifestement été des espaces où a pu se penser la « fabrique » du dialogue, à la fois genre littéraire, modalité et figure du discours.

Trois auteurs représentés au programme d’agrégation de lettres classiques de la session 2016 illustrent la complexité des relations entretenues entre le dialogue (entendu non seulement comme genre mais aussi comme modalité discursive) et la rhétorique : l’opposition est vive dans le Gorgias de Platon mais les maîtres de rhétorique en Grèce et à Rome n’ont pas sous-estimé l’intérêt du dialogue, qu’il soit compris comme forme littéraire dont Platon est le modèle incontesté, comme figure ou comme modalité discursive à visée pédagogique : le regard de Quintilien sur le dialogue comme genre ou comme figure, voire comme procédé didactique suggère les relations complémentaires entretenues entre les deux. La seconde sophistique réactive la tension entre rhétorique et philosophie avec des intellectuels qui conjuguent les deux identités et brouillent les frontières entre les deux domaines. Lucien, qui fut un sophiste brillant mais iconoclaste, en témoigne de manière particulièrement remarquable parce qu’il pense cette tension dans la poétique même de son oeuvre. Maître de l’hybridation, il remodèle le dialogue, forme philosophique, en l’associant à d’autres genres, notamment la comédie. Sa relation avec la rhétorique reste cependant, à divers titres, un élément structurant de sa propre définition.