Questions de société
De la misère en milieu étudiant (maj. 03/10/09)

De la misère en milieu étudiant (maj. 03/10/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Une antenne du Secours Populaire à l'université, par Marie Chaillou (La Voix - L'Étudiant)

http://www.lavoixletudiant.fr/fr/actus/actualites/une_antenne_du_secours_populaire_a_l_universite

Signe de la précarisation des étudiants, le Secours Populaire aouvert mardi 22 septembre une antenne sur le campus de l'universitéLille 1. Cette permanence, ouverte tous les mardis de 12h à 14h ausein de la Maison des Etudiants, accueillera tous les étudiants endifficulté sociale ou économique.

Une première dans une université

Actuellement, près de 300 étudiants sont référencés par le bureau lillois du Secours Populaire. A Lille 1, ce sont une centaine d'étudiants qui seraient en grande difficulté. "Il faut que nous mobilisions tous les moyens nécessaires pour que ces étudiants puissent se consacrer à leurs études et réussir",insiste Philippe Rollet, président de Lille 1. Au-delà des dispositifsdéjà mis en place, l'université a donc choisi de signer un partenariatavec le Secours Populaire : une première dans une université française.

Un problème national

Pourtant le problème n'est pas spécifique à Lille 1. Même sil'université accueille 40% d'étudiants boursiers en première année, lephénomène de précarisation touche tous les étudiants, et notamment lesétudiants étrangers qui ne peuvent bénéficier des systèmes de boursesfrançais. Une des raisons de cette précarisation est le manque cruel de logements. "A Lille 1 nous avons un déficit de 800 à 900 logements sociaux", regrette Sandrine Rousseau, vice-présidente chargée de la vie étudiante et de l'égalité homme-femme, "les étudiants doivent alors se loger dans le privé, ce qui les met en situation de difficulté". Pourles aider, l'antenne du Secours Populaire ne proposera pas seulementune aide alimentaire aux étudiants : ils y trouveront accueil, écoute,mais aussi des aides en termes d'orientation et de médiation.

Un appel à la mobilisation de tous

"Cela nécessite la mobilisation del'ensemble des étudiants. Cette permanence peut devenir un endroit oùla solidarité va se faire", insiste Jean-Louis Callens, secrétairegénéral de la fondation Nord du Secours Populaire. Tous les bonnesvolontés et propositions sont ainsi les bienvenues pour fairefonctionner la permanence et récolter des fonds. "Tout cela rend visible le problème socio-économique des étudiants", constate Hélène Ducourant, étudiante et membre du conseil d'amdinistration, "leproblème de précarité est large et concerne tous les étudiants quitravaillent et qui ne peuvent assister à tous les cours. Il faut unedécision politique pour que les étudiants puissent se consacrer à tempsplein à leurs études".

Marie Chaillou

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Denis PEIRON, La Croix, 28/09/2009

De nombreux étudiants aux frontières de la pauvreté

http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2394908&rubId=55350


Beaucoup sont obligés d'occuper un emploi plus ou moins régulier. Ce qui souvent hypothèque leur réussite aux examens

Certainssignes ne trompent pas. « Quand je demande à mes étudiants dem'indiquer une adresse mail pour pouvoir communiquer facilement,beaucoup finissent par me donner celle d'un parent ou d'un ami »,raconte Patrick Rayou, professeur des sciences de l'éducation àl'université Paris 8. « À l'évidence, ils ne disposent pas de leurpropre ordinateur. » De même, il n'est pas rare qu'un étudiant n'aitpas lu les livres recommandés, faute d'avoir pu se les payer. « Pouravancer dans les cours, nous sommes obligés de scanner ou photocopier –illégalement – les ouvrages », confie-t-il.

Dans cette université symbole de la massification de l'enseignementsupérieur, un étudiant sur deux est d'origine modeste. Et l'an dernier,30 % des inscrits déclaraient occuper un emploi à temps plein ou àtemps partiel. « À l'origine, Paris 8 accueillait des salariésétudiants, des syndicalistes et autres militants désireux de reprendredes études. Aujourd'hui, notre université compte surtout des étudiantssalariés, des jeunes qui n'ont d'autre choix que de travailler pourpouvoir étudier. »pix_trans.gif

Un poste de caissier à mi-temps

pix_trans.gifClément,22 ans, est de ceux-là. Après avoir passé l'été à travailler dansl'intérim, cet étudiant en 3e année se réjouit d'avoir déniché un postede caissier à mi-temps, tout près de l'appartement qu'il occupe encolocation. Bien sûr, certains horaires de travail se chevauchent avecles heures de cours. Et Clément sait que mener de front job et études adéjà contribué à lui faire redoubler sa 1re année. Mais il n'a pas lechoix. Ses parents – un père commercial et une mère au chômage – viventdans le Loir-et-Cher et ne peuvent le soutenir qu'à hauteur de 100 à200 € par mois, somme à laquelle s'ajoutent 110 € d'aide personnaliséeau logement. Depuis la réforme du système de bourse et l'instaurationd'un échelon 0, l'an dernier, cet étudiant n'a plus à s'acquitter deses frais de scolarité. Mais ses parents perçoivent des revenus tropélevés pour qu'il puisse bénéficier d'un réel coup de pouce…

Comme Clément, de nombreux étudiants sont tenus de travailler pour financer leurs études. Selon une étude menée en 2006 par l'Observatoire de la vie étudiante(OVE), un jeune sur deux exerce durant l'année universitaire uneactivité rémunérée, qui peut aller du baby-sitting à un emploi de nuitrégulier. Plus préoccupant : 13 % travaillent au moins à mi-temps, auminimum pendant un semestre. Leurs chances de passer les examens avecsuccès sont alors inférieures de 40 % à celles des autres étudiants.

Comme Clément, beaucoup des étudiants qui rencontrent desdifficultés financières sont issus de ces classes moyennes « tombéesdans un trou noir », comme le dit Jean-Baptiste Prévost, le présidentde l'Unef. « Ces familles sont trop riches pour que leurs enfantsreçoivent une bourse sur critères sociaux, trop pauvres pour bénéficierpleinement des exonérations fiscales accordées lorsqu'un enfantpoursuit ses études », dénonce-t-il.

« On observe dans le système de bourses un effet de seuildéfavorable aux personnes issues des classes moyennes », confirme RonanVourc'h, chercheur à l'OVE. Selon lui, la pauvreté étudiante concernegénéralement des étudiants qui vivent seuls, hors du domicile familial.« Elle touche aussi une partie des étudiants étrangers qui nebénéficient pas d'un programme d'échange de type Erasmus »,précise-t-il.pix_trans.gif

« 100 000 étudiants en dessous du seuil de pauvreté »

pix_trans.gifRestequ'il est difficile de mesurer ce phénomène. « On entend régulièrementle chiffre de 100 000 étudiants vivant en dessous du seuil de pauvreté.Mais prendre en compte uniquement leurs revenus n'a guère de sens dansla mesure où la moitié d'entre eux habitent chez leurs parents. Demême, beaucoup rentrent au domicile familial le week-end et enrepartent avec des provisions, une aide difficilement quantifiable »,note Ronan Vourc'h.

Son observatoire privilégie une autre approche, basée sur le nombrede demandeurs d'aide exceptionnelle. En 2006, dernière étude en date,3,9 % des étudiants avaient ainsi frappé à la porte des servicessociaux, un pourcentage en hausse de 0,3 % par rapport à 2003.Cependant, en écartant ceux qui ne sollicitent qu'un secours ou un prêtd'honneur dans l'année, généralement à la rentrée, l'OVE avance lechiffre d'un peu plus de 20 000 étudiants en situation de pauvretégrave et durable. Il serait donc difficile de parler de « paupérisation».

Pour un certain nombre, en tout cas, la question du logement – quien moyenne absorbe la moitié du budget d'un étudiant – peut virer aucasse-tête. Mais se nourrir sainement peut aussi constituer un défi –certaines organisations caritatives distribuent désormais des repas auxétudiants les plus démunis. Quant à la santé, elle passe souvent àl'arrière-plan. Selon une étude menée en 2006 par La Mutuelle desétudiants (LMDE), 23 % de ces derniers ne se soignent pas, faute demoyens, et 13 % d'entre eux n'ont pas de complémentaire santé.

Dans l'entourage de la ministre Valérie Pécresse, on dit avoirredressé la barre. « Pour la troisième année consécutive, les boursesont été revalorisées. La hausse cumulée atteint les 6,5 % et même 13 %pour les plus défavorisés. De même, le fonds d'aide d'urgence a reçu4,5 millions supplémentaires, soit une hausse de 10 %, note un membredu cabinet. Quant aux droits d'inscription à l'université, ils ontprogressé cette année de 2 à 8 € seulement suivant le niveau d'études.» pix_trans.gifDenis PEIRON

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Misère en milieu étudiant : mythe et réalité, par Louis Gruel

LE MONDE | 02.10.09. Article paru dans l'édition du 03.10.09.

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/10/02/misere-en-milieu-etudiant-mythe-et-realite-par-louis-gruel_1248388_3232.html

Les étudiants ont été présentés comme desprivilégiés puis comme paupérisés. On a avancé, on avance encore, lechiffre de 100 000 étudiants sous le seuil de pauvreté, ce qui n'aguère de sens. On a avancé, on diffuse encore, celui de la moitié desétudiants obligés de travailler pour poursuivre leurs études, ce quiest très inexact. On a alerté l'opinion sur le sort des 40 000étudiantes conduites à la prostitution, c'est-à-dire sur une rumeurabsurde qui continue à être propagée. Cela entretient une confusion peufavorable aux catégories étudiantes réellement précarisées. Il s'agitici d'apporter des éléments-clés de cadrage, en se fondant sur ladernière grande enquête de l'Observatoire national de la vie étudiante(OVE), et d'esquisser un premier éclairage de l'incidence de la criseen cours.

La plupart des étudiants bénéficient d'aides privées et publiques ennature et ceux qui habitent chez leurs parents, environ 4 sur 10,vivent parfois aisément avec des ressources monétaires minimes,celles-ci étant de l'argent de poche. Parler d'étudiants "au-dessous duseuil de pauvreté" n'a donc guère de sens. L'OVE, source la plus sûre,évaluait en 2006 à un peu plus de 20 000 le nombre d'étudiants ensituation de pauvreté grave et durable, ce qui n'est pas rien, comptetenu du fait que tout au long de la scolarité antérieure à la fac, lasélection réduit la part des milieux populaires les plus démunis et del'aide publique aux "survivants" d'origine pauvre.

S'il est vraique des étudiants sans revenu peuvent vivre très convenablement chezdes parents aisés, des étudiants qui perçoivent des ressourcesmonétaires supérieures à la moyenne peuvent être en difficulté. Pouréchapper à la précarité, les étudiants ne doivent pas seulementdisposer de ressources suffisantes pour vivre : ils doivent disposer deressources leur permettant de vivre en étudiant. Si la façon dont ilsse procurent leurs ressources est peu compatible avec la réussite deleurs études - c'est le cas notamment de ceux qui consacrent beaucoupde temps à un travail extérieur -, ils diminuent leurs chances deréussite et "précarisent" leur condition étudiante.

Selon l'OVE,en 2006, un étudiant sur deux travaillait pendant ses études mais deuxsur dix seulement exerçaient une activité pénalisant leur cursus, lesautres pratiquant des petits jobs occasionnels sans incidenceobservable sur leur scolarité, ou bien des activités intégrées auxétudes telles que l'internat hospitalier. Les étudiants exerçant unemploi pénalisant leurs études étaient fréquemment des étudiants ayantperdu leur bourse ou des étudiants de classe moyenne modeste à qui unebourse avait été refusée.

Peut-on imaginer que la crise actuellebouleverse profondément le tableau dressé par l'OVE en 2006 ? Non, maisil est probable qu'elle accroisse le nombre d'étudiants en difficulté.On peut s'attendre à ce qu'elle incite des bacheliers et étudiants àengager des études supérieures non prévues ou à les poursuivre pluslongtemps. En effet, elle se traduit par la réduction des offres decontrats à durée déterminé (CDD) typiques des premières embauches ;elle avive en outre la concurrence, des titulaires de bac + 5, voireplus, se repliant vers la recherche de postes de niveau intermédiaire,voire d'employés qualifiés. Quelques indices suggèrent que s'amorce uneaugmentation de la demande de formation universitaire émanant notammentde milieux modestes : l'accroissement des demandes de bourses constatésur certains sites ou le fait que des universités, affectées l'andernier par une grève longue et dure, ne semblent pas connaître labaisse des inscriptions attendue ; certaines enregistrent même unelégère hausse.

La proportion croissante de parents au chômage,contraints à des horaires réduits ou menacés de perdre leur emploi,risque de se traduire par un tassement des aides familiales. Or lesversements parentaux en argent représentent environ le tiers desressources des étudiants.

Enfin, les étudiants pour qui uneactivité professionnelle est une nécessité, comme les étudiantsétrangers ne recevant d'aide ni de leur gouvernement ni de leurfamille, peuvent se trouver en situation très difficile compte tenu dessuppressions de CDD. Certains services sociaux notent une augmentationnon négligeable des sollicitations d'aide d'urgence.

En somme,l'accroissement prévisible d'étudiants d'origine populaire, et laréduction inévitable des ressources privées placent l'Etat devant denouvelles responsabilités dans le domaine de l'attribution de bourseset, secondairement, dans le soutien à la création d'activitésrémunérées s'harmonisant, par leur contenu et leur durée, avec lesétudes suivies.

Louis Gruel est sociologue de la vie étudiante.