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Cinéma muet et reconstitution historique

Cinéma muet et reconstitution historique

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Marion Polirsztok)

Journée d'études

 Décembre 2013

Paris 8

EDESTA

EA 2302- ESTCA

Thème : Esthétique de l'archive et Histoire du temps présent

Responsable : Suzanne Liandrat-Guigues, PRU

Organisateurs :

Martial Pisani, doctorant

Marion Polirsztok, doctorante

 

Appel à communication

Cinéma muet et reconstitution historique

 

Les rapports du cinéma et de l'Histoire n'ont jamais été simples. Aux temps du muet, déjà, réalisateurs comme scénaristes puisent abondamment dans l'Histoire pour élaborer décors et intrigues propres à attirer les foules, faisant de la dépense investie dans la reconstitution comme de la référence historique, des arguments de promotion des films. Revendiquant cependant leur droit d'invention devant l'Histoire, les cinéastes et leurs défenseurs entretiennent avec cette dernière un rapport ambivalent.

L'expression de « reconstitution historique » est en effet à double tranchant. En même temps qu’elle confère au cinéma un certain faste, une certaine grandeur auxquels il serait étranger, de par sa technique d’enregistrement notamment, elle connote dans le cinéma du début du XXe siècle une forme de convention qui fait souvent planer sur cette reconstitution le soupçon voire la menace d’un académisme.

Aux exigences de la seule reconstitution, critiques et théoriciens du cinéma préfèrent un point de vue distancié sur un moment ou un fait historique, une réflexion sur la manière de raconter et de filmer l’Histoire. La reconstitution historique charrie avec elle son héritage de spectacle populaire, spectacles de rue avec sons et lumières qui mettent en œuvre toute une pompe commémorative, et que l'on peut répéter puisque cette imagerie historique est figée et qu’on aime à la conserver ainsi. En même temps elle doit être sans cesse réadaptée à chaque génération, tel un remake, car à travers chaque reconstitution transparaît les critères et les modes de son temps dans le jeu et la façon de parler des acteurs, les costumes et les décors, les effets spéciaux et la musique, etc. Les choix de reconstitution d'une époque peuvent vite apparaître démodés, prouvant, par là, si besoin était, que la reconstitution n'est pas seulement la fixation d'un temps ancien mais également le miroir du temps où elle est produite.

La reconstitution historique rejoue les événements marquants d'un pays, d'une nation autour de ses valeurs mythologiques. Si tout film dont la diégèse est antérieure à l'époque de sa création ne met pas nécessairement en jeu la question de la reconstitution, c'est que celle-ci implique une histoire collective et partagée.

Le cinéma muet a hérité de cette question sous différentes formes: actualités reconstituées ; films historiques constituant presque un genre comme par exemple l'histoire de Jeanne d'Arc, voire la passion du Christ ; reprise des mythes nationaux (Terje Vigen, Sjöström, 1917, Les Nibelungen, Fritz Lang, 1924) ; films à grand spectacle des années 1910 et 1920 en Italie (Cabiria, Pastrone, 1914, Quo Vadis en 1913 et 1925...), en Allemagne (Madame DuBarry, E. Lubitsch, 1919), en Suède, au Danemark (Häxän, Benjenmin Christensen, 1922, Blade af Satans Bog, Dreyer, 1920), en France (Les Trois Mousquetaires, Henri-Diamant Berger, 1921, Le Miracle des Loups, Raymond Bernard, 1924), en Autriche (Sodom und Gomorrha, Michael Curtiz, 1922) et bien sûr aux Etats-Unis (Intolerance, Griffith, 1916, The Iron Horse, Ford, 1924, Ben-Hur, Niblo, 1925, The King of Kings, DeMille, 1927), suivant la tradition des pageants.

Cet aspect du cinéma muet peut être étudié à partir des différents domaines des études cinématographiques : Histoire, Histoire culturelle, sociologie, économie du cinéma, etc. Nous voudrions pour cette journée d'étude interroger la dimension esthétique de la reconstitution historique dans le cinéma muet.

Nous faisons l'hypothèse d'au moins trois enjeux esthétiques majeurs :

Premièrement, la reconstitution historique peut être considérée dans sa dimension spectaculaire, avec tout ce qu'elle mobilise : architectures, mobiliers, décors, ornements, costumes, mais aussi les corps, les danses, les foules.

Deuxièmement, si la reconstitution historique suppose un temps déjà unifié par l'Histoire, la mémoire ou les « mythologies nationales », temps à partir duquel les cinéastes construisent leur film, nous nous intéresserons aux œuvres qui ont également la capacité de créer du mouvement dans cette « euchronie » et de troubler la datation du cadre diégétique du film, de créer de l'anachronie. Qu'est-ce qui nous assure que nous sommes bien à telle ou telle époque indiquée ? Ou au contraire, qu'est-ce qui fait naître l'idée que le film touche également à une autre époque, bien souvent contemporaine de la réalisation ? On sera alors attentif aux diverses formes que peut prendre cette reconstitution, ou reconstruction : stratification ou sédimentation des temps, articulation en époques plus ou moins fantaisistes, flottements temporels, opérations de montage organisant la co-présence des histoires...

Enfin, on pourra s'interroger sur la question de savoir de quoi le cinéma muet se fait l'archiviste, en témoignant ainsi d’une ambition historique et esthétique, à la fois dans l'ampleur des histoires racontées et dans la splendeur du spectacle déployé. Il nous semble qu'il y a dans cette entreprise de récréer des mondes disparus et d'embrasser l'histoire de l'humanité, quelque chose ayant à voir avec l'universalité souvent évoquée à propos du cinéma muet. On interrogera ainsi à travers cette question de la reconstitution historique le rapport du cinéma muet à son temps, en passant par l'Histoire : ne fut-ce pas sa façon de s'assigner la tâche d'être l'art du XXe siècle ?

Nous privilégierons les analyses de films ou de cas précis autour de ces trois axes de recherche.

Les propositions sont à remettre avant le 22 septembre 2013, accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, aux adresses mails suivantes :

martialpisani@yahoo.fr

marionpolirsztok@free.fr