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Contagion/Contamination

Contagion/Contamination

Publié le par Marion Moreau (Source : Revue Tracés n°21)

Appel àcontributions Contagion/contamination

Lessciences sociales semblent aujourd'hui embarrassées par les notions decontagion et de contamination. Si le métissage s'affirme comme une valeurpolitique essentielle, ces notions en constituent le revers anxiogène dansl'analyse de certains phénomènes sociaux, que ceux-ci soient directement liés àune maladie contagieuse (Sida, SRAS, anthrax, grippes aviaire ou H1N1) ouqu'ils suivent simplement des modalités de diffusion apparemment similaires à cellesde certaines pathologies – contagion de la crise économique liés à des produitsfinanciers toxiques (Orléan, 1992), propagation des rumeurs et des buzz viales réseaux sociaux. Autant de phénomènes dont la diffusion incontrôléeinquiète. Serait-ce le signe d'une phobie du contact et de l'échange dans unmonde globalisé où tout circule ? Une réaction crispée d'immunisation et derepli sur une pureté fantasmée dans une société du risque généralisé (Beck,2001) ?

Les domainesde la contagion et de la contamination foisonnent et cependant leurs usagesconceptuels demeurent ambigus. Dans leurs acceptions biologiques, ils formentde plus en plus des objets d'étude non seulement en histoire, mais aussi ensociologie (des populations atteintes par le sida par exemple) et enanthropologie, où l'on s'intéresse à la magie comme pouvoir de contagion ou auxrites religieux de purification. Par ailleurs, ces concepts médicaux, censésdécrire des phénomènes de manière scientifique, ont également fait l'objet deréappropriations stimulantes en sciences sociales, sans que l'on sache toujoursbien s'il faut leur donner le statut d'outils descriptifs ou de modèlesexplicatifs. Partant de cette incertitude, la revue Tracés consacre sonnuméro 21 aux usages contrôlés et incontrôlés, métaphoriques ou non, desnotions de contagion et de contamination.

Grammaire de la contagion : agents, patients etprocessus sans acteurs.

Terme d'usage littéral ou métaphorique, la contagioncharrie avec elle un certain nombre de présupposés. Elle est utilisée pourqualifier la diffusion d'un phénomène médical et/ou social caractérisé, d'uncôté, par ses modalités d'expansion, de transmission et de distribution (parcontact, par toucher, …), de l'autre, par une vitesse de propagationexponentielle.

Un premier problème semble accompagner touteutilisation du concept de contagion : il décrit un phénomène relationnel, maisle rôle des relata (éléments ou individus mis en relation) n'est jamais très clair. Décrire un phénomènecontagieux, c'est à la fois dire qu'un individu en contamine un autre et direque ces individus ne sont que les relais de quelque chose qu'ils ne maîtrisentpas. C'est plutôt le concept decontamination qui a le rôle de préciser ce qu'il advient des relata (untel a été contaminé ; telle personne a contaminé telle autre, etc.).

Il est intéressant de noter que les deux termes ont lamême racine latine renvoyant au sens du toucher (contagion = cum tactuset contaminare = cum tangere). On constate cependant une asymétrie dansles adjectifs dérivés de ces substantifs : on peut être contaminé (en ce cas onest passif et patient), et non « contamineux » ; en revanche on est contagieux,le rire est contagieux. On peut décider de contaminer quelqu'un, mais nond'être contagieux. Le dédoublement des substantifs, contagion et contamination,est aussi riche d'enseignements. D'une part la contamination décrit lechangement qui s'opère dans le patient qui subit la contagion, alors quel'individu contagieux peut ne contaminer personne. D'autre part on parle de lacontamination de x par y, et non de contagion de x par y :grammaticalement la contamination prend en compte dans son processus des agentset des patients, à la différence de la contagion, qui décrit un processus demanière impersonnelle.

Les notions de contagion et decontamination semblent donc décrire différents aspects d'un même phénomène. Onpeut parler de « contagion du suicide » ou de « contagion du baillement »sans qu'intervienne aucune contamination. Par ailleurs, on peut contaminer intentionnellementquelqu'un en lui transmettant une maladie qui n'est pas contagieuse : leVIH est dit « transmissible » par contact sexuel direct sans êtrepour autant une maladie contagieuse, alors que la grippe est dite contagieuse,sans qu'un contact immédiat soit nécessaire pour sa transmission. Il revientparfois aux magistrats d'établir les intentions et la responsabilité de maladessuspectés, notamment en ce qui concerne les maladies sexuellementtransmissibles, d'avoir commis un « délit de contamination » (Murard etZylberman, 1991). La gamme fort large d'implication et d'intentionnalité desacteurs méritera donc toute l'attention des futurs contributeurs. Ainsi lacontagion nous dispose à envisager un phénomène dans sa globalité et à uneéchelle macroscopique ; en revanche parler en termes de contamination amène àêtre plus attentif aux acteurs de la transmission à l'échelle microscopique.

On ne négligera pas enfin la connotation péjorative etpathologique dont sont chargés chacun à leur manière les termes de contagion etde contamination. Peut-on parler de contagion ou de contamination sans associerce qu'on décrit à un mal ou une pathologie ? L'usage de ces conceptsn'implique-t-il pas un jugement clinique, et même moral dans certains cas, surle phénomène décrit ou expliqué ? N'est-ce qu'une métaphore ? Si c'est le cas,est-elle vraiment pertinente et utile ? Et quelles sont les précautionsthéoriques qu'il faut prendre pour en faire usage ?

De la maladie au mal et retour.

Si la notion de contagion relève aujourd'hui pour nousdu champ de la médecine, il y a peut-être là une évidence trompeuse à démystifier.

Ainsi contaminare était au départ un termereligieux qui a été ensuite réapproprié par la médecine. Si la notion decontagion s'est imposée comme un noeud conceptuel de l'anthropologie de lareligion et du sacré (Douglas, 1971), c'est que le terme de contaminationrenvoie initialement à un tabou, à une souillure, à une impureté. De sorte que lacontagion n'était pas initialement d'origine médicale (Grmek, 1984 ;Gourevitch, 2001) et que le mouvement d'appropriation lexicale s'est peut-êtrehistoriquement opéré dans le sens inverse : du mal à la maladie.

A cet égard la question de la contagion des hérésies (Rassinier,1991), des péchés ou plus tard du meurtre, est symptomatique de l'usagestratégique du terme : la naturalisation d'un phénomène social impossible àenrayer implique naturellement la mise en oeuvre de procéduresd'exception. La criminologie elle-même, outre le profilage psychologique et leclassement typologique des individus dangereux, s'est développée à l'initiativede médecins soucieux d'établir une véritable épidémiologie du crime destinée àen prévenir le caractère contagieux (Aubry, 1894 ; Renneville, 1994). Ilen découle d'importants recoupements entre mesures de prophylaxie sanitaire etdispositifs de répression pénale prenant la forme d'institutions de réclusionet d'isolement (lazarets, hôpitaux, asiles, prisons), dont le caractère plus oumoins clos doit permettre de tenir à distance le mal, mais peut aussi, aucontraire, en favorisant la promiscuité, aggraver sa prolifération (Bashford etStrange, 2003).

Ce numéro devra donc être attentif aux transferts dessavoirs médicaux dans les sciences humaines, tout autant qu'aux importationsdepuis ces dernières pour penser la contagion médicale. La biologie et sonépistémologie ne sont-elles pas amenées à penser la contagion à partir demodèles issus des sciences humaines, comme ceux des réseaux sociaux ou descrises économiques ? Le thème de la contagion s'impose ainsi opportunément pourquestionner les enrichissements mutuels entre épistémologie des sciences dureset épistémologie des sciences humaines.

La contagion, structuration et production du social

Quel regard les sciences humaines peuvent-elles portersur les contagions et les épidémies ? La contagion est l'ultime étape d'unprocessus passant par l'incubation et l'infection : elle représente le stadesocial du développement de la maladie ; ainsi, elle met en crise la société dansles frontières et les limites que cette dernière entend se donner.

Quels bénéfices y aurait-il à partir des effetssociaux de la contagion considérée, dans sa dimension médicale, comme objetd'étude (Fabre, 1993) ? Comment la contagion affecte-t-elle les comportementsélémentaires du quotidien et les rapports de classes ? Quelles pratiquessocio-spatiales d'exclusion et d'isolement les épidémies suscitent-elles ?De pair avec l'édification de frontières de cantonnements, la contagionparticipe à la formation ou à la consolidation d'identités sociales : laconstitution des homosexuels comme groupe à risques au début de l'épidémie dusida a permis à la fois de canaliser les peurs collectives et l'émergence d'unmilitantisme qui a su jouer du retournement des stigmates et destransformations du pouvoir médical (Dodier, 2003). Aussi arrive-t-il qu'à l'examenscientifique et clinique se mêlent des interprétations morales à propos d'unemaladie contagieuse, souvent perçue comme une sanction divine (Sontag, 2009).

De là, il s'agirait alors de discerner les manièresdont microbes et virus sont producteurs de social. Gabriel Tarde établissait unparallèle entre la progression discontinue des épidémies morbides, frappantcertains lieux, en épargnant d'autres, et la diffusion des insurrectionspopulaires, qui se répandent de ville en ville (Tarde, 1895). Il se réfèrenotamment aux « épidémies de pénitence » qui, dans le sillage de la peste, sedéveloppèrent à la fin du XVème siècle dans la Florence de Savonarole (Burckhardt,1885), mais on peut aussi songer aux révoltes parisiennes des années 1830, dontle calendrier correspond aux épisodes de choléra (Chevalier, 1958).

Maladies animales et épizooties, épidémies, chocsmicrobiens favorisés par les migrations sont autant d'observatoires pour mettreà jour précisément les coproductions du social et du médical. Sur desperspectives historiques plus longues l'unification microbienne du continenteurasiatique autour de l'an mil, puis celle du monde avec les grandes conquêtes(Le Roy Ladurie, 1978 ; Diamond, 2000), doivent en tous les cas attirer notreattention sur l'articulation serrée des données biologiques, culturelles,écologiques, géographiques et géopolitiques, surtout à l'heure des débats surla globalisation. L'anthropologie des religions n'est pas en reste, quand elletend à lier la structuration des sociétés à la souillure et à la contagion dusacré, notamment à travers l'étude des rites de purification et des interditsalimentaires ou relatifs à l'hygiène (Frazer, 1906-1915 ; Douglas 1971).Dans un sens inverse, le cinéma de zombies ou de mort-vivants, tel quel'explorent les Horror Studies, fait de la contagion un motif à même demodéliser une société sur les vestiges de laquelle quelques survivants sefédèrent dans l'exclusion de minorités « dégénérées et déviantes » (Thoret,2007).

Quelles entités sociales le conceptde contagion permet-il de penser ?

Le modèle de la « contagion des idées », développédans les travaux de Dan Sperber (1996), pourra servir ici de point de départ.Il repose en effet sur les analogies entre la manière dont une maladie serépand et les modalités de circulation de schèmes de pensée qui, partransmission au sein d'un groupe, aboutissent à la formation d'une mêmedisposition d'esprit et de croyances communes (Lynch, 1996). Ce qui était audépart l'idée d'un individu se propage à d'autres individus. Cette diffusionest censée créer non seulement des représentations collectives, mais aussi denouvelles entités sociales qui n'existaient pas auparavant, lorsqu'un seulindividu était en possession de ce savoir ou de ce raisonnement. Au fond laquestion serait de savoir si la contagion ne servirait pas de fondement à unethéorie individualiste de l'origine du social. Ce numéro se consacrera enpartie à un nouvel examen et à une clarification du modèle de la contagioncomme description du social : à quel type d'entités sociales de tellescontagions peuvent donner naissance ? et dans quelle mesure ces entitéscollectives influencent en retour ceux qui en font partie ?

Un détour historique par la psychologie des foules dela fin du XIXème siècle éclairerait certainement la question de la pertinencede la contagion en sciences sociales. Pour lapsychologie sociale de la Belle Époque, le collectif constitué par contagionpeut être une foule. Ses membres, interchangeables, y sont mus par desémotions fédératrices et engagés les uns avec les autres dans des contactsphysiques propres à accélérer des phénomènes de contagion dont le caractèreimprévisible et irrationnel a souvent été perçu comme potentiellementdestructeur pour l'ordre social (Le Bon, 1895 ; Bosc, 2007). Ces entitéscollectives sont également à l'origine de publics, entendus comme desrassemblements indéfiniment extensibles, nettement moins marqués par unecertaine irrationalité, mais dont la cohésion est fondée sur des liens pluslâches (Tarde, 1901 ; Joseph, 2001). Ces exemples semblent montrer que lacontagion permet avant tout de penser l'association éphémère d'individus, ladiffusion de certaines pensées et de certaines émotions, mais non l'origine d'institutionsou d'entités sociales durables. Pourtant, parler de contagion et decontamination semble pertinent pour aborder certaines pratiques contemporainesliées aux réseaux sociaux, qui pourraient bien instituer de nouvelles normessociales nées d'une diffusion contagieuse.

Contagion, mimétisme et rationalité

De ce point de vue, on peut constater que les étudessur les mouvements sociaux ont eu tendance à insister sur la rationalité et lesstratégies conscientes de leurs acteurs, délaissant ainsi certains phénomènesde synergie comme les modes, les rumeurs, les paniques, qui se développent demanière inintentionnelle et spontanée et font souvent apparaître après coup desliens de capillarité, des réseaux impensés et a priori insoupçonnables. Comme l'écritDaniel Céfaï, « les théories de l'espace public sont aujourd'hui obnubilées parl'exercice d'une raison publique dans des activités délibératives etparticipatives et tendent à ignorer ces phénomènes qui, massivement, continuentde régir l'opinion publique et de nourrir l'action collective » (Céfaï, 2007,p.110-111).

Durkheim mettait en garde contre une utilisationirraisonnée du terme de contagion, souvent confondu avec la notion d'imitation,tout en précisant que celle-ci ne peut être le résultat d'une contagion que si,une fois suscitée de l'extérieur, elle se produit de manière automatique et nonvolontaire chez un sujet ne pouvant pas lui résister (Durkheim, 1897). L'imitationet le mimétisme suffisent-ils donc àépuiser l'usage de la notion de contagion pour expliquer les phénomènescollectifs ? Ainsi le célèbre adage, « Plus on est de fous, plus onrit », illustrerait au besoin non seulement le caractère contagieux du rire,voire de la folie (Dugas, 1902 ; Halberstadt, 1906), mais aussi la forced'entraînement du groupe dans la propagation des sentiments et des émotions.Difficile dans ce genre de situation de distinguer ce qui relève del'automatisme pur et de l'absence d'intentionnalité, donc de la contagion,d'une imitation délibérée visant à se conformer au collectif.

Peut-on alors invoquer un phénomène de contagion dèslors qu'intervient la rationalité des êtres qu'il touche ? Quelle placeassigne-t-on alors au modèle de la contagion dans l'analyse d'une rationalitépublique ? Est-ce seulement compatible avec cette dernière, alors que la notionde contagion ne semble attribuer qu'une grande passivité à des acteurs au fondmoutonniers ? Comment prendre en compte alors les manoeuvres d'esquive, decontournement, de résistance des sujets à ces mouvements sociaux ? De manièreplus générale, doit-on analyser ces phénomènes de contagion du point de vue deleurs conditions (neuronales par exemple, si l'on pense aux neurones miroirs quiseraient à l'origine de certains mimétismes), de leurs effets (psychologiquesnotamment, si l'on pense aux phénomènes d'empathies collectives après lescatastrophes) ou du point de vue de leur possible traitement ?

Contagions et médias

Une piste possible en vue d'une épidémiologie desidéologies et des représentations est donc de ne pas esquiver celle desdiscours dans ce qu'ils ont de contextualisés, d'incarnés, de médiatisés.Derrière l'immédiateté déconcertante de la contagion, ne doit-on pas débusquerles vecteurs et les médias de sa propagation ? La seule proximité physique etinterpersonnelle suffit-elle à expliquer par exemple la diffusion d'uneinnovation sociale ou technique (Burt, 1987) ?

Pour comprendre leurs modes de transmission, ilimporte d'expliquer l'efficacité du discours et des médias dans leurs modalitésconcrètes. Voltaire n'oubliait pas de souligner que si le fanatisme était unemaladie épidémique, sa propagation était largement facilitée par une diffusionorale plutôt qu'écrite, car la lecture garantissait davantage l'exercice de laraison (Voltaire, 1993 ; Wenger, 2007). L'application du terme à la diffusionet à la communication du discours est donc cruciale : la contagion permet-ellede penser rigoureusement la communication de masse – point bien souvent éludépar la théorie linguistique ou littéraire ? La rhétorique post-tridentine aucoeur de l'émotivité baroque (Roussin, 1998) aussi bien que l'esthétique la pluscontemporaine (Hanna, 2002) retraitent ce topos de la contagion ou duvirus pour penser la quasi-immédiateté organique et cognitive de l'impactdiscursif et de la puissance toxique de la parole. Cet aspect médiologique estd'autant moins à négliger concernant l'opinion publique, la rumeur etl'effervescence collective (Mariot, 2001), que les médias tendent de plus enplus à s'effacer dans une immédiateté virtuelle.

Il conviendra ainsi d'appréhender non seulement lescanaux par lesquels les idées « contagieuses » se répandent, commeles médias traditionnels (presse écrite, radio, etc.) ou les nouvellestechnologies de la communication, mais aussi la façon dont elles « prennentcorps » dans des mouvements souvent labiles et diffus qui, en l'absence de planpréconçu, s'auto-alimentent et se propagent. À cet égard, à mi-chemin entrepratiques protestataires et communautés virtuelles, les flash mobs (oumobilisations éclair) – ces rassemblements rapides et provisoires réalisés dansdes lieux publics -, qui parient sur un certain effet d'entraînement,paraissent emblématiques de nouvelles formes d'affiliation permises parinternet (Rheingold, 2002 ; Wasik, 2009). C'est d'ailleurs au sein duréseau informatique mondialisé, avec ses virus et ses spams, que lemodèle de la contagion trouve depuis quelques années les applications les plusnombreuses, que ce soit dans le domaine du hacking ou du « marketingviral » (Parikka, 2007 ; Parikka, Sampson, 2009 ; Mellet, 2009).

Lesdimensions biopolitiques de la contagion

La récente campagne de vaccination pour la grippe H1N1a été l'occasion de mettre en exergue la diversité et l'enchevêtrement desacteurs et des enjeux impliqués (économiques, technologiques, médicaux,sanitaires et politiques). L'analyse des querelles d'experts autour despandémies témoigne en effet à la fois de l'hétérogénéité des acteurs et desajustements nécessaires entre eux dans des sociétés où les frontières entrehumains et non-humains, que l'on croyait stables et étanches, doivent serecomposer sous l'effet de contagions de masse (Latour, 1984 ; Keck, 2010).Plus largement, une affaire comme celle, retentissante, du sang contaminé, amontré la complexité des prises de décision et l'ampleur des responsabilitésdans ce qu'on a coutume d'appeler des forums hybrides où la décision politiqueest diluée (Barthe, Callon, Lascoumes, 2001 ; Fillion, 2009). Dans detoutes autres proportions, l'usage d'armes bio-terroristes, sous forme demicro-organismes pathogènes diffusés volontairement au sein de la population,constitue une menace insidieuse dans l'exacte mesure où en faisant du maladeune arme en voie de germination, elle déborde les cadres classiques du conflitinternational et contraint à une redistributiuon de ses cartes. C'est pourquoiles États et, au-delà, la communauté internationale tentent de se prémunir dece délit de contagion à grande échelle en échafaudant des dispositifs deprévention fondés sur des scénarios-catastrophes (Enemark, 2007 ; Collier etLakoff, 2008).

Sommes-nous face à une forme radicale de labiopolitique, que Foucault, et à sa suite, Negri et Agamben ont développée,entendue comme ce stade de la politique qui a pris pour objet la vie desindividus ? Un philosophe comme Roberto Esposito, sans donner tout à faitcarrière à la notion de contagion, propose une relecture de la modernitépolitique, où la notion d'immunité est pourtant centrale. La modernitépolitique, reposant sur une conception de la liberté comme sécurité,s'appuierait sur un individu à protéger de ses voisins et sur des sociétés sisociophobes qu'elles se fédèrent dans un front commun immunitaire contre lesmenaces extérieures auxquelles elles sont constitutivement exposées (Esposito,2010). Les notions de contagion et de contamination permettent-elles de mettreen perspective ces mécanismes d'autodéfense ? Quelles formes prennent-ils ?Les politiques migratoires et sécuritaires mises en place dans les démocratiesoccidentales depuis la fin du XXème siècle, par exemple, correspondent-elles àce schéma qui rappelle la logique du cordon sanitaire, visant à se défendrecontre une extériorité jugée dangereuse ?

En définitive,ce numéro entend explorer les notions de contagion et de contamination demanière à la fois empirique et théorique, en mobilisant des objets d'étudescomme les maladies épidémiques ou liés à l'usage de la contagion dans l'épistémologiedes sciences sociales. A terme, ce numéro traquera ce qui peut les articuler ouau contraire les séparer.

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Nousle rappelons à chaque numéro : l'appel à contribution n'a en aucun cas valeurd'obligation. Il a simplement vocation à suggérer aux rédacteurs potentielsquelques pistes générales de réflexion, à leur rappeler également que la revue Tracésattend un propos analytique et argumenté.

Nousavons choisi de distinguer deux rubriques au sein des articles : une rubrique «analyses » et une rubrique « enquête ». Cette distinction a pour but declarifier la démarche de l'article, étant entendu que la présentation del'argumentation et les exigences de recevabilité ne sont pas les mêmes quand ils'agit d'un article seulement théorique ou quand il s'agit d'un articleprovenant d'une étude empirique.

« Analyses »

Cetterubrique regroupe des articles théoriques articulés autour d'un problèmegénéral, directement relié au thème du numéro. Les contributions doivent doncabsolument comprendre une bibliographie appuyant la thèse centrale etpermettant de justifier un ancrage théorique clairement annoncé. Devront de plusapparaître dans la proposition, de façon explicite, la thèse défendue et sonlien direct avec le thème, les étapes de l'argumentation et un positionnementpar rapport au traitement du même thème dans d'autres disciplines. Ces articlespeuvent aussi bien être des commentaires de l'oeuvre d'un auteur en particulier,que des travaux d'histoire de « seconde main », par exemple.

« Enquêtes »

Cetterubrique attend des contributions empiriques. Il est donc impératif de préciserle terrain qui fonde l'argumentation. Par exemple, dans un article d'histoireappuyé sur des sources, il est nécessaire de présenter le corpus. La méthodeemployée, à la fois pour recueillir et interpréter les données, devra aussiêtre justifiée. Par exemple, qu'apporte une méthode qualitative au traitementdu problème, par rapport à une méthode quantitative ? Le choix d'une méthode vasouvent de pair avec un ancrage théorique. L'articulation entre ces deuxdimensions devra aussi apparaître. Ces contraintes ne doivent pas conduire à unsimple exposé monographique. La contribution devra clairement rattacher leterrain au thème du numéro, en annonçant la thèse générale que permet d'énoncerle travail empirique.

« Notes »

Nous retenons au moins trois types de contributions : les recensions deparutions récentes, des notes critiques sur un ouvrage en particulier ou surune controverse scientifique, la mise en lumière de travaux méconnus en France.Les recensions d'ouvrages publiés hors de France sont naturellement bienvenues.

« Traductions »

Toutcontributeur peut proposer une traduction en lien avec le thème, accompagnéed'une présentation. L'objectif doit être de diffuser un texte majeur (articleou extrait d'ouvrage) sur les problématiques du numéro mais inédit en françaiset donc peu ou pas connu en France. La proposition sera cependant soumise àl'évaluation du comité de lecture.

« Entretiens »

Les contributeurs qui souhaiteraient réaliser un entretien sont invités àprendre contact directement avec le comité de rédaction redactraces@listes.ens-lyon.fr. Il est donc demandé aux contributeurs de bien préciser pour quelle rubriquel'article est proposé.

NB1 :L'insertion d'images et de supports iconographiques est possible dans un nombrelimité (Précisez-le dans votre déclaration d'intention).

NB2 : Lesarticles envoyés à la revue Tracés doivent être des articles originaux.L'auteur s'engage à réserver l'exclusivité de sa proposition à Tracés jusqu'àce que l'avis du comité de lecture soit rendu. Il s'engage également à ne pasretirer son article une fois que la publication a été acceptée et que l'articlea été retravaillé en fonction des commentaires des lecteurs.

Les rédacteurs devront envoyer leurcontribution (jusqu'à 30 000 signes pour les articles, et jusqu'à 20 000 signespour les notes ; le nombre de signes inclut les espaces et les notes mais pasla bibliographie) avant le 24 décembre 2010 à l'adresse suivante : redactraces@listes.ens-lyon.fr.

Une réponse motivée, argumentée quant à l'acceptation ou non pourpublication est envoyée à l'auteur après le travail de lecture et ladélibération des membres du comité de lecture. En cas de réponse positive,l'auteur peut être invité à amender et à retravailler son texte en fonction desremarques suggérées par les lecteurs.

Les rédacteurs doivent informerpréalablement le comité de rédaction de Tracés de leur projet par courrierélectronique en indiquant le titre de leur contribution, la rubrique danslaquelle ils le proposent, ainsi qu'un bref résumé du propos.

Nous demandons également aux contributeursde tenir compte des recommandations en matière de présentation indiquées sur lapage suivante de notre site : http://traces.revues.org/index103.html