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Cinéma et arts de la scène : interférences temporelles

Cinéma et arts de la scène : interférences temporelles

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Ariane Martinez)

Cinéma et Arts de la scène : interférences temporelles

Colloque International

Jeudi 26 février (Valence)

 et vendredi 27 février 2015 (Grenoble)

 

organisé par Robert Bonamy, Didier Coureau,

Ariane Martinez et Julie Valero

 

         Le colloque « Interférences temporelles » se propose d’examiner la manière dont le cinéma (ainsi que la vidéo) et les divers arts de la scène (théâtre, mais aussi danse, cirque, marionnette, mime…) ont pu exercer les uns sur les autres une influence dans leur rapport au temps : vitesses et rythmes variables, longues et courtes durées. Les répercussions de ces phénomènes sur la composition des œuvres, la mise en scène, le jeu de l’acteur, la perception du spectateur y seront abordées.

         Une réflexion sur les temporalités des archives, s’inscrivant dans le cadre de l’ARC 5 « Archives cinématographiques en Rhône-Alpes : entre documents et création », complétera ces questionnements, en occupant une place particulière au sein du colloque (avec des rencontres et des projections organisées). La question du rapport au temps et à la mémoire, posée par les archives – filmiques, vidéographiques… – impliquera également des réflexions d’ordre esthétique sur les choix spécifiques nécessaires à la conservation des traces des spectacles vivants et éphémères.

          Les contributions porteront sur une période étendue, de la fin du XIXe siècle jusqu’au XXIe siècle. Elles ne se cantonneront pas à une sphère géographique précise, ni aux interactions directes, mais pourront montrer que certains procédés temporels peuvent se répondre, d’une culture à l’autre.

 

          Vingt-cinq ans après la publication de L’Image-Temps de Gilles Deleuze, second volume du philosophe consacré au cinéma, il s’agira donc de penser une Image-Temps dans un contexte plus vaste, passant par le cinéma et le regard qu’il porte sur le théâtre et les arts de la scène, et par le théâtre et les arts de la scène eux-mêmes qui, souvent, se réfèrent au cinéma de manière plus ou moins avouée, ou font appel à l’image mouvante de la vidéo ouvrant des espaces virtuels au sein de l’espace scénique.

 

Axe 1 : Vitesses et rythmes variables

          En ce qui concerne la question de la vitesse et du rythme, le cinéma a, dans ses premiers temps, emprunté certaines conventions à la scène (en ménageant un temps d’entrée des personnages ; en montrant au spectateur des scènes, avec un début et une fin, plutôt que des séquences). Mais, une fois que les potentialités du film ont été mises en évidence, ce fut son tour de modifier en profondeur la composition temporelle de la représentation scénique. En effet, on peut lui attribuer – par influence directe ou par analogie – de nombreux procédés rythmiques : noirs plateau assimilés aux coupures du montage (ces « coupures irrationnelles » dont parle Deleuze pour le cinéma « moderne »), immobilisations créant des effets de suspension imités des arrêts sur image, transitions au ralenti transposées des fondus enchaînés (autant de procédés qui étaient déjà au cœur des réflexions des cinéastes des avant-gardes du muet, tels que Jean Epstein et Germaine Dulac).

          Se mouvoir au ralenti permet à l’interprète (acteur, danseur, mime, marionnettiste) de décomposer et de mieux maitriser ses mouvements, mais aussi de transposer le réel. C’est pourquoi cet exercice a été pratiqué dans diverses écoles, des années 1920 à aujourd’hui :

 

Le jeu tendait à la lenteur du ralenti de cinéma, [raconte Étienne Decroux, ancien élève du Vieux-Colombier de Copeau]. Mais alors que celui-ci est un ralentissement des fragments du réel, le nôtre était la production lente d’un geste en lequel beaucoup d’autres étaient synthétisés.[1]

 

          D’autres formes rythmiques inspirées du cinéma ont pu être explorées, ensuite, par Jacques Lecoq dans son exercice des « bandes mimées » qui consiste à « exprimer collectivement des images » et surtout à les enchaîner, en faisant appel à toutes les techniques du cinéma (« les premiers plans, les plans lointains, les illusions, les flash-back ») et au « langage moderne des images, avec ses rythmes, ses fulgurances, ses ellipses »[2].

          Les effets sur la mise en scène de certains choix de vitesses et/ou de rythmes sont notables et constituent parfois la marque distinctive d’un metteur en scène. Il s’agirait d’en analyser les sources et les effets. Le recours à ces variations peut avoir une portée esthétique (sortir d’une temporalité quotidienne), dramaturgique (faire entendre le texte autrement), ou encore idéologique (évoquer la rapidité du temps médiatique par une accélération du rythme des images, ou aller à son encontre). C’est ce que laisse entendre Claude Régy lorsqu’il affirme :

 

Généralement, les gens ont peur dès qu’ils ralentissent et surtout dès qu’ils s’arrêtent parce que l’arrêt se fait sur le vide. Mais c’est le contraire. C’est pendant les arrêts que le vrai plein de l’écriture s’entend si on ne l’a pas dès le départ occulté. […] Lorsqu’on ralentit on déréalise. On renouvelle la vision. On s’ouvre au possible d’une relation universelle.[3]

 

La perception du spectateur est bien entendu affectée par ces effets rythmiques, d’autant qu’ils sont susceptibles d'entrer en contradiction les uns avec les autres (mouvements lents sur musique au tempo rapide, et inversement).

 

Axe 2 : Longues et courtes durées

          Des conceptions temporelles, dans les arts de la scène comme au cinéma, peuvent se fonder sur le choix de privilégier l’esthétique de la longue durée et de la continuité ou, à l’opposé, l’esthétique de la brièveté et de la discontinuité.

           Quand le cinéma s’intéresse au théâtre, il en retient souvent une expérience du corps vu en entier (ce que Serge Daney disait à propos de l’esthétique du cinéma de Jacques Rivette) et, au-delà, de l’espace perçu en entier (scène de théâtre filmée, décor évoquant des décors théâtraux, ou équivalence de la scène découpée dans le réel extérieur) pour, enfin, inscrire corps et espace dans le temps long du plan-séquence, ce que Jean-Claude Biette définissait comme étant le « Théâtre du plan » (en évoquant Monteiro). Le filmage pouvant demeurer dans la fixité, mais aussi se faire mobile, ainsi que les yeux du spectateur de théâtre balayant l’espace de la scène peuvent créer leurs propres cadrages, comme le soulignait Edgar Morin. La perception directe du temps dans l’image, qui caractérise l’Image-Temps deleuzienne se fait ainsi ressentir dans la longue durée du plan, et selon différents processus esthétiques (Rivette, Garrel, Straub et Huillet, Resnais, Duras, Angelopoulos…). Andreï Tarkovski écrivait en ce sens, dans son ouvrage Le Temps scellé : « Le rythme d’un film ne réside […] pas dans la succession métrique de petits morceaux collés bout à bout, mais dans la pression du temps qui s’écoule à l’intérieur même des plans. »[4] La longue durée du plan et la longue durée du film va parfois jusqu’à coïncider avec le temps le plus extrême du théâtre, lorsque Manoel de Oliveira réalise Le Soulier de satin d’après Paul Claudel, en un film d’une durée de 8 heures. 

          Le théâtre et les arts de la scène semblent, au contraire, rechercher aujourd’hui dans le cinéma – la vidéo, la DV – les moyens d’une ouverture sur l’espace extérieur, mais également la possibilité de morceler l’espace et le temps, comme dans un certain type de montage jouant sur la brièveté des plans. Cette attirance pour la courte durée avait déjà connu une première période de forte valorisation dans les premières décennies du XXe siècle. Les auteurs du Manifeste du « Théâtre futuriste synthétique », Marinetti, Corra, Settimelli affirmaient ainsi :

 

Nous sommes convaincus que mécaniquement, à force de brièveté on peut créer un théâtre absolument nouveau en parfaite harmonie avec notre sensibilité moderne, laconique et rapide. Nos pièces n’auront pas d’actes, mais des instants, c’est-à-dire qu’ils dureront quelques secondes. Par cette brièveté essentielle et synthétique, le théâtre futuriste pourra soutenir et même vaincre la concurrence du cinématographe.[5]

 

          Ils en appelaient aussi à transporter cet « effort vivifiant dans une autre zone du théâtre : le cinématographe »[6], moyen se rapprochant le plus de leur « plurisensibilité »[7] revendiquée. Dziga Vertov – inspiré par le Futurisme et le Constructivisme – introduisit jusqu’au sein des représentations théâtrales son cinéma de montage, caractérisé par le collage de plans extrêmement brefs captés par la puissance du « Ciné-œil » : le film L’Homme à la caméra (3000 plans en en heure), étant l’aboutissement de cette théorie. Dans une autre sphère des avant-gardes, le Dadaïsme chercha à faire se rejoindre danse et rythme du montage filmique, par exemple dans le ballet Relâche coordonné par Francis Picabia, avec les Ballets suédois de Rolf de Maré, sur une musique d’Erik Satie, spectacle dans lequel était du reste inséré le film Entracte de René Clair.

          Dans les années 1970, Antoine Vitez proposa comme exercices de style, la « tragédie de cinq minutes » dans laquelle disait-il :

 

Tous les moments d’une œuvre sont ramassés dans un drame de cinq minutes. Ou bien les thèmes d’une œuvre sont montrés dans un seul fragment de cette œuvre, et qui dure cinq minutes. Ainsi, on montre tout Don Juan dans la deuxième scène d’Elvire, ou tout Hamlet dans la scène avec Gertrude.[8]

 

          L'idée est assez proche de celle de Rainer Werner Fassbinder, réduisant une pièce de Ferdinand Bruckner, pour n’en conserver que les entrées et sorties : expérience filmée par Jean-Marie Straub et Danièle Huillet dans La Fiancée, la comédienne et le maquereau. Ce film commençait par ailleurs, à l’inverse, par un travelling infiniment long suivant une voiture – en bordure de la scène de la ville –, accompagné par une musique de Bach. Allongement et rétrécissement du temps (filmique, théâtral) dans un même court métrage.

           Une autre dimension enfin est à prendre en considération, celle de la coprésence de différentes strates temporelles dans une même représentation, ainsi que dans l’Image-Temps pensée par Deleuze. Il convient alors de se demander comment présent et passé peuvent coexister dans les arts de la scène et au cinéma, dans de courtes durées (flashs d’images-souvenirs, images vidéo-projetées) ou dans de longues durées (arpentage de profondes nappes de temps, longue durée verticale du temps, comme dans les pièces de Tchékhov ou les films de Visconti).

 

Axe 3 : Temporalités des archives

          Le rapport de l’archive au temps et à la création induit de nombreux questionnements, notamment en ce qui concerne la conservation de créations scéniques, ou d’étapes de travail, sous forme d’enregistrements filmiques, vidéographiques, numériques, qu’on appelle usuellement « captations ». Il convient d’interroger ce terme, notamment dans ses attendus temporels. Quel temps est ainsi capté (pour peu que le terme soit le bon) ? En quoi avons-nous affaire à des archives à travers ces enregistrements ? Quelle mémoire convoquent-ils ? Ces films sont des documents, tout en étant des objets temporels qui ne sont pas toujours simples à envisager. Ils peuvent comporter à un plus ou moins haut degré des dimensions esthétiques liées à l’œuvre captée comme à la captation même, impliquant ainsi une réflexion théorique singulière.

           De manière différente, des films de fiction sont des prolongements d’œuvres scéniques, avec une autonomie créative. La figure de Raoul Ruiz, cinéaste dont les archives ont récemment été déposées à l’IMEC[9], mène à une piste de recherche. En 1984, Raul Ruiz, invité en résidence à la Maison de la Culture de Grenoble, a filmé le travail des « créateurs Maison », Georges Lavaudant pour le théâtre, Gérard Maimone pour la musique. Plus particulièrement, Ruiz a réalisé des fictions à partir de pièces de théâtre. Son Richard III, réalisé en 1985, est inspiré de la mise en scène de Lavaudant (1984). Le film réunit les comédiens de la pièce de Lavaudant, en plein air, dans les Alpes, à proximité du lac de Monteynard non loin de Grenoble. Ce long métrage réputé obscur et inachevé, est une œuvre à redécouvrir à la faveur des problématiques d’écarts esthétiques et temporels entre arts scéniques et film. Au delà de cet exemple, des études de cas sont attendues, pour peu qu'elles portent sur des reconfigurations possibles des rapports entre le temps du support filmique (qui n'est pas uniquement celui de la conservation) et le temps scénique.

 

         Des temps de projection, qui seront autant de temps de confrontation avec des œuvres rares, feront partie du colloque, en partenariat avec la Cinémathèque de Grenoble et Lux scène nationale.

        

Le colloque « Interférence temporelles » est organisé par le Centre de recherche en Cinéma, Esthétique et Théâtre (CINESTHEA / Traverses 19-21) de l’Université Grenoble 3 – Stendhal. Il se tiendra au Lux – Scène Nationale (Valence) et à la MC2 (Grenoble).

 

Les propositions de communication (2500 signes maximum) ainsi qu’un titre et une biobibliographie sont à envoyer aux adresses suivantes avant le 15 septembre 2014 :

robert.bonamy@u-grenoble3.fr

didier.coureau@u-grenoble3.fr

ariane.martinez@u-grenoble3.fr

julie.valero@u-grenoble3.fr

 

Les réponses du comité scientifique seront données le 15 octobre 2014.

 

COMPOSITION DE COMITE SCIENTIFIQUE :

Sandro BERNARDI, Professeur en Etudes Cinématographiques (Université de Florence).

Joseph DANAN, Professeur en Etudes Théâtrales (Université Paris 3).

Suzanne Liandrat-Guigues, Professeur en Etudes Cinématographiques (Université Paris 8).

Thomas LEABHART, Professeur de théâtre et artiste associé (Pomona College, Claremont, California, Etats-Unis).

Marie-Christine LESAGE, Professeur à l’Ecole Supérieure de Théâtre (UQAM, Montréal).