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Contribution à une sémantique interprétative des styles

Contribution à une sémantique interprétative des styles

Publié le par Jean-Louis Jeannelle (Source : Christophe Gérard)

Contribution à une sémantique interprétative des styles. Etude de deux oeuvres de la modernité poétique : Jacques Dupin et Gérard Macé.


A la croisée de la stylistique et de la linguistique mais aussi de la poétique et de la critique littéraire, le travail exposé dans cet ouvrage entend poser la question du style du point de vue d'une sémantique interprétative et au sujet de textes relevant de la poésie moderne.
Une telle entreprise s'inscrit dans une situation d'analyse assez particulière pour des raisons qui tiennent en premier lieu à la difficulté de la linguistique à traiter du singulier, dans la mesure où cette dernière a conquis en effet son statut de discipline scientifique en tant que « linguistique générale », se donnant traditionnellement pour objet les langues et le langage. Pourtant, pour se conformer le moins à la représentation canonique de cette discipline, le singulier dont est aussi fait la diversité des productions langagières définit un horizon d'attention également légitime. De fait, l'objectif de la description linguistique peut certes se concevoir en termes de règles mais aussi de normes, dont relèvent les normes individuelles et auxquelles correspondent des régularités observées dans des corpus. Pour enquêter sur ces régularités stylistiques nous avons choisi d'étudier des textes qui relèvent de la modernité poétique, réputée pour son accès difficile. Confrontée à un tel régime sémiotique, l'étude des styles rencontre alors un problème d'objectivation majeur, au point que certains ont fortement douté qu'on puisse conduire une analyse stylistique sur la poésie post-rimbaldienne. Néanmoins, on peut soutenir que chercher à rendre compte du style individuel c'est précisément commencer de se frayer une voie vers la singularité de cette sorte de textes, d'en assumer pleinement la négativité constitutive. Le second aspect problématique de notre situation d'analyse concerne la définition du style : pour ce qui concerne les sémiotiques verbales, celle-ci est en effet souvent envisagée comme un défi et l'on a pu qualifier le style de concept pré-théorique. Toutefois, à nos yeux, pour le linguiste le défi ne consiste pas à définir ce qu'est le style mais bien plutôt à définir ce qui relève du style dans son ordre propre de phénoménalité, en assumant la diversité des styles en tant qu'ils s'actualisent, se font reconnaître et se laissent décrire dans des textes au sein dun corpus constitué. Mais encore faut-il disposer de moyens d'analyse appropriés à l'objectif visé. A ce titre, nous estimons nécessaire de ne pas s'en tenir aux catégories traditionnelles de la linguistique, en dépassant par là même une perspective qui serait d'emblée orientée par des préjugés esthétiques (primauté donnée aux contrastes ou aux symétries, parallélismes, etc.) qu'accompagnent généralement des préjugés herméneutiques sur la clarté ou l'obscurité du sens. C'est dans cet esprit, non sans affinités avec la conception du style des promoteurs actuels d'une sémio-stylistique (J. Molino, J.-Ph. Saint-Gérand), que nous entendons assigner à une sémantique des textes la tâche d'une description qui, posant la question du style dans les termes d'une conception morphosémantique du texte, s'acquitte par là même de la spécificité de la poésie moderne.
Le premier chapitre expose le cadre théorique adopté, à savoir la théorie des formes sémantiques de P. Cadiot et Y.-M. Visetti et la sémantique interprétative de François Rastier. Outre la présentation des concepts de fond sémantique et de forme sémantique, on contraste en particulier une conception morphosémantique du texte avec la conception, elle bien plus répandue, distributionnelle du texte. Le second chapitre interroge les conditions, les objectifs puis les moyens d'une description linguistique des styles mais aussi, conjointement et par inclusion, des caractères textuels. Il part ainsi d'une situation épistémologique générale pour aboutir à l'étude concrète et méthodique de l'oeuvre en tant qu'espace de singularisation. Afin de délimiter et de clarifier le champ où prend à la fois place et position une sémantique des styles et, plus exactement des singularités individuelles, on s'efforce notamment d'expliciter la théorie du style que présuppose la perspective adoptée en l'occurrence celle d'une sémantique linguistique en empruntant à Gérard Genette une conception « continuiste » du style qui a trouvé ses défenseurs (J.-M. Schaeffer et B. Vouilloux) mais aussi ses détracteurs (L. Jenny et H. Mitterand). On se propose ensuite de délimiter l'objet d'une sémantique interprétative des styles en indiquant les voies qu'est susceptible d'emprunter la description de façon à, plus précisément, 1. clarifier la différence entre genre et style ; 2. dégager différentes formes de singularisation du style ; 3. en montrant comment ces dernières s'actualisent dans les phénomènes sans perdre de vue la conception continuiste du style ; 4. enfin, préciser les rapports entre les niveaux du texte (macro- microtextuel) et les formes du style.
Concrètement, nos propositions descriptives voudraient investir les dimensions principales du texte au plan sémantique : ses différents paliers micro-, méso- et macrosémantique ; son organisation sémantique globale (interaction des composantes) ; sa dynamique de thématisation. Dans les termes d'une conception morphosémantique du texte, quatre formes de singularisation ont pu être dégagées : l' « isosémie », la « tournure », le « schème d'unification » et la « ligne stylistique ». On se dote ainsi de lieux théoriques où prend place une partie des « règles légitimatrices du langage de l'oeuvre ». Ces formes de singularisation sont considérées comme des classes d'objectifs de la description stylistique appropriées à une conception morphosémantique du texte. Au-delà, cependant, elles désignent bien des phénomènes dont la description doit rendre compte.
A ce titre, on en vient à discuter la stylistique structurale de Michael Riffaterre (qui nous retient pour sa théorie contextuelle et son ouverture aux phénomènes sémantiques) en vue de promouvoir une approche événementielle de l'activité sémantique qui participe pleinement d'une sémantique des styles. Situant le style au milieu de dynamiques textuelles de formation d'événements, une telle conception distingue d'une part, le style du caractère et, d'autre part, les faits de style proprement dits des effets (dits) stylistiques. Ces distinctions voudrait préciser une médiation possible entre la constitution dynamique du sens textuel et le caractère esthétique des textes poétiques. Dans l'hypothèse de la perception sémantique, on reconnaît ainsi d'une part l'émergence de moments forts sans y réduire la textualité de façon a priori, d'autre part que le style individuel n'existe qu'au sein d'un relief esthétique parcouru d'événements plus ou moins prégnants. Cette assomption théorique d'une gradation entre le plus simple phénomène et l'événement sémantique le plus prégnant ouvre alors sur la question des degrés d'accessibilité du style. On se trouve alors au coeur de la perspective que nous avons essayé de promouvoir : montrer en quoi le style individuel peut faire l'objet d'une description sémantique à l'horizon d'une perception gagée sur le déploiement de parcours interprétatifs. De façon connexe, étant considérée l'existence de formes sémantiques, au sens large, et leur dynamique de constitution par esquisse, remodelage et reprise dans une activité de thématisation par laquelle se font et se défont des identités (actorielles, thématiques), nous proposons de conférer à nos différentes formes de singularisation le rôle de tracés privilégiés de formes sémantiques ou de modes d'action réguliers sur la constitution des formes. On avance alors que ces tracés, ou façons d'individuer des profils et de caractériser des thèmes, sont la réalisation en contexte des formes de singularisation définissables au terme d'une familiarisation avec le corpus. Ces tracés privilégiés participent ainsi à identifier les aspects d'un ductus ou manière particulière de constituer et de faire évoluer des formes sémantiques. Pratiquement, cela signifie que la description se donne pour objet d'étude stylistique les façons singulières qu'a le sens de prendre forme dans un ensemble de textes, et c'est au fond à la poursuite de l'oeuvre comme espace (phénoménal) complexe générateur de forme(s) textuelle(s) qu'on se lance.
Les propositions descriptives formulées sont mises en oeuvre dans les troisième et quatrième chapitres. Le choix des textes est motivé par leur complémentarité, la relative obscurité des poèmes en prose de Gérard Macé contrastant avec l'hermétisme revendiqué des poésies de Jacques Dupin. Constamment nourrie au contact de la critique littéraire, l'étude de ces oeuvres permet au lecteur d'apprécier la valeur descriptive de nos quatre formes de singularisation en accédant à des dimensions particulières des textes étudiés. Au contact des oeuvres, un nouvel aspect de la singularisation/caractérisation, la tonalité, est retenu. En tant que modalisation des formes sémantiques, elle vient compléter le ductus et ses différents modes d'expression. Sans prétendre bien sûr avoir épuisé le sujet, on souhaiterait avoir à la fois contribué à ouvrir des perspectives et à rationaliser des intuitions/conceptions partagées sur le style individuel, ainsi qu'à approfondir un secteur de la sémantique des textes à même d'intéresser l'analyse stylistique.