Questions de société
CNRS, Bilderberg, Trilatérale. et faillite de l'idéologie « gestionnaire » (blog d'Indépendance des chercheurs 26/05/09)

CNRS, Bilderberg, Trilatérale. et faillite de l'idéologie « gestionnaire » (blog d'Indépendance des chercheurs 26/05/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Sur le blog La Science au XXI Siècle

Blog international du Collectif « Indépendance des Chercheurs » (France)

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CNRS, Bilderberg, Trilatérale... et faillite de l'idéologie « gestionnaire » (I) - 26.05.2009

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Le mardi 26 mai, le site du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) invite la presse à l'inauguration(le 3 juin) d'une chaire commune à cet organisme, à l'EcolePolytechnique et à la multinationale Microsoft. Un partenariat deprivatisation de la recherche, conforme à la politique «gestionnaire » progressivement mise en place depuis les années 1980.L'avenir du CNRS apparaît plus que jamais compromis, au point qu'aucuneinformation ne semble filtrer sur les moyens dont disposera vraimentl'établissement dans les années à venir. Pourtant, le lundi 25 mai, lemembre de la Commission Trilatérale Dominique Moïsi, conseiller spécialde l'IFRI (Institut Français de Relations Internationales) et professeur à l'Université de Harvard, reconnaissait tacitement dans Les Echos l'échecde cette politique en décrivant la situation actuelle des Etats-Unis.Il semble que le même constat de faillite ait été dressé il y a unedizaine de jours à Athènes, à la réunion du Groupe de Bilderberg dontun membre du Comité directeur, Thierry de Montbrial, est fondateur etdirecteur général de l'IFRI. De fait, les auteurs intellectuels etpolitiques de la logique « gestionnaire » admettent à présent lecaractère néfaste de ses resultats. Mais la fuite en avant se poursuiten dépit de toutes les évidences.

L'avenir de larecherche scientifique française apparaît de plus en plus sombre. Lesnouvelles récentes ne sont pas de nature à en rassurer les agents, pasplus que les usagers. Aussi surréaliste que cela puisse paraître, leConseil d'Administration (CA) du CNRS devrait se réunir dans un mois enterritoire étranger pour approuver un contrat d'objectifs sur cinq ansdont le budget lui est inconnu. Que prépare le gouvernement ?

Telleest la situation sans précédent à laquelle se trouvent confrontésactuellement les élus au CA du CNRS, un mois avant une séance de ceConseil qui devrait avoir lieu le 25 juin au CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), sur le site de Meyrin (Suisse).

Toutse passe comme si le CA du CNRS cherchait à s'éloigner au maximum de lamajorité des personnels de l'organisme, même si certains d'entre euxtravaillent au CERN.

D'où le communiqué diffusé lundi par les élus (ANNEXE 1).

Mêmes'il paraît impossible de souscrire à la mythologie récurrente du «travail en équipe » que développe encore ce communiqué et qui, toutcompte fait, nous ramène à la même idéologie « gestionnaire » dusystème auquel les élus déclarent s'opposer, il n'en reste pas moinsque :

  • i) les conditions dans lesquelles est convoquée cette réunion du CA du CNRS sont clairement inacceptables ;
  • ii)contrairement à ce qu'exprime à tort le communiqué des élus, lacontractualisation des organismes et des laboratoires constitue avanttout une forme d'embrigadement et porte atteinte à l'indépendance dechaque chercheur.

Opposer le travail « individuel » autravail « en équipe », comme si ce type de modalités du fonctionnementde la recherche ne devait pas dépendre de la nature même des recherchesentreprises ou envisagées, relève de la pure métaphysique. Impossiblede suivre les élus sur ce point.

C'est cependant un vieuxproblème, car déjà dans les années 1988-1993 et bien avant la stratégiede Lisbonne de mars 2000, la direction du CNRS avait entreprisd'assimiler le laboratoire à une prétendue « unité de production ».Notion « gestionnaire » qui dans la pratique était opposée de plus enplus ouvertement à celle de l'indépendance des chercheurs dontgouvernement et hiérarchies ne voulaient pas, et qui s'est accompagnéede la mise en place d'une véritable doctrine de « non financement » : àsavoir, que le CNRS devait au chercheur une affectation et un bureau,mais que pour le reste il appartenait à l'intéressé de trouver lesmoyens pour financer ses recherches.

Le chercheur était ainsiincité à rechercher des financements dans le secteur privé et, souvent,à se placer à cette fin sous la coupe d'un « chef » influent disposantdes « relations » nécessaires pour « obtenir de l'argent ». Le résultatd'une telle logique brutalement « managériale » a été une emprisecroissante des multinationales sur des secteurs essentiels de larecherche publique française.

Cette influence des intérêtsprivés a conduit à la délocalisation d'activités de recherche de plusen plus importantes, dont les effets se font sentir de plus en pluslourdement.

Pourtant, en mars 2000, au même moment où lastratégie de Lisbonne était adoptée dans un contexte d'applicationprogressive de l'AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services) de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), un rapport de l'Académie des Sciences française lançait déjà un signal d'alarme. Ses auteurs écrivaient que « notrepays, qui occupait une position prééminente dans la production demédicaments pouvant prendre place au niveau international, a vu cetteposition décliner de manière très sensible ». Les causes de cette décadence étant, notamment, les « stratégies de regroupements des entreprises » et la « délocalisation de la recherche ».

Ledébat sur la question du travail de recherche « individuel » ou « enéquipe » s'avère donc plus complexe que ne le laisse entendre lecommuniqué des élus au CA du CNRS.

Toutefois, la question du contrat d'objectifs du CNRS avec l'Etat pour la période 2009-2013,dans le contexte du plan stratégique controversé « Horizon 2020 »,porte sur des problèmes de fond très différents. D'emblée, surl'actuelle mise en cause gouvernementale de l'indépendance deschercheurs et des autres personnels de la recherche publique françaiseen tant qu'agents d'un service public stratégique. Mais pas seulement.

En réalité, il en va en l'espèce de l'avenir même du CNRS en tant qu'organisme public. En pleine période de crise économique, un tel flou financier est très inquiétant.

D'autantplus, que l'actuelle campagne pour les élections au Parlement Européenne fournit guère de renseignements aux électeurs sur la gravité réellede la situation économique des pays dits « occidentaux », alors que lepire est à craindre.

Le 25 mai, Dominique Moïsidressait malgré lui un implacable constat d'échec du système « made inReagan » dans son article intitulé « La dernière arme des Etats-Unis » diffusé par Les Echos.

L'auteur n'hésite même pas à utiliser l'expression « paysage de déclin » à propos du trajet entre Boston et New York.

Moïsiva jusqu'à estimer que des pays comme la Chine et l'Inde, dont lespopulations sont numériquement très supérieures à celle des Etats-Unis,pourront développer des moyens militaires que la superpuissance US « peine à assumer », et que l'Europe ne parviendra pas à mettre en place.

Maisdans ce cas, peut-on raisonnablement qualifier la politique dedélocalisations des deux dernières décennies autrement que de suicidestratégique ? Or, cette politique fut définie et appliquée demanière fort consensuelle par l'ensemble des décideurs des pays «occidentaux ». Les instances du CNRS n'ont pas été elles-mêmes absentesde ce consensus.

Il y a deux ou trois ans encore, les mêmescercles de spécialistes de la « politique unique » qui à présentcraignent une catastrophe vantaient les « excellences » de la politiquede délocalisations et du pouvoir discrétionnaire des « élitesgestionnaires » dans l'ensemble de la société. Quel en est le bilan ?

Lesdébats sur une éventuelle « destruction du dollar » attribués à ladernière conférénce annuelle du Groupe de Bilderberg (voir notrearticle du 22 mai)semblent être allés dans la même direction d'un constat de faillite dela politique appliquée dans les pays « riches » au cours des troisdernières décennies.

Précisément, l'un des organisateurs desconférences de Bilderberg n'est autre que Thierry de Montbrial, dontles liens avec les instances dirigeantes du CNRS ont été fréquentsdepuis les anées 1970.

Sur son curriculum vitae public, Thierry de Montbrial précise notamment avoir été :

- Membre de la Commission Trilatérale (1976-2002)

- Membre du Comité directeur des Bilderberg Meetings (depuis 1976)

- Membre du Conseil consultatif auprès du directeur général de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce), Genève (2003-2005)

- Président du Comité de réflexion du Medef sur l'Avenir du système commercial multilatéral (2004)

- Membre du Conseil d'administration de l'Ecole Polytechnique (1974-1977)

- Membre du Comité National et du Directoire du CNRS (1974-1981)

- Membre du Conseil de Département des Sciences de l'Homme et de la Société du CNRS (1988-1992)

- Membre fondateur de l'Académie des Technologies (2000)

etc...

Maisquel bilan tire à présent l'intéressé sur les nombreuses instances dontil a fait partie ? Même question en ce qui concerne les recherches queThierry de Montbrial déclareavoir effectuées dans les domaines suivants : « économie mathématiqueet économique théorique ; théorie de la décision ; économie appliquée ;analyse du système international (histoire, géographie, économie,politique, sécurité) ».

D'autres chercheurs travaillant en France ont participé aux réunions du groupe de Bilderberg, d'après les listes diffusées.

Cefut le cas à plusieurs reprises (2002-2006, et déjà bien avant) dupolitologue Olivier Roy, directeur de recherche au CNRS et directeurd'études à l'EHESS(Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales). Ou de Bassma Kodmani,directrice de l'Initiative Arabe de Réforme, en 2008. L'actueldirecteur de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, RichardDescoings, y fut invité en 2006. Dominique Moïsi, en 2002, etc...Dominique Strauss-Kahn, qui sur la liste des participants à laconférence de Bilderberg de 2000 apparaissait comme un professeur àl'Université de Paris (à Sciences Po, en réalité), se présentesur le site du FMI (Fonds Monétaire International) comme un chercheursur « le comportement des ménages en matière d'épargne, les financespubliques et la politique sociale ».

Les domaines concernés étaient donc la politique, notamment étrangère, l'économie et la « gestion ».

Enrapport avec la mondialisation, la notion de « gouvernance globale »apparaît explicitement sur le site de l'IFRI, dans un thème où figurentcomme « chercheurs IFRI » Dominique Moïsi, le directeur général Thierry de Montbrial et le co-directeur du rapport RAMSES Philippe Moreau Defarges. Sur la page de RAMSES, le rapport 2009 est présenté avec le titre « Turbulences économiques et géopolitique planétaire ».

Onne peut pas nier l'influence du Groupe de Bilderberg, au vu de larelation des proches collaborateurs de Barack Obama qui se sontdéplacés à Athènes du 14 au 17 mai alors que l'Etat US traverse unesituation particulièrement difficile. Raison de plus pour acter l'échechistorique d'une politique à l'échelle planétaire que ce groupe et laCommission Trilatérale ont largement incarnée, et que tous lesgouvernements de toutes étiquettes politiques des pays « occidentaux »ont appliquée.

Quant au CNRS, il a subi la mêmepolitique depuis les années 1970 qui ont vu les embauches diminuer, laprécarité des scientifiques commencer à se développer et des «personnalités influentes » estimer que l'organisme avait « tropembauché ».

Après une brève parenthèse en 1981-83, la politiquede précarisation de la recherche publique française a repris de plusbelle vers 1984 pour aller de plus en plus loin depuis cette date aunom de la « bonne gestion ». Une véritable stratégie de privatisationet de délocalisation de la recherche s'est installée, conduisant àl'évolution évoquée plus haut.

Or, force est de constater queles mêmes lobbies qui il y a une trentaine d'années véhiculaient etaffichaient cette idéologie « gestionnaire », et qui depuis la décenniesuivante ont soutenu les délocalisations, craignent à présent lespopulations de la Chine, de l'Inde et d'autres pays. Mais cespopulations ne sont pour rien dans leurs combines stratégiquesfoireuses.

Voir aussi nos articles :

Vers une délocalisation générale de la recherche scientifique française et européenne ?

Délocalisations, recherche scientifique et propagande politique

Recherche scientifique et technologique : où est la « guerre économique » ?

Société Générale, fonction publique, privatisations, LOLF et "résultats"

Société Générale : pas de problème pour les hauts responsables

Restructuration du CNRS et privatisation de la recherche

La lettre de Voltaire à Damilaville du 1er avril 1766

Les recommandations de l'OCDE pour la France en 2009 (I)

La Commission Trilatérale et les services publics français (I)

La Commission Trilatérale et les services publics français (II)

Les recommandations de l'OCDE pour la France en 2009 (II)

Les recommandations de l'OCDE pour la France en 2009 (III)

OCDE, travail « informel » et délocalisations

Services publics et adversaires innommables (I)

Services publics et adversaires innommables (II)

Groupe de Bilderberg et silence des médias français

Bilderberg, Trilatérale et transversalité de « gauche »

Bilderberg 2009 : une rencontre des "élites" ?

Indépendance des Chercheurs

http://www.geocities.com/indep_chercheurs

http://fr.blog.360.yahoo.com/indep_chercheurs

http://science21.blogs.courrierinternational.com

Groupes de discussion :

http://groups.yahoo.com/group/problemes_des_scientifiques

http://groups.yahoo.com/group/combatconnaissance

ANNEXE 1 - Suit le communiqué des élus au CA du CNRS difusé le 25 mai :

Communiqué de presse

Un contrat d'objectifs sans moyens pour le CNRS

Déclaration des membres élus du Conseil d'Administration du CNRS

LaDirection du CNRS et le Ministère veulent faire voter le contratd'objectifs entre le CNRS et l'Etat lors du conseil d'administrationdécentralisé qui se tiendra à Genève le 25 juin 2009. Mais dans ladernière version (20 mai 2009) de ce contrat, les moyens ontdéfinitivement disparu, ils sont renvoyés au débat de la loi definances à l'automne. C'est inacceptable !

On nepeut pas envisager que l'organisme s'engage sur 5 ans sur des critèresde performance que le gouvernement lui impose sans aucun engagement del'Etat.

Le CNRS a besoin de moyens financiers ethumains pour mener à bien ses missions de recherche fondamentale. Or,pour le moment, aucun engagement, aucune promesse du gouvernement neviennent démentir la logique de perte des emplois statutaires qui a étéannoncée pour les années 2009, 2010 et 2011. Au moment où commence labaisse des départs en retraite, il n'est pas possible d'offrir auxjeunes scientifiques et techniciens pour seul avenir la précarité d'unCDD sur contrat. Les laboratoires ont besoin de personnels permanents,l'augmentation régulière de la précarité (700 emplois tous les ansdepuis plusieurs années) le prouve.

Par ailleursaucune des remarques faites par les instances scientifiques et lesorganisations syndicales n'a été prise en compte. Ce contrat conduit àune contractualisation hiérarchisée sur des objectifs préfixés qui vade la direction de l'organisme à chaque personnel en passant par lesdirecteurs d'unité. Une telle organisation ne peut que stériliser lacréativité qui est le support de la démarche scientifique, enfavorisant les comportements individualistes au détriment du travail enéquipe.

Les élus des personnels au conseild'administration du CNRS demandent le report à l'automne du vote de cecontrat d'objectifs. Ils appellent les membres des instancesscientifiques à faire du 10 juin une journée de refus et deprotestation. Ils appellent les personnels à se mobiliser contre lessuppressions d'emploi annoncées dans la recherche, et pour un planpluriannuel de création d'emplois scientifiques, techniques etadministratifs.

Paris, le 25 mai 2009

Daniel Steinmetz (SNTRS-CGT), Patrick Monfort (SNCS-FSU), Pierre Girard et Charles-Antoine Arnaud (SGEN-CFDT)

(fin du communiqué)