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De la pseudonymie littéraire

De la pseudonymie littéraire

Publié le par Florian Pennanech (Source : David Martens)

De la pseudonymie littéraire

Formes et enjeux d'une pratique auctoriale

(XVIe - XXIe siècles)

Colloque international

Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve)

28-30 octobre 2010


Argumentaire

Compte tenu de son caractère central dans de nombreuses productions littéraires, du XVIe siècle à la période contemporaine - d'Alcofribas Nasier à Volodine en passant par Louis de Montalte, Molière, Voltaire, Stendhal, Nerval, Sand, Rachilde, Apollinaire, Colette, Duras ou Romain Gary, pour s'en tenir à la production littéraire française -, il peut paraître surprenant que la pseudonymie ait si peu retenu l'attention de la critique. S'il constitue un élément quantitativement restreint d'une oeuvre, le pseudonyme ne peut cependant être envisagé comme secondaire : en tant que signature auctoriale, il place l'ensemble d'une production sous un signe qui, choisi, ne saurait avoir été laissé au hasard. Une telle signature constitue dès lors un objet symbolique déterminant qui, situé aux marges des textes, en constitue un foyer de signification privilégié.

Le colloque international organisé du 28 au 30 novembre 2010 à l'U.C.L. a pour objectif de cartographier les enjeux de la pratique pseudonymique dans la littérature française, depuis la première modernité (XVIe-XVIIe siècles) jusqu'à la période contemporaine.

La « fonction-auteur » tient à la signature auctoriale et aux coordonnées identitaires qu'elle indexe et/ou qui lui sont associées. Si elle détermine les modalités de circulation et de réception des textes auxquels elle se trouve apposée, qu'en est-il lorsque le nom de la figure auctoriale ne correspond pas à celui de l'écrivain tel qu'il se trouve enregistré à l'état civil, modifiant ainsi l'un des signes principaux de l'identité du supposé « véritable » auteur, et actant son caractère de construction signifiante ? Quelle est donc la spécificité de ce type de signature dans le domaine littéraire ? En quoi affecte-t-elle notre appréhension des textes et que permet-elle aux écrivains sur le plan de leur positionnement comme de la mise en oeuvre des motivations intimes de leur création ? En d'autres termes encore, pourquoi et comment certains écrivains ont-ils utilisé des pseudonymes pour signer une partie, voire l'ensemble de leur oeuvre ?

La pseudonymie recouvre un ensemble de pratiques variées, allant de l'usage d'un nom de plume dont le statut est de nature publique (Saint-John Perse) à l'hétéronymie (Volodine) à vocation éventuellement mystificatrice (Mérimée/Clara Gazul). Elle engage dès lors la question de la dimension ontologique des auteurs qu'elle élabore (c'est toute la distance qui sépare la « simple » pseudonymie de l'hétéronymie), en s'instituant, par principe, en fonction d'un positionnement par rapport au caractère fictif (ou non) de l'écrivain figuré. De ce point de vue, la pseudonymie se noue avec une écriture du secret et de possibles stratégies de dissimulation quant à la nature du nom, qui tiennent à divers mobiles : nécessité de protection de la personne (controverses, poésie de la Résistance), mise en question des modes de sociabilisation du littéraire (salons de la préciosité), distinction vie privée/vie publique, etc.

Supposant (au moins) deux signatures, la pratique pseudonymique implique par définition un travail scripturaire de l'altérité, susceptible de prendre différentes formes, souvent intriquées. À la question de la différence ontologique peuvent ainsi se nouer celle du rang social (aristocrates signant sous un nom roturier, comme Sand, ou roturiers signant sous un aristonyme, à l'instar de Balzac ou de Lautréamont), la dimension du sacré (Saint-Pol Roux), la différence sexuelle (hommes signant sous un nom de femme, comme Pierre Louÿs/Bilitis ou Queneau/Sally Mara - ou femmes sous un nom masculin, Madeleine/Georges de Scudéry, Marie d'Agoult/Daniel Stern, ou ambivalent, comme Claude Cahun), ou encore la donne culturelle, à travers la mise en jeu d'une autre langue, dans la forme du nom (Georges-Marie/Joris-Karl Huysmans) ou dans le procédé de la fausse traduction (Boris Vian/Vernon Sullivan).

Les pseudonymes ne se donnent à lire qu'en fonction de mises en oeuvre concrètes. Il s'agit en conséquence d'étudier ces stratégies en mesurant, notamment, la place des textes publiés sous pseudonyme au sein d'une oeuvre : le faux nom signe-t-il l'ensemble d'une production littéraire ou est-il d'un usage ponctuel et/ou circonstanciel ? Entre les auteurs qui s'en tiennent à un seul pseudonyme (Saint-John Perse, Cendrars), ceux qui débutent avec un pseudonyme avant de signer sous leur nom véritable (Mérimée) ou leur pseudonyme définitif (Balzac), ceux qui les multiplient à plaisir (Voltaire, Stendhal) et ceux qui distinguent leurs pratiques scripturaires en recourant à des signatures différentes (Jacques Laurent/Cécil Saint-Laurent ; Vian/Sullivan), le panorama des pratiques en la matière est des plus diversifiés.

En l'espèce, tout tient à la singularité des scénographies qui donnent corps et sens aux dispositifs pseudonymiques. Un pseudonyme ne fonctionne en effet que marqué par les discours qui, le prenant en charge, le constituent et lui assignent des fonctions spécifiques, susceptibles de varier au cours du temps. L'écrivain évoque-t-il son pseudonyme ? Commente-t-il le choix de cette stratégie et ses motivations ? Livre-t-il le symbolisme éventuel du nom choisi ? La pseudonymie se trouve-elle thématisée au sein des oeuvres ? En constitue-t-elle un motif privilégié et, si tel est le cas, quelle en est la place et l'importance et à quelles problématiques se noue-t-elle ? Enfin, selon quelles modalités le pseudonyme, ainsi que les éléments de l'imaginaire qui lui sont associés, se trouvent-ils éventuellement disséminés au sein des textes de l'auteur ?

Pour autorisée qu'elle soit, et en dépit de sa relative fréquence selon les époques, une telle pratique s'institue en regard d'une norme, l'usage du nom « véritable », qu'elle ne laisse pas de transgresser. Elle subvertit ainsi les codes courants de l'auctorialité, notamment sa supposée unicité, et implique une relation au nom propre et à la propriété littéraire qui engage un positionnement particulier des écrivains par rapport à leurs productions et à la façon dont ils les donnent à appréhender à leur public. Dans la mesure où ce type de stratégies configure des effets de lecture spécifiques, il s'agira également d'examiner la réception de ces signatures en étudiant la façon dont la critique et le lectorat ont reçu, au cours des siècles, les différents types de stratégies pseudonymiques à travers lesquelles certains écrivains ont donné à lire tout ou partie de leur oeuvre.

La pseudonymie invite à interroger le littéraire dans certains de ses principaux éléments fondateurs durant la période qui a vu émerger la fonction-auteur telle que nous la connaissons encore aujourd'hui. À travers un traitement spécifique des figures auctoriales, elle en révèle en effet sur les modes de fonctionnement de l'institution littéraire ainsi que sur sa spécificité relative au sein des productions discursives. Corollairement, à une époque où s'observe une banalisation du recours à de nouvelles formes de pseudonymie, tout spécialement au sein des espaces dits de « réalité virtuelle », l'étude de ce type de signature apportera non seulement un éclairage sur la production littéraire des derniers siècles, mais aussi sur certaines évolutions récentes des sociétés contemporaines dans le rapport que les sujets y entretiennent avec la production et la mise en scène de leur identité.

Dans une perspective interdisciplinaire - les méthodes spécifiquement littéraires seront appréciablement soutenues par des outils philosophiques, psychanalytiques, sociologiques et anthropologiques - déterminée par la nature complexe de l'objet étudié, le colloque organisé du 28 au 30 novembre 2010 à l'U.C.L. vise à interroger la diversité de stratégies pseudonymiques mises en oeuvre au cours d'une période durant laquelle la figure de l'écrivain et le champ littéraire acquièrent progressivement leur autonomie. Il s'agit en conséquence d'étudier les interactions entre les usages et les enjeux de la pseudonymie littéraire et les mutations constantes, du XVIe siècle à nos jours, de ce discours particulier que constitue la littérature.


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Le colloque rassemblera des intervenants invités et des participants choisis sur proposition. Les propositions de communication (argumentaire - de 10 à 20 lignes - et brève présentation bio-bibliographique - de 5 à 10 lignes) devront être envoyées pour le 1er mars 2010. Les réponses à ces propositions seront adressées le 30 avril 2010 au plus tard.

Direction et contact

David Martens (F.N.R.S./U.C.L.) - david.martens@uclouvain.be

  • Responsable :
    David Martens
  • Adresse :
    Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve, Belgique)