Questions de société
Compte rendu de l'entretien accordé à la Coordination Concours Lettres par le Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche

Compte rendu de l'entretien accordé à la Coordination Concours Lettres par le Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche

Publié le par Sophie Rabau



Compte rendu de l'entretien accordé à la Coordination Concours Lettrespar le Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherchele 23 février 2008 (14h15-15h20)
MmeBéatrice GUION, Secrétaire de la Société d'étude du XVIIe siècle(SEDS), Professeur à l'Université de Strasbourg, et M. Jean VIGNES,Président de la Société française d'étude du XVIIIe siècle (SFDES),Professeur à l'Université de Paris Diderot (Paris 7), ont été reçus auMESR par M. Thierry COULHON, Conseiller spécial auprès de la Ministre,et Mme Bénédicte DURAND, Conseillère chargée des sciences humaines.
Nousavons remis à nos interlocuteurs le document suivant où sont exposésles cinq points que nous avons développés oralement devant eux.
1) Qui nous sommes
La Coordination Concours Lettres regroupe à ce jour sept sociétés savantes :Société de Langue et Littérature Médiévales d'Oc et d'OïlSociété Française d'Étude du Seizième SiècleSociété d'Étude du Dix-septième SiècleSociété Française d'Étude du Dix-huitième SiècleSociété des Études Romantiques et Dix-neuviémistesSociété d'Etude de la Littérature française du XXe siècleSociété Française de Littérature Générale et Comparée.
Notrecoordination de sociétés savantes universitaires s'est constituée pourmener une réflexion sur la réforme des concours de recrutement enlettres et leur « mastérisation ». Nous revendiquons une légitimité àla fois scientifique et pédagogique pour en parler ; plusieurs de nossociétés sont notamment les interlocuteurs privilégiés de la commissionde choix des programmes des concours existants.Nousne refusons pas toute réforme par principe ; bien au contraire, nouspensons nécessaire la réforme des concours et ne sommes pas hostiles auprincipe de la mastérisation, à condition qu'elle repose sur un accordde la communauté scientifique que nous représentons, qu'elle respecteles principes démocratiques qui sont les nôtres et qu'elle ne débouchepas sur un tarissement de la recherche et une mise en concurrence desuniversités. Nous réclamons depuis le printemps dernier une véritableconcertation. Des principes et des propositions ont été formulés parnotre coordination auprès de M. Darcos. Ils ont fait l'objetd'entrevues avec son conseiller M. Sherringham (15 juillet et 3 octobre2008). Des membres du cabinet de Mme Pécresse, Mme Bénédicte Durand etMme Campion, nous ont aussi accordé deux entretiens (21 juillet et 3décembre 2008). Un nouvel entretien avec M. Darcos ou M. Sherringhamnous a été annoncé par celui-ci au téléphone le 9 février mais n'a pasencore été programmé. Nous avons donné de notre temps sans compterparce que nous sommes convaincus de l'importance des enjeux. Mais nosdemandes et nos avertissements n'ont pas été entendus à ce jour. Lesprojets présentés ne tiennent pas compte de nos conseils.
2) Nous sommes non seulement déçus mais choquésAulieu du débat constructif que nous espérions, on a tenté de nousimposer sans véritable concertation une réforme précipitée dont toutela communauté scientifique, toutes sensibilités politiques confondues,s'accorde aujourd'hui à dénoncer les conséquences désastreuses pourl'enseignement et la recherche.Faceaux protestations qui s'élèvent de toutes parts, M. Darcos a répondu le12 février par des provocations qui nous indignent (« moi je n'ai pasabsolument besoin d'entrer dans des discussions sibyllines avec lespréparateurs à mes concours. Je suis recruteur. Je définis les concoursdont j'ai besoin. (…) Après, chacun nous suit ou pas. »).
3)Néanmoins, nous ne perdons pas espoir d'être finalement entendus, carnous ne sommes pas seuls. Si nous avons été parmi les premiers àmanifester notre inquiétude, nous nous sentons aujourd'hui de moins enmoins seuls. Les positions que nous avons toujours défendues ont ététardivement mais clairement rejointes par la CPU dans sa déclarationsur la mastérisation de la formation des enseignants votée le19/02/2009 :Laformation des enseignants est un enjeu fondamental pour une Républiquesoucieuse de promouvoir l'égalité de chances et l'élévation du niveaudes connaissances de tous les citoyens. C'est pourquoi, les Présidentsd'Université réaffirment leur attachement de fond à une formation desenseignants professionnalisée et universitaire. C'est pourquoi le CA dela CPU, réuni le 12 février, a demandé le report d'un an des nouveauxconcours. Les conditions dans lesquelles la mastérisation de laformation des enseignants est conduite ne permettent en effet pasd'atteindre les objectifs auxquels doit répondre une telle formationuniversitaire.Lesuniversités ont attendu jusqu'à la fin décembre les maquettes deconcours, les premières précisions sur les stages n'ont été donnéesqu'à la mi-janvier et aucun texte n'est encore sorti sur les conditionsde l'alternance pendant les premières années d'exercice du métier.Lesdifficultés actuelles au sein des universités et la vigueur des débatsnécessitent une réflexion plus sereine au niveau national, comme auniveau local, associant l'ensemble de la communauté universitaire.
C'est pourquoi la conférence plénière exige fermement des garanties et des réponses sur les points suivants :1.la mise en place immédiate d'une commission nationale chargéed'élaborer, dans la concertation, un cadre commun de formation, dedéfinir les contenus et les modalités des concours et de veiller à lacohérence de l'ensemble du dispositif et à son évolution.2. un système de bourses lisible et incitatif permettant l'accès de toutes et tous à la profession d'enseignant,3. une première année de fonctionnaire stagiaire pour les reçus au concours, reposant sur le principe de l'alternance,4. une présentation claire du dispositif des stages, de leurs objectifs et de leurs conditions d'indemnisation.5. les moyens humains nécessaires à l'encadrement de cette formation
LaCPU plénière se réunira, de façon exceptionnelle, le 5 mars pouranalyser les réponses obtenues par le bureau et prendre une positioncollective.D'ici là, la CPU demande aux présidents de suspendre toute remontée de maquettes ou de lettres d'intention.Texte adopté à l'unanimité par l'assemblée plénière de la CPU. Moins deux abstentions

4) Ce que nous demandons à notre tour aujourd'hui en tant qu'enseignants et chercheurs en littérature
1. En finir avec la précipitationLereport d'un an de la réforme des concours et de la mastérisation noussemble à ce stade la seule solution permettant une remise à plat dudossier et une véritable concertation (quant au contenu du concours,dans un premier temps, puis quant à l'organisation des futurs mastersdans un second temps). Aujourd'hui, la première étape du processus estencore loin d'être accomplie : on en est encore au stade de « documentsde travail » officieux, dont on ne sait au juste par qui et comment ilsont été élaborés, et qui ne tiennent aucun compte de nos demandes. Ilsne nous permettent pas d'élaborer des « maquettes » précises conformesà la vision que nous avons de notre mission.
2. Associer la communauté scientifique au débatNousdemandons à être partie prenante de véritables négociations. Nousvoulons être reconnus comme des interlocuteurs à part entière, êtreinformés du calendrier, des étapes et des acteurs de la réforme, êtreinvités en tant que spécialistes dans les commissions qui auront àprendre les décisions, y être pleinement associés sans  avoir àsolliciter des rendez-vous. Nous demandons la reconnaissance de notrelégitimité scientifique, de notre expérience pédagogique et de notrereprésentativité dans le monde universitaire.
3. Procéder avec méthodeIlnous semble indispensable d'articuler (et non de dissocier) laréflexion sur le contenu du concours et celle portant sur le contenudes masters d'enseignement. Il est impossible de concevoir, pour lesmêmes étudiants, la maquette d'un master enseignement, sans être fixésur le contenu précis du concours qu'ils prépareront. Cettearticulation est vitale pour les disciplines qui, comme l'ancienfrançais, faisaient jusqu'ici l'objet d'une épreuve spécifique,aujourd'hui dangereusement remise en question. L'expérience montremalheureusement que, dans un certain nombre d'établissements qui ontréfléchi à la mise en place de maquettes pour les futurs mastersd'enseignement, l'absence, au sein des épreuves de l'actuel projet deconcours, de certaines disciplines, pourtant essentielles à laformation généraliste d'un enseignant de lettres du secondaire, loin deconduire à une présence plus marquée de ces disciplines dans lesmaquettes, signe au contraire leur arrêt de mort.Noussouhaitons donc pouvoir rencontrer conjointement des interlocuteurs desdeux ministères dans les réunions, afin de n'être pas ballottés de l'unà l'autre (chacun renvoyant à l'autre la responsabilité des décisionsqui fâchent), et surtout afin que la mastérisation des concours ne sefasse pas au détriment de la recherche universitaire.
4. Mettre en place de vrais concours disciplinairesNousdemandons un concours national, qui fonde la sélection des candidatssur leurs connaissances disciplinaires, évaluées par des universitairesspécialistes des disciplines concernées. L'allongement de la phase depréparation du concours doit être l'occasion d'un renforcement desexigences disciplinaires et non de leur affaiblissement, ou d'unerestriction du champ des disciplines étudiées. L'enseignementproprement didactique devra être placé en aval, dans une année de stagepratique en alternance, dont on ne saurait faire l'économie. C'est aucours de cette année de stage que pourra être vérifiée si besoin la «connaissance du système éducatif ».Outreles disciplines centrales que sont, pour un futur professeur defrançais, la langue et la littérature françaises, le concours doitfaire place à des disciplines secondaires en termes de coefficient,mais néanmoins indispensables pour fonder le socle culturel etlinguistique d'un bon enseignant : l'ancien français (et éventuellementle latin) et une langue vivante étrangère. Nous demandons que lesenseignants de ces  matières soient consultés pour décider de lamanière idoine d'évaluer  les connaissances des candidats.Etantdonné que la dissertation générale demande aux candidats de  mobiliserleurs connaissances en littérature française mais aussi, à  l'occasion,en littératures étrangères, nous estimons souhaitable de prévoir unenseignement de littérature comparée dans le cadre de lapréparation au CAPES de lettres modernes.C'estsur la base de ce concours national, aux exigences disciplinaireslarges et clairement établies (par un programme spécifique plusexigeant que celui du baccalauréat ou de la licence), que pourra êtrerédigé le cahier des charges précis qui permettra ensuite à chaqueuniversité de préparer les « maquettes » du master enseignement, et auministère de les valider.Nousexigeons le maintien de l'année de stage rémunéré. Nous proposons debasculer les épreuves de  connaissance du système éducatif sur cetteannée pour alléger les épreuves du concours (et donc la préparationuniversitaire) de  tout contenu autre que disciplinaire. L'année destage (sixième de fait et  titularisante) pourrait être une annéed'enseignement à mi-temps (contre 1/3 de temps actuellement) avec unenseignement de type IUFM  dispensé quelques heures par semaine et unsuivi par des tuteurs.Ilfaut aussi écarter explicitement le spectre d'un concours derecrutement établissant des listes d'aptitude, donc ne garantissant pasle recrutement et la titularisation en tant que fonctionnaires descandidats reçus au concours.Nousdemandons la confirmation du maintien de l'agrégation et unéclaircissement sur les modalités de sa mastérisation éventuelle, quidoit encore faire l'objet d'un vrai débat. Nous sommes favorables à unrenouvellement du programme tous les deux ans, comme cela se fait déjàen littérature comparée.
5. Sauvegarder la recherche en littérature, y compris dans les petites universitésLa mastérisation des concours ne doit pas s'exercer au détriment de la recherche.Unétudiant ne saurait préparer un concours exigeant à visée généraliste,et se consacrer dans le même temps à des stages de pratique pédagogiquetout en menant une véritable recherche en littérature, qui suppose deslectures abondantes et spécialisées, des séjours en bibliothèque, untravail de conceptualisation et d'écriture. Qui trop embrasse malétreint. Un master d'enseignement répondant à l'objectif  d' « offrirun parcours […] professionnalisant » aux métiers de l'enseignement nesaurait en même temps « préparer les étudiants au doctorat » (lettrecirculaire, p. 1). Nous considérons comme un voeu pieux le souhait que «ce mode de « mastérisation » ne réduise pas le vivier des chercheursappelés à poursuivre formation et recherche au-delà du master » (ibid.,p. 1).Leprojet actuel a pour effet pervers de priver d'une véritable initiationà la recherche tous les candidats aux métiers de l'enseignement. Larecherche ne sera plus qu'une composante subalterne du masterd'enseignement (un « mini-mémoire » n'est pas une « recherche » dignede ce nom) ; et les « masters recherche » tels que nous les connaissonsaujourd'hui n'attireront plus qu'un très petit nombre d'étudiantspuisque ceux qui voudront légitimement s'assurer un débouchéprofessionnel par la préparation d'un concours, se verront obligés des'inscrire dans les parcours « Enseignement » et seront ainsi privés dutemps nécessaire à la recherche. On peut craindre que la plupart desuniversités se voient rapidement privées de master recherche, fauted'un nombre suffisants d'inscrits.Ilest donc indispensable, pour l'avenir de la recherche et de chaqueuniversité, d'offrir aux meilleurs étudiants, aux futursenseignants-chercheurs, l'occasion de s'initier réellement à unerecherche approfondie sans pour autant se couper de la professionenseignante. La solution, évoquée lors d'un précédent entretien, selonlaquelle un professeur certifié, titulaire d'un master d'enseignement,pourrait s'inscrire en master recherche et faire « un second M2assimilable à l'ancien DEA » paraît inconciliable avec les principesgénéraux de la réforme LMD. Un master de lettres est un master delettres, quelle qu'en soit la spécialité ou la mention. La question despasserelles entre enseignement et recherche reste donc à repenser, demême que celle de l'itinéraire pédagogique entre l'obtention de lalicence et l'inscription en préparation à l'agrégation.
Conclusion
Unmoratoire d'application pour la mastérisation semble aujourd'huiindispensable. Il n'aura de sens et d'effet que s'il permet unediscussion véritable sur l'évolution des concours et des formations, enamont de la création de nouvelles maquettes.
***
Voici en substance les principales réponses qui nous ont été faites.
LeMinistère travaille toujours dans la perspective de la mise en place dunouveau concours en 2010 et des nouveaux masters à la prochainerentrée. Le report du nouveau concours à 2011 n'est pas envisagé.Onnous a demandé si nous serions prêts à rendre les maquettes pour le 15juillet 2009 au cas où les cinq demandes formulées par la CPU le 19février seraient satisfaites le 5 mars. Nous avons répondu que, pourles raisons exposées plus haut, cela ne nous paraissait pas réalisable.Nosinterlocuteurs ont admis l'impossibilité de réaliser des maquettes tantque le calendrier des stages n'est pas clairement établi. Ils n'ont passous-estimé les « difficultés techniques », jusqu'ici non résolues, quesoulève cette question.Surle contenu des épreuves du nouveau concours (qui, de fait, ne sont pasde leur ressort), nos interlocuteurs se sont montrés très prudents. Ilsnous ont avoué ignorer le contenu des épreuves de l'actuel concours,qui ne figurent pas sur les documents en leur possession.Lasolution, évoquée lors d'un précédent entretien, selon laquelle unprofesseur certifié, titulaire d'un master d'enseignement, pourraits'inscrire par la suite en master recherche et faire « un second M2assimilable à l'ancien DEA », a encore été proposée par nos deuxinterlocuteurs.Ilsont admis l'impossibilité de faire en même temps un master enseignementà visée généraliste et une véritable recherche en littérature. D'où lasolution qu'ils proposent : exclure la recherche du master enseignement(puisque, selon nos interlocuteurs, l'initiation à la recherche n'estpas réellement nécessaire aux candidats au CAPES), et maintenir lemaster recherche comme propédeutique à l'agrégation et au doctorat. Laquestion de la mastérisation de l'agrégation ne semble pas à l'ordre dujour.MmeDurand a également émis l'hypothèse que les titulaires d'un masterenseignement recalés au concours puissent préparer ensuite un masterrecherche. Des personnes « incapables d'enseigner dans un collège deZEP » peuvent devenir de très bons chercheurs.L'idéede base de la réforme reste que « les universités vont avoir la main »pour concevoir des masters variés qui prendront en charge lesenseignements mais aussi les évaluations disciplinaires.

Jean VignesProfesseur à l'Université de Paris 7je.vignes@free.fr