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La Guerre d’Algérie, le sexe et l’effroi

La Guerre d’Algérie, le sexe et l’effroi

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Catherine Brun)

La Guerre d’Algérie, le sexe et l’effroi

APPEL À COMMUNICATION/CALL FOR PAPERS

 

Colloque organisé par Catherine Brun et Todd Shepard

Sorbonne nouvelle – Paris 3 (EA 4400 « Écritures de la modernité, Littérature et sciences humaines » / CNRS) et Johns Hopkins University (Program for the Study of Women, Gender, and Sexuality), en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France et l’Institut du Monde Arabe.

Comité scientifique :

Catherine Brun (Paris 3, Littérature), Jean-Pierre Bertin-Maghit (Paris 3, Cinéma), Carolyn Dean (Yale University, Histoire), Eric Fassin (Paris 8, Sociologie), Ann Laura Stoler (New School, NYC, Anthropologie), Jean-Michel Hirt (Paris 13, Psychanalyse), Abderrahmane Moussaoui (Lyon 2, Anthropologie), Tiphaine Samoyault (Paris 3, Littérature comparée), Todd Shepard (Johns Hopkins, Histoire), Judith Surkis (Rutgers, Histoire), Joan Tumblety (University of Southampton, UK, French Studies), François Zabbal (Rédacteur en chef Qantara).

Argumentaire

Stéphane Audoin-Rouzeau a souligné le paradoxe que constitue la survie du stéréotype de virilité corporelle et morale du combattant, alors que les guerres occidentales du XXe siècle ont « démembré » l’homme en portant atteinte aux formes de la masculinité traditionnelle, avec une virulence encore accrue quand était déniée à l’ennemi l’appartenance à une humanité commune[1]. La guerre dite « d’Algérie » côté français, « de libération nationale » côté algérien, pourrait en être le parangon : exacerbation des postures viriles et des appels à l’honneur d’une part, multiplication des atteintes à leur siège de l’autre. Les représentations sexuelles obsèdent les discours et les figurations. Ce colloque, international et pluridisciplinaire, voudrait interroger, au-delà de la sexualisation attachée à tout épisode belliqueux, cette omniprésence du sexe dans les représentations de la guerre d’Algérie. Si des travaux existent, qui ont tenté de dire la réalité des exactions, et plus particulièrement de la torture[2] et des viols[3], peu prennent pour objet la sexualisation du conflit, qu’il s’agisse de féminiser l’ennemi ou de surviriliser le pouvoir[4].  Or viols (des femmes comme des hommes), émasculations, bâtardises, exacerbations viriles, tortures ciblées, outrages sexuels des cadavres, commerces des corps ne sont pas simplement des lieux communs des guerres.

Ils méritent d’être recontextualisés, d’être resitués entre la stigmatisation de « l’impulsivité criminelle chez l’indigène algérien », caractéristique de la psychiatrie coloniale de l’École d’Alger, qui construit la figure de sauvages amoraux, primitifs et violents[5], et les anathèmes des Cassandres de « l’invasion arabe », qui postulent à la fin des années 1960 les prétendues perversions des immigrés algériens pour mieux tenir en échec les revendications montantes de révolution sexuelle et politique.

Ils valent d’être spécifiés, et comparés. Les viols de la guerre d’Algérie, pour profanatoires qu’ils aient été, n’ont pas les caractéristiques de ceux perpétrés en ex-Yougoslavie[6]. Les mutilations et exhibitions de cadavres doivent être examinées comme autant de « véhicules discursifs »[7] et la dimension sexuelle des tortures doit être pensée dans sa centralité[8]. L’obsession virile, celle du gain ou de la perte de la puissance, exige d’être appréhendée comme une construction stratégique, politique, symbolique, anthropologique. Rappelons comment les Européens d’Algérie ont pu être accusés de personnifier une « masculinité hors normes », tantôt virile à l’excès, tantôt invertie, de sorte à mieux les distinguer des Français métropolitains et à leur dénier la qualité de « vrais » Français.

C’est donc aux confins des disciplines, entre anthropologie, psychanalyse, littérature, arts de l’image, histoire, qu’il faudra tenter de penser la vectorisation sexuelle de ce conflit, de ses figurations et de ses mémoires – de ses hantises. Quelles représentations du sexe ? de la violence sexuelle ? Quelles constructions identitaires ? génériques ? Quelles genèses et quelles postérités de cette sexualisation massive ? Dans les mémoires, dans l’imaginaire, dans l’organisation socio-politique de la nation ? Quelles singularités et quelles comparaisons ?

Modalités

Les propositions de communication (300-500 mots) sont à envoyer en anglais ou en français à Catherine Brun (catherine.brun@univ-paris3.fr) et Todd Shepard (tshep75@jhu.edu), accompagnées d'un titre et d'une courte notice biobibliographique, avant le 15 juin 2013. Les auteurs seront informés de la décision du comité au plus tard le 30 juillet 2013. Le colloque, qui se déroulera en français à l'automne 2014, donnera lieu à publication.

 

[1] Stéphane Audoin-Rouzeau, « Massacres », in Histoire du corps. 3. Les mutations du regard. Le XXe siècle, Jean-Jacques Courtine (dir.), Seuil, 2006, coll. « Points », 2011, p. 317.

[2] Raphaëlle Branche, La Torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962, Gallimard, 2001, 474 p.

[3] Sur le viol, voir notamment Danièle Djamila Amranne-Minne, « Les femmes face à la violence dans la guerre de libération », Confluences, printemps 1996, p. 87-97 ; Raphaëlle Branche, « Des viols pendant la guerre d’Algérie », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 75, juillet-septembre 2002, p. 123-132 ; Frédéric Rousseau, « Sexes en guerre et guerre des sexes. Les viols durant la guerre d’Algérie (1954-1962) », Deportate, esuli, profughe, n° 10, 2009, p. 29-47.

[4] Citons toutefois, outre certains aspects des travaux de Claire Mauss-Copeaux (Les appelés en Algérie : La parole confisquée, Hachette, 1998), l’article d’Emmanuel Blanchard, « Le Mauvais genre des Algériens. Des hommes sans femme face au virilisme policier dans le Paris d’après-guerre » (CLIO. Histoire, femmes et sociétés [En ligne], 27, 2008, mis en ligne le 5 juin 2010. Dernière consultation le 13 novembre 2012. URL : http://clio.revues.org/7503).

[5] Voir notamment les travaux d’Antoine Porot, « Notes de psychiatrie musulmane », Annales médico-psychologiques, n° 9, mai 1918, p. 377-384 et, avec D.-C. Arii, « L’impulsivité criminelle chez l’indigène algérien », Annales médico-psychologiques, n° 2, Masson, 1932, p. 632-655.

[6] Voir à ce sujet les travaux de Véronique Nahoum-Grappe, « La purification ethnique et les viols systématiques. Ex-Yougoslavie 1991-1995 », CLIO. Histoire, femmes et sociétés [En ligne], 5, 1997, mis en ligne le 1er janvier 2005. Dernière consultation le 5 janvier 2013. URL : http://clio.revues.org/416

[7] Cadavres impensables, cadavres impensés. Approches méthodologiques du traitement des corps dans les violences de masse et les génocides, Elisabeth Anstett et Jean-Marc Dreyfus (dir.), Éditions Pétra, 2013.

[8] « Dans ces séances faites de peurs, de cris, d’odeurs et de douleurs, note Raphaëlle Branche sans s’y attarder, la dimension sexuelle est centrale, physiquement et symboliquement » (La Torture et l’armée, op. cit., p. 333).