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De la théorie à l'action. Les savoirs et leur mise en oeuvre au siècle des Lumières

De la théorie à l'action. Les savoirs et leur mise en oeuvre au siècle des Lumières

Publié le par Florian Pennanech (Source : Valérie Kobi)

A. Neuchâtel, Centre d'excellence sur le XVIIIème siècle.

Neuchâtel est une ancienne principauté dont le roi de Prusse fut le souverain après 1707. La région possède un patrimoine du XVIIIème siècle d'une richesse exceptionnelle, qui est reconnue dans le monde entier. La Bibliothèque universitaire possède la plus grande collection de manuscrits laissés par Jean Jacques Rousseau ; les archives de la Société typographique de Neuchâtel ont motivé les plus importantes enquêtes sur l'histoire du livre au siècle des Lumières durant ces trente dernières années. Enfin, la Bibliothèque des Pasteurs, fondée à la Renaissance, conserve une vaste collection de périodiques scientifiques publiés dans toute l'Europe de 1650 à 1815. A l'Université, plusieurs titulaires de chaires en histoire, en histoire de l'art, en littérature initient les étudiants/tes au Siècle des Lumières, et conduisent des recherches dans ce champ. Le programme doctoral interdisciplinaire Archives des Lumières (2001-6), mené conjointement avec les universités de Lausanne et de Genève, a réuni des jeunes chercheurs/euses des trois hautes écoles, pour former une véritable haute école de chercheurs/euses.

B. Sujet.

« De la théorie à l'action. Les savoirs et leur mise en jeu au siècle des Lumières. »

La mise en oeuvre de la pensée des Lumières a constitué, depuis cinquante ans, une pièce centrale des discussions sur les origines de la modernité. Avec la Dialektik der Aufklärung (1947) de Max Horkheimer et Theodor Adorno, l'époque des Lumières est accusée d'avoir engendré le totalitarisme moderne, par la glorification excessive du pouvoir de la Raison.[1] Plus récemment, un courant conservateur tente d'inviter à l‘abandon pur et simple des idéaux nés des Lumières, ou à souligner la distance qui nous sépare de cette époque qui ne serait plus une période fondatrice de la nôtre, mais un passé que la pensée contemporaine devrait congédier.[2] De manière plus convaincante, Reinhard Koselleck qualifie la période de « Sattelzeit » (« le seuil d'une époque, ou littéralement, « une époque-selle »), parce qu'elle acquiert la conscience de sa nature profonde comme ère de transition, et parce qu'elle forge un sens nouveau aux idées de progrès, de mouvement et d'histoire. Au désir de perpétuer ou de rajeunir la tradition, succède ce que Koselleck nomme « l'horizon d'attente », soit la conception d'un futur meilleur, façonné par l'expérience et l'exigence de progrès.[3] Cette attente infinie appelle l'action propre à la satisfaire ; elle définit la durée comme l'espace d'un combat spirituel.

Le rapport du savoir à l'action absorbe donc une portion importante de la réflexion des Lumières ; elle contribue à façonner des personae nouvelles. Dans sa dimension idéalisée, la figure du philosophe recouvre celle d'un législateur, d'un conseiller des princes. Au début de la Révolution française, l'idée s'impose même que la Loi, définie par la Raison, doit régner d'elle-même, jusqu'à rendre l'exécutif presque inutile ; cet idéal connaîtra rapidement le désenchantement, que sanctionnent le Consulat puis l'Empire. Tous les domaines de la pratique soulèvent un intérêt nouveau : les secteurs les plus prosaïques de la technique, du faire, jadis méprisés au nom de la suprématie des arts libéraux, acquièrent une dignité nouvelle. L'Encyclopédie leur accorde une place fondamentale. Bref, l'impact de la théorie a fait l'objet d'intenses débats, et reste au centre de la réflexion intellectuelle des Lumières.[4]

La mise en exergue de la raison comme valeur « épochale » des Lumières a cependant souvent obscurci l'étude nuancée des enjeux de sa mise en oeuvre au XVIIIème siècle. Le theoros désigne, dans l'antiquité grecque, un voyageur. Détaché par sa Cité, il visite un lieu de pèlerinage, un sanctuaire, un oracle célèbre, pour y assister à un spectacle rituel.[5] La theoria désigne l'expérience complète de ce voyage - du moment où le voyageur quitte le seuil de sa demeure, à celui du retour parmi les siens. Au IVème siècle av. JC, le terme theoros est approprié par la philosophie naissante ; Platon et Aristote l'élaborent avec soin. On qualifie alors le philosophe de theoros par métaphore, parce qu'il voyage dans le monde des idées. Il en revient étranger au monde. Et cet exercice philosophique se caractérise par la liberté, comme le rappelle Aristote dans le Protreptique.[6]

Bien sûr, au XVIIIème siècle, la Raison est souvent pensée comme un instrument ultime de légitimation. Cependant, de nombreux philosophes, comme Rousseau, Quatremère de Quincy ou Vico lui contestent cette vertu avec force. Mais surtout, il convient d'accorder une attention toute particulière aux situations dans lesquelles la théorie est invoquée, dans la perspective directe ou indirecte de sa mise en oeuvre, et dans les différents domaines de la pratique.

La relation entre discours théorique et pratique sera également étudiée dans une dimension élargie, qui accorde une place toute particulière aux modalités pragmatiques de la transmission de la pensée au sein de la société. Comme le rappelle Roger Chartier, « la production, non pas seulement des livres, mais des textes eux-mêmes, est un processus qui implique, au-delà du geste de l'écriture, différents moments, différentes techniques, différentes interventions (…). Le processus de publication, quelle que soit sa modalité, est toujours un processus collectif, qui implique des acteurs nombreux et qui ne sépare pas la matérialité du texte de la textualité du livre. »[7]

Un certain nombre de thèmes solliciteront l'attention, qui parcourent les écrits des Lumières :

- L'étude nouvelle, quasi anthropologique des pratiques humaines.

- Le rapport entre descriptif et normatif, entre observation et prescription.

- La problématisation de la théorie, dans des champs aussi divers que la philosophie politique, l'esthétique, le droit.

- La constitution de réseaux, de systèmes, propres à mettre en oeuvre une idée, et à la répandre.

- La discussion du rapport entre action et éthique, dessinant les limites morales de l'action. La théorie de l'action dans le monde économique. Raison des effets, actions individuelles et forces collectives.

- La représentation de l'émergence de la Raison comme indice d'une époque historique, considérée dans une perspective optimiste ou pessimiste.

Le but est d'inciter des chercheurs/euses avancés/es et débutants/tes à travailler sur cette problématique, telle qu'elle se rapporte à leur champ de recherche spécifique.

Le colloque sera ouvert à deux types de participants/tes : des intervenants/tes invités/ées, spécialistes des questions évoquées, et des intervenants/tes sélectionnés au terme d'un Call for papers. L'idée est d'offrir un débat de haute qualité entre jeunes chercheurs/euses et chercheurs/euses avancés/es, mais surtout, de mieux faire connaitre l'importance de Neuchâtel et de la Suisse romande dans les domaines de l'histoire de la culture à l'époque des Lumières.

C. Call for papers

Les personnes intéressées par le thème du colloque, sont invitées à soumettre une proposition d'intervention. Nous leur prions d'envoyer leur curriculum vitae, en plus de leur proposition (max. 400 mots) avec indication de la section envisagée jusqu'au 1er septembre 2009 et par courriel à l'adresse suivante : valerie.kobi@unine.ch.

- François Rosset (UNIL)

- Pascal Griener (UNINE)

- Valérie Kobi (UNINE)

- Simone Zurbuchen (UNIFRI)

 E. Adresse de contact

Valérie KOBI

Institut d'histoire de l'art et de muséologie

Université de Neuchâtel

Espace Louis-Agassiz 1

CH-2000 NEUCHÂTEL

Tél. +41 32 718 18 33

Fax +41 32 718 18 71

valerie.kobi@unine.ch


[1] Max Horkheimer and Theodor W. Adorno. Dialektik der Aufklärung (1947). Fischer, Frankfurt am Main, 12ème édition, 2000.

[2] Richard S. Ruderman, “Odysseus and the possibility of Enlightenment”, dans American Journal of Political Science 43/1, janvier 1999 pp. 138-161; Linda Kirk, “The matter of Enlightenment”, dans The Historical Journal 43/4, eec 2000 pp. 1129-1143; James Schmidt, “What Enlightenment Project”, dans Political Theory 28/6, dec. 2000 pp. 734-757.

[3] François Dosse, “Reinhard Koselleck entre sémantique historique et herméneutique critique”, dans Historicités Ed. Christian Delacroix, François Dosse, Patrick Garcia. Paris : la Découverte, 2009 pp. 115-132, réf. p. 123.

[4] Quelques exemples récents: Medical theory and therapeutic practice in the eighteenth century : a transatlantic perspective. Eds. Jürgen Helm; Renate Wilson. Stuttgart : Steiner, 2008 ; Theory and practice in eighteenth-century: writing between philosophy and literature. Ed. Alexander Dick. Londres : Pickering & Chatto, 2008.

[5] Andrea Wilson Nightingale, Spectacles of Truth in Classical Greek Philosophy: Theoria in Its Cultural Context. Cambridge: Cambridge University Press, 2004; Jas Elsner, “Between Mimesis & Divine Power. Visuality in the Greco-Roman World”, dans Robert S. Nelson ed., Visuality before and after the Renaissance, Cambridge: Cambridge University Press, 2000 pp. 45-69.

[6] Andrea Wilson Nightingale, réf. en note 5, chapitre VI.

[7] Roger Chartier, Inscrire et effacer. Culture écrite et littérature (XIe-XVIIIe siècle). Paris : Gallimard/Seuil (Hautes Etudes), 2005 p. 9.

 

D. Comité d'organisation