Questions de société

" Devenir chercheur en Espagne : le parcours du combattant !", par A. Habane

Publié le par Marc Escola (Source : SLU)

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Devenir chercheur en Espagne : le parcours du combattant !


Un des défauts majeurs du système de recherche espagnol est la difficulté pour les chercheurs à trouver un poste fixe une fois la thèse terminée. Certains chercheurs font remarquer amèrement qu'un doctorant espagnol ayant fini sa thèse, pourra ne trouver un poste fixe qu'à 40 ans. En effet, les chercheurs espagnols ont tendance à enchaîner CDD sur CDD, en attente du poste de leur rêve. A leur disposition, deux grands programmes de CDD proposés par le Ministère de la Science et de l'Innovation (Ministerio de Ciencia e Innovación -MICINN [1]) : le programme "Juan de la Cierva" pour une durée de trois ans ou bien le programme "Ramón y Cajal" pour cinq années. Les bénéficiaires mènent alors des recherches dans des centres publics ou privés de R&D (universités, organismes publiques de recherche, centres technologiques). Ces derniers doivent avoir postulé au préalable à l'appel d'offres du MICINN pour obtenir des postes de recherche cofinancés. Faisons remarquer au passage, la disparité de l'offre pourvue à l'échelle du territoire espagnol. L'Université d'Oviedo par exemple, n'a couvert en 2008 que 3 postes sur les 11 offerts tandis que d'autres centres de recherche très prisés n'ont aucun mal à recruter. Ces deux programmes ouverts aussi aux chercheurs du monde entier, quelle que soit leur nationalité, peuvent éventuellement intéresser de jeunes docteurs français : toute l'information pratique est sur le site du MICINN [2,3].

Le programme "Juan de la Cierva", du nom de l'inventeur de l'autogire dans les années vingt, est un contrat de recherche de trois ans pour de jeunes chercheurs ayant terminé leur doctorat depuis moins de trois ans. L'appel d'offres de 2008 proposait 345 bourses. L'aide du MICINN pour chaque contrat est de 33 660 euros par an, sur trois ans.

Le programme "Ramón y Cajal" du nom de l'histologiste espagnol Santiago Ramón y Cajal, Prix Nobel de physiologie et de médecine en 1906, est le programme phare du gouvernement. Lancé en 2001, ce contrat de travail a pour but de favoriser le retour de chercheurs espagnols de haut niveau basés à l'étranger et tente de remédier à la fuite des cerveaux espagnols encore présents sur le territoire national. Ce programme s'intègre dans une démarche de consolidation de la politique de R&D espagnole, notamment par le biais d'un financement attractif, d'un montant minimum de 33 250 euros par an sur cinq ans. Le MICINN gère ce programme de bourse et prend conjointement en charge le financement de la bourse avec le centre de recherche offrant le poste. L'aide inclut 15.000 euros pour la mise en marche de la recherche. Les chercheurs doivent être en possession du doctorat depuis moins de 10 ans. Le chercheur doit :
- soit posséder une expérience d'au moins 24 mois au sein d'un centre de R&D, différent de celui qu'il veut intégrer au moyen du programme "Ramón y Cajal" ;
- soit avoir étudié intégralement et obtenu le doctorat dans une université étrangère et y avoir passé au moins 24 mois.

Le dernier appel d'offres du programme de bourses "Ramón y Cajal" de 2008, concernait 245 offres de bourses. Les demandes sont évaluées par la commission d'évaluation de l'Agence Nationale d'Evaluation et Prospective (Agencia Nacional de Evaluación y Prospectiva - ANEP) formée d'experts espagnols et étrangers.

Le programme "Ramón y Cajal" s'est initialement imposé comme porteur de beaucoup d'espoir pour les chercheurs bénéficiaires car on avait laissé entendre aux premiers bénéficiaires de ce contrat qu'ils obtiendraient un poste en contrat à durée indéterminé. Ces espoirs ont cependant rapidement laissé place à la désillusion car sur le terrain, la réalité est différente. L'idée s'inspirait du modèle "tenure track" c'est-à-dire la titularisation conditionnelle, à la suite d'une évaluation positive du chercheur. Cinq ans après, une fois leur contrat terminé, un certain nombre de chercheurs "Ramón y Cajal" de la première vague n'a pas eu de propositions de poste à long terme.

La presse a rapporté de nombreux témoignages de chercheurs, désillusionnés par le manque de perspectives ou critiques face à leur statut. La revue internationale "Nature" avait durement critiqué en 2006 le manque de planification de l'Espagne en matière scientifique car au bout des cinq années de recherche, il n'y a pas d'issue concrète pour ces chercheurs. Certains d'entre eux, se sont regroupés dans l'Asociación Nacional de Investigadores Ramón y Cajal (ANIRC) créée en 2003. Cette association sert de plateforme d'informations et de protection des droits de ces chercheurs ainsi que d'interlocuteur auprès des institutions concernées. L'ANIRC donne l'exemple de l'Universidad de Extramadura qui n'a recruté aucun de ses 6 chercheurs "Ramón y Cajal" arrivés en fin de contrat. L'Universidad Pública de Navarra a stabilisé seulement un de ses huit chercheurs "Ramón y Cajal". L'association estime que près de 80 chercheurs "Ramón y Cajal" (30 au Consejo Superior de Investigaciones Científicas CSIC, 40 au sein des universités et le reste dans des organismes publics de recherche) sont dans une situation professionnelle critique, ne sachant pas s'ils vont être gardés ou non dans la structure d'accueil. Toutefois, notons que si la première génération "Ramón y Cajal" a pu être lésée en ce qui concerne la gestion du manque de postes, la seconde génération peut se réjouir que le MICINN ait écrit noir sur blanc dans les appels d'offres de 2007 et 2008, que les centres de R&D accueillant ces chercheurs doivent créer avant la fin de leur contrat des postes permanents même si cela ne sera effectif qu'en 2012 et 2013.

De même, les chercheurs organisés dans la Fédération des Jeunes Chercheurs - Précaires (Federación de Jóvenes Investigadores- Precarios) dénoncent la précarité du statut de chercheurs. La Fédération signale aussi l'endogamie du système de recherche espagnol qui tend à l'autorecrutement. En 2006, seulement 5,4% des postes de professeurs fonctionnaires des universités espagnoles avaient été pourvus par des candidats externes alors que ce pourcentage est de 83% au Royaume-Uni et de 50% en France.

Pour conclure, le programme "Ramón y Cajal" constitue un bon outil d'attractivité pour le système espagnol de R&D qui a besoin d'incorporer des chercheurs de qualité. Cet objectif a été atteint puisque le MICINN vient de clôturer le 8ème appel d'offres. Cependant, le processus d'intégration des chercheurs dans les centres de recherche reste certainement à améliorer ainsi que les modalités de recrutement.


Rédacteur :   
Anissa Habane, anissa.habane@sst-bcn.com




Pour en savoir plus, contacts :  
- [1] Le Ministerio de Ciencia e Innovación (MICINN) dirigé par la ministre Cristina Garmendia est un des nouveaux ministères crées lors de la seconde législature du gouvernement de M. Zapatero. Web : http://www.micinn.es/
- [2] Le programme "Juan de la Cierva" : http://redirectix.bulletins-electroniques.com/a2ZL7
- [3] Programme "Ramón y Cajal" : http://redirectix.bulletins-electroniques.com/hFO8a
Code brève
ADIT : 56432

Source : 
- La Nueva España, 10/09/2008.
- ADN, 16/06/2008
- La Voz de Asturias, 01/06/2003.
- El Mundo, 10/10/2006.
- Asociación Nacional de Investigadores Ramón y Cajal (ANIRC) - http://centauro.ii.uam.es/twiki-cgi-bin/view/Cajal/WebHome
- Federación de Jóvenes Investigadores- Precarios - http://www.precarios.org/