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Le corps contemporain et l’espace vécu : entre imaginaire et expérience (UQAM)

Le corps contemporain et l’espace vécu : entre imaginaire et expérience (UQAM)

Publié le par Marc Escola (Source : Sara Bédard-Goulet)

Colloque

Le corps contemporain et l’espace vécu : entre imaginaire et expérience

25, 26 et 27 novembre 2016

Le « tournant spatial[1] » des sciences humaines amorcé dans les années 1980 marque toujours le paysage de la recherche universitaire par l’attention portée à l’espace et ses représentations. L’intérêt croissant suscité par les dispositifs[2] et leur manière d’organiser l’espace souligne le souci récent de penser l’humain dans son rapport à son environnement. Par ailleurs, la réflexion écologique sur le lieu vécu, inscrite dans les travaux de Michel de Certeau sur l’habiter[3] et autour de laquelle se sont constituées notamment l’écopoétique[4], la géopoétique[5] et la géocritique[6], n’est pas sans lien avec la place importante accordée au corps dans les études actuelles. Le corps, considéré comme terreau de la conscience depuis Merleau-Ponty ou encore comme trait d’union fondamental entre soi et l’autre (du « moi-peau[7] » de Didier Anzieu au « corps parlant[8] » de Jacques-Alain Miller), y est interrogé sous toutes ses formes, gestes, déplacements, dans des registres variés – symbole, image, objet – et selon des points de vue propres à chaque discipline, dont l’anthropologie avec les travaux fondateurs de David Le Breton[9]. Ces interrogations soulignent à nouveaux frais la portée des pratiques corporelles, dont Marcel Mauss inaugurait l’étude ethnologique avec son analyse des techniques du corps[10], et, indirectement, des manières d’être au monde spécifiques à chacun.

Ce colloque vise à interroger les rapports entre le corps contemporain et l’espace, dans l’expérience que fait le sujet humain des lieux qu’il occupe, qu’il s’approprie ou qu’il subit, et qui lui servent à aménager son monde. On s’intéressera au jeu qui s’articule dans le corps entre l’espace physique et le lieu vécu, à l’expérience à la fois concrète et culturellement construite de l’environnement par le sujet humain. Aussi, notre réflexion se nourrira-t-elle des tensions qui existent entre la position géopoétique qui met l’accent sur les phénomènes réels et la vision postmoderniste de la représentation, autoréférentielle dans son travail de citation, recyclage et mélange de formes préexistantes. La notion d’expérience, telle qu’elle a été pensée par la phénoménologie, par exemple, mais aussi par la philosophie pragmatiste, nous semble être une riche piste pour repenser de manière dynamique ces oppositions.

Partant du point de vue des études littéraires, mais dans un dialogue essentiel avec les autres disciplines des arts et des sciences humaines, on souhaite questionner les représentations et mises en scène du corps contemporain afin de comprendre comment celui-ci se construit en interaction avec l’espace. Quelles relations le corps entretient-il avec son environnement ? En quoi celles-ci sont-elles constituantes ou déstructurantes pour le sujet ? Comment s’élaborent-elles et se manifestent-elles ? Quels imaginaires du corps et de son rapport à l’espace sont véhiculés par les représentations artistiques et littéraires ?

Entre autres formes de rapport à l’espace peuvent être envisagés les quatre axes de réflexion (non exhaustifs) suivants :

  • Expérimentation et alternative

Avec les prises de conscience successives des effets délétères du rapport de l’humain à son environnement dans un monde guidé par l’économie de marché, on observe de nombreuses pratiques qui témoignent d’une volonté d’établir une relation plus intégrée à l’espace où l’on vit. Néanmoins, les productions littéraires et culturelles dominantes, à l’image des films hollywoodiens catastrophistes, comme celle plus marginales, tel un certain courant des arts actuels (théâtre, danse, arts visuels et médiatiques), favorisent l’imaginaire d’un monde alternatif dystopique, limitant ainsi la possibilité de concevoir un rapport à celui-ci et à ses habitants plus écologique. Y aurait-il, malgré tout, des propositions capables de déplacer la position du corps dans l’espace telle qu’elle revient avec insistance dans l’imaginaire occidental actuel, c’est-à-dire d’un corps tout-puissant dans un espace sous occupation ?

  • Appareillage et agencement

L’individu occidental appareillé, qui ne fait pas un pas sans ses prolongements technologiques (c’est littéralement le cas pour les utilisateurs de traqueurs d’activité) fait nécessairement preuve d’un rapport différent à l’espace. L’aménagement croissant des lieux, autant naturels qu’urbains, dénote aussi d’une manière d’accommoder le monde aux corps qui s’y déplacent. Le renouvellement d’une littérature descriptive, portant son attention sur les objets de production qui nous entourent souligne ce phénomène, comme c’est le cas dans le roman La Femme parfaite (1995) de Patrick Delville. Les créations de la chorégraphe Marie Chouinard illustrent aussi, en danse, la manière dont des prothèses diverses transforment notre gestuelle et notre appréhension du monde.

  • Flottement et chute

Pour la psychanalyse[11], les corps d’aujourd’hui, désormais privés de liens aux autres et en manque de symbolisation, flotteraient librement dans l’espace, offrant une liberté à la fois inédite et effrayante au sujet qui doit redéployer son rapport au monde. L’imaginaire du corps contemporain est aussi marqué par le motif de la chute, largement exploré dans des œuvres littéraires comme, par exemple, le roman Les Grandes blondes (1995) de Jean Echenoz ou plastiques comme le travail de Peter Land en art vidéo.

  • Contenance et intermédiarité

Du corps comme vêtement charnel de l’esprit au moi-peau, la contenance a longtemps dominé les réflexions sur le corps. Or, on souhaiterait ici s’attarder à la réalité humaine de construire des lieux psychiques en fonction de l’environnement, servant d’intermédiaire entre l’intérieur et l’extérieur[12]. Entremêlés avec le corps, ceux-ci peuvent être le lieu d’expériences fortes de résonance avec un endroit, comme le décrit Nan Shepherd dans The Living Moutain (1977), mais aussi d’inadéquation, comme peuvent l’exprimer les œuvres du plasticien Absalon.

Modalités de soumission

L’appel à communication est ouvert aux différentes disciplines des sciences humaines, littéraires et artistiques afin d’éclairer, dans les représentations du corps contemporain, les relations que celui-ci entretient avec l’espace. Les propositions de communication doivent comprendre les informations suivantes :

  • Prénom(s) et nom(s) des auteurs
  • Affiliation(s) et statut(s)
  • Titre de l’intervention
  • Résumé d’un maximum de 250 mots
  • Une notice biographique des auteurs d’un maximum de 60 mots, indiquant leur discipline(s) et leurs domaines de recherche

Elles doivent être envoyées en version électronique (en format .doc, .docx ou .pdf) à l’organisatrice (sara.bedard.goulet@gmail.com) au plus tard le 1er avril 2016. Les décisions du comité seront transmises aux participants le 15 juin 2016.

En collaboration avec Figura, le centre de recherche sur le texte et l’imaginaire de l’Université du Québec à Montréal et le Musée d’art contemporain des Laurentides à Saint-Jérôme, le colloque aurait lieu au Musée d’art contemporain des Laurentides les 25, 26 et 27 novembre 2016. Les communications pourront donner lieu à une publication dans une revue avec comité de lecture.

Comité scientifique :

  • Rachel Bouvet (UQAM)
  • Véronique Cnokaert (UQAM)

 

[1] Collot Michel, « Le tournant spatial », Pour une géographie littéraire, Paris, Corti, 2014, p. 15-37.

[2] Voir notamment Agamben Giorgio, Qu’est-ce qu’un dispositif ?, Paris, Payot & Rivages, 2007 et les travaux du laboratoire LLA-CRÉATIS : http://lla-creatis.univ-tlse2.fr/accueil/publications/dernieres-publications-collectives/dernieres-publications-collectives-63164.kjsp?RH=1270125582161

[3] de Certeau Michel, « Pratiques d’espace », L’invention du quotidien 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1990, p. 139-191.

[4] Voir Schoentjes Pierre, Ce qui a lieu. Essai d’écopoétique, Marseille, Wildproject, 2015.

[5] Voir notamment Bouvet Rachel, Vers une approche géopoétique. Lectures de Kenneth White, Victor Segalen, Jean-Marie Le Clézio, Montréal, Presses de l’Université du Québec, 2015 et Collot Michel, La Pensée-paysage. Philosophie, arts, littérature, Arles, Actes Sud, 2011.

[6] Voir Westphal Bertrand, La Géocritique. Réel, fiction, espace, Paris, Minuit, 2007.

[7] Anzieu Didier, Le Moi-peau, Paris, Dunod, 1995.

[8] Miller Jacques-Alain, « L’inconscient et le corps parlant », Association mondiale de psychanalyse, http://www.wapol.org/fr/articulos/Template.asp?intTipoPagina=4&intPublicacion=13&intEdicion=9&intIdiomaPublicacion=5&intArticulo=2742&intIdiomaArticulo=5 (consulté le 19/11/2015)

[9] Voir notamment Le Breton David, Anthropologie du corps et de la modernité, 6ième édition, Paris, PUF, coll. « Quadrige essais débats », 2011.

[10] Mauss Marcel, « Les techniques du corps », Journal de psychologie, vol. 32, n°3-4, 1936.

[11] Voir notamment Pommier Gérard, Les Corps angéliques de la postmodernité, Paris, Calmann-Lévy, 2000 ; Dufour, Dany-Robert, L’Art de réduire les têtes. Sur la nouvelle servitude de l’homme libéré à l’ère du capitalisme total, Paris, Denoël, 2003 ; Melman Charles, La Nouvelle économie psychique. La façon de penser et de jouir aujourd'hui, Ramonville, Érès, coll. « Humus », 2009.

[12] On peut notamment penser au concept d’aire transitionnelle, dans Winnicott Donald, Jeu et réalité. L’espace potentiel, Paris, Gallimard, 2002.