Questions de société

"Courses d'obstacles pour les boursiers Erasmus" (Libération)

Publié le par Marc Escola

Dans Libération du 13/3/12:

Course d'obstacles pour les boursiers Erasmus
Par M.P.


Ils sont partis étudier un an à l'étranger, le coeur léger, leur budget bien ficelé. Mais une fois sur place, mauvaise surprise. Les aides financières promises par l'Etat ne leur sont pas versées, ou seulement en partie et en retard.

Etudiants Erasmus pour la plupart (du nom du programme d'échange européen), ils avaient pourtant obtenu la promesse écrite de leur université de toucher une aide mensuelle, allant jusqu'à 400 euros sur dix mois. Mais depuis la rentrée, les retards de paiement s'accumulent. Certains ont reçu un seul versement en décembre et attendent depuis l'aide correspondant au mois de janvier et février. D'autres ont touché des sommes bien en deçà de ce qui était prévu avant de partir.

Combien d'étudiants sont concernés ? Difficile de savoir. Selon la Fage, second syndicat étudiant, environ 10 000 étudiants sont éligibles à cette aide à la mobilité internationale, versée en complément des bourses sur critères sociaux. Dans le lot, combien sont touchés par les retards de paiement ? Le ministère de l'Enseignement supérieur assure n'avoir à ce jour connaissance d'aucun retard particulier, «tous les problèmes constatés à la fin de l'année 2011 ont été réglés». De son côté, le Cnous (le Centre national des oeuvres universitaires et scolaires), chargé du versement des aides, déclare que tous les versements ont été effectués «sans souci».

«On les encourage à partir et on les plante là»

Pourtant, plusieurs étudiants assurent être toujours dans la panade, sans le sou et dans le flou. Simon, parti étudier le droit en Ecosse, a trouvé un job dans une sandwicherie pour soulager sa mère forcée de l'aider. Fin décembre, il avait écrit un courrier au ministre Laurent Wauquiez pour l'interpeller : «À longueur de journée, nous pouvons lire que notre niveau d'anglais est déplorable (...) Je fais partie de ceux qui se sont engagés à y remédier. Mais, de votre côté, respectez vos engagements.» Il vient de recevoir un versement de 800 euros, dans l'incertitude pour la suite.

Sylvain, 21 ans, en licence de commerce «quelque part au milieu de la Finlande depuis fin août», a reçu le premier versement le 9 mars. 800 euros en tout et pour tout. Sa mère reste suspendue aux mails de son université de rattachement à Aix-Marseille. «On est dans le flou pour les prochains mois. D'après ce que dit le dernier courrier de la fac, tout dépendra du moment où l'argent sera débloqué par le ministère. Au total, il devrait toucher 2000 euros si j'ai bien compris.» Moitié moins que ce que la fac lui avait promis au départ.

Remontée, elle poursuit : «Heureusement, on avait un peu d'argent sur un compte épargne, on tire dedans pour financer l'année. Mais là n'est pas la question. Ce qui m'énerve c'est qu'on encourage les jeunes à partir étudier à l'étranger, et ensuite, on les plante là.»

«Chacun se renvoie la balle»

«Dans ces situations, c'est toujours pareil, chacun se renvoie la balle», commente Thibault Servant, vice-président de la Fage. En l'occurrence : le service international de l'université, le Cnous et le ministère de l'Enseignement supérieur. Les retards de versement de bourses étudiantes sont récurrents. Encore plus peut-être concernant ces aides à la mobilité internationale. Le système est particulièrement compliqué. Le ministère le reconnaît lui même : «Le circuit n'est pas d'une grande simplicité, c'est vrai. C'est d'ailleurs pour cela qu'une réforme est en cours.» Aujourd'hui, ce sont les universités qui décident pour chaque étudiant du montant de l'aide qui sera versé chaque mois. Au maximum, 400 euros sur dix mois. En fonction, le ministère débloque une dotation, par université. Et ensuite les Crous s'occupent de la mise en paiement chaque mois. Il suffit qu'un maillon de la chaîne prenne un peu de retard pour que le système se grippe.

En signe de bonne volonté, et pour éviter surtout une nouvelle polémique après les retards de versement fin novembre, le ministère a promis une réforme. Début janvier, une circulaire était publiée, prévoyant que d'ici la rentrée prochaine, la gestion de cette bourse soit entièrement transférée aux universités. Le Cnous n'interviendra donc plus dans le circuit, la dotation sera intégrée dans l'enveloppe annuelle versée à chaque fac. «Ce nouveau système évitera les difficultés constatées. Car ce n'est pas un problème d'argent, insiste-t-on au cabinet du ministre. L'Etat a prévu cette année 25,7 millions pour les aides à la mobilité, soit deux millions de plus que l'année dernière.»

Laure Delair, chargée des questions sociales à l'Unef, le principal syndicat étudiant, n'est qu'à moitié convaincue. Cette réforme visant à simplifier le système va aussi le rendre plus opaque. «L'avantage du paiement par le Cnous, c'est que nous, élus étudiants, avons un droit de regard. Nous avons des représentants dans ces instances qui sont des services de l'Etat. Cela nous permet d'avoir un oeil sur la répartition de ces aides faites par les universités. Demain, ce sera une tambouille interne des facs», pointe-t-elle. Autre problème selon elle, la dotation pour l'aide à la mobilité sera comprise dans l'enveloppe budgétaire annuelle... Rien n'empêchera en pratique une université de décider d'investir cet argent pour tout autre chose.