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Concevoir les existants. Les subjectivités autres qu'humaines en arts et sciences humaines et sociales

Concevoir les existants. Les subjectivités autres qu'humaines en arts et sciences humaines et sociales

Publié le par Université de Lausanne (Source : Khalil Khalsi )

Concevoir les existants.

Les subjectivités autres qu'humaines en arts et sciences humaines et sociales

Université du Québec à Montréal,

23-24 avril 2020

 

Ce colloque propose d’investiguer les modalités de présence des existants autres qu’humains tels que plusieurs paradigmes, tant en sciences humaines et sociales (Castro, 2015 ; Ingold, 2000 ; Morin, 2013 ; Latour, 2012 ; Serres, 1990 ; Stengers, 2008) qu’en arts[1]cherchent à les instaurer (Souriau, Stengers & Latour, 2009). Plutôt que de deviser sur le degré d’être ou de réalité de ces entités qui partagent notre univers avec leurs Umwelten (Uexküll, 2010), il s’agit, tout en reconnaissant leur autonomie, d’observer leur statut au sein des différentes cosmologies (Descola, 2011), les modalités de leurs interactions avec les humains, et en particulier, de s’interroger sur la possibilité de concevoir, sur un plan épistémologique, une subjectivité propre à ces formes d’altérité, tout en restituant, sur un plan expérientiel, leur possible mode d’existence. 

Qu’ils soient animaux (Bailly, 2013 ; Baratay, 2017), végétaux (Kohn, 2013 ; Coccia, 2016), défunts (Despret, 2015 ; Delaplace, 2018) ou à l’intersection du physique et de l’intangible (Nathan, 2007), ces existants, nous proposons de les qualifier comme « autres qu’humains » plutôt que comme « non-humains », et ce, afin de dépasser l’opposition que suppose cette appellation générique par trop paradoxale (Latour, 2011), en ceci que la négation entérine la distinction entre nature et culture plutôt que de la subvertir. Parler d’autres qu’humains permet, par ailleurs, toutes les hybridités ; aussi arrive-t-il que ces autres ne soient pas toujours des entités en soi, mais bien plutôt les humains qui sont un peu animaux, un peu défunts, un peu esprits (Lhurmann, 2011), ce qui est à même de dévoiler d’autres modalités de contact et de partage du sensible, par-delà le physique, et une géographie insoupçonnable de l’être. Les voir comme d’autres qu’humains, c’est aussi les considérer comme des alter, et ainsi prendre en compte les dispositifs qui réglementent la rencontre avec ces derniers  

Autres qu’humains permet enfin d’ouvrir le champ des potentialités, notamment des subjectivités possibles et des modalités de leur rencontre. À ce titre, dans son récit Croire aux fauves (2019), où elle rend compte de ses interrogations identitaires suite à son corps-à-corps avec un ours dans les montagnes du Kamtchatka (Russie), l’anthropologue Nastassja Martin met ses réflexions théoriques à l’épreuve de son questionnement existentiel. Aussi se heurte-t-elle à l’aporie que constitue l’inaccessibilité à l’intériorité de cet autre, en l’occurrence animal : « Qui peut dire ce qu’il porte en lui, qui peut élaborer autour des raisons le poussant à se mouvoir, en dehors d’une explication fonctionnaliste de base ? Il y a des choses que je ne saurais jamais, c’est une évidence. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille renoncer, renoncer à l’exigence de comprendre plus loin. » (p. 84) 

La question est en effet de reconnaître ce que Wittgenstein appelle des formes de vie(1990) et de s’outiller adéquatement afin de les concevoir, en penser le contact et, par-là, réévaluer les notions ontologiques qui semblent aujourd’hui consommer l’incapacité de la rationalité moderne à penser, non seulement le rapport aux autres qu’humains et à l’écoumène, mais aussi le devenir humain en tant que tel, surtout dans notre ère où l’interdépendance des habitats humains et autres qu’humains n’est plus à prouver.  En effet, de quels outils conceptuels se doter pour quelles modalités d’existence ? Comment se garder de l’anthropomorphisme pour penser adéquatement ces existences autres qu’humaines ? Qu’implique la conception de ces altérités radicales au niveau de la rationalité moderne, voire post-moderne, si ce n’est post-humaine ? Comment appliquer ces nouveaux modèles en recherche et qu’implique, d’un point de vue pratique, cette réfection paradigmatique en cours ? Quel est l’apport des formes de savoir, notamment artistique, dans ce domaine de connaissance en pleine émergence ? Comment l’expérience ou l’expérimentation peuvent-elles en être de potentiels véhicules d’exploration ? Toutes ces questions, et bien d’autres, seront au cœur de ce colloque et en tissent les lignes directrices.

Nous accueillons les propositions en sciences humaines et sociales ainsi qu’en études littéraires, artistiques et cinématographiques, qui privilégieront les approches transdisciplinaires ; celles portant un intérêt aux existants non-animaux (végétaux, esprits, défunts, dieux, ancêtres, êtres de fiction, robots, etc.) sont les bienvenues. Le colloque se veut un espace de réflexion théorique et critique mais aussi un lieu d’expérimentation artistique, aussi les communications à la jonction des arts et des sciences humaines sont-elles fortement encouragées.  

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Les propositions de communication, d’environ 300 mots, agrémentées d’une notice biobibliographique d’une centaine de mots, doivent être adressées, d’ici le 29 février 2020, à Khalil Khalsi (khalsi.khalil@courrier.uqam.ca) et à Magali Uhl (uhl.magali@uqam.ca).

Les réponses seront envoyées dans la première semaine de mars 2020. Notez toutefois que les frais de déplacement et d’hébergement à Montréal seront à la charge des participant.e.s ou de leurs institutions de rattachement. 

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Références 

Bailly, J.-C. (2013). Le Parti-pris des animaux, Paris : Le Seuil. 

Baratay, É. (2017). Biographies animales. Des vies retrouvées, Paris : Le Seuil. 

Coccia, E. (2016).La Vie des plantes. Une métaphysique du mélange, Paris : Payot et Rivages. 

Castro (de), E.V. (2012). Cosmological Perspectivism in Amazonia and Elsewhere.Manchester : HAU Books.

Delaplace, G. (2018). « Les fantômes sont des choses qui arrivent », Terrain(69), pp. 4-23. 

Descola, P. (2011). L'écologie des autres : l'anthropologie et la question de la nature. Versailles: Quae.

Despret, V. (2015). Au bonheur des morts.Paris : La Découverte. 

Dumouchel, P. et Damiano, L. (2016). Vivre avec les robots : essai sur l’empathie artificielle, Paris : Le Seuil.

Ingold, T. (2000). The perception of the environment: essays on livelihood, dwelling and skill. Londres : Routledge

Latour, B. (2011) « Préface » in Humains, non-humains(Houdart, S. & Thiery, O., éds.), Paris : La Découverte, pp. 77-80. 

Latour, B. (2012). Enquête sur les modes d’existence. Paris : La Découverte. 

Kohn, E. (2013). How Forests Think. Towards and Anthropology Beyond the Human. Berkeley : University of California Press. 

Lhurmann, T. M. (éd.) (2011). Suomen Anthropologi: Journal of the Finnish Anthrepological Society(Vol. 36(4)). Helsinki : Presses de l’Université d’Helsinki. 

Martin, N. (2019). Croire aux fauves. Paris : Verticales. 

Morin, E. (2011). La Voie : pour l’avenir de l’humanité.Paris : Éd. Fayard. 

Morton, T. (2013). Hyperobjects. Philosophy and Ecology after the End of the World. Minnesota : University of Minnesota Press. 

Nathan, T. (2007). Nous ne sommes pas seuls au monde : les enjeux de l'ethnopsychiatrie. Paris: Les Empêcheurs de penser en rond.

Serres, M. (1990). Le contrat naturel. Paris: Éd. François Bourin.

Souriau, É., Stengers, I., & Latour, B. (2009). Les différents modes d'existence : suivi de Du mode d'existence de l'oeuvre à faire. Paris: Presses universitaires de France.

Stengers, I. (2008). Au temps de la catastrophe. Résister à la barbarie qui vient, Paris : La Découverte.  

Uexküll (von), J. (2010 [1934]). Milieu animal et milieu humain, Paris : Rivages. 

Wittgenstein, L. (1990 [1945]) Investigations philosophiques (trad. Pierre Klossowski), Paris : Gallimard

 

 

[1] Rien que dans le domaine littéraire francophone, on peut citer Diotime et les lions d’Henry Bauchau (Actes Sud, Arles, 1991) Mémoires de la Jungle de Tristan Garcia (Gallimard, Paris, 2010), Anima de Wajdi Mouawad (Actes Sud, Arles, 2012), Règne animal de Jean-Baptiste del Amo (Gallimard, Paris, 2016) ; côté anglophone, nous indiquons le très beau roman Nineveh de la Sud-Africaine Henrietta Rose-Innes (2011), traduit en français sous le titre Ninive par Elisabeth Gilles (éd. Zoé, Chêne-bourd, 2014). En arts visuels, les expositions sur les formes d’existants se multiplient comme les artistes et les œuvres s’y référant (voir par exemple, dans les  dernières années, les productions visuelles, performatives, plastiques ou vidéos de : Richard Salomon, Tomas Saraceno, Julie Andreyev, Pierre Huyghe, Roseline de Thélin, Philippe Parreno, Marion Laval-Jeantet, Patricia Piccinini, Camille Henrot, Michel Blazy, Huang Yong Ping, Ernesto Neto, Wangechi Mutu, Tim Ulrichs, Fabrice Langlade, Chui Chi, Nicolas Darrot, etc.).