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Charles Nodier et le roman gothique

Charles Nodier et le roman gothique

Publié le par Marc Escola (Source : Émilie Pezard)

Journée d’études des Cahiers d’Études nodiéristes organisée par Émilie Pezard (ENS Lyon – UMR LIRE) et Georges Zaragoza (Université de Bourgogne – Centre Pluridisciplinaire Textes et Culture) – 15 janvier 2016, Université de Bourgogne

« Cependant rassure-toi : je me suis défendu, pour aujourd’hui, le genre ténébreux. Je ne te promènerai point dans les souterrains d’Anne Radcliffe, à travers les cachots et les cimetières, et je n’enrichirai pas mon récit des sublimes conceptions de nos dramaturges des boulevards. Tu ne verras ici, ni bandits, ni spectres, ni tour du Nord ; et tu me sauras gré d’y avoir ménagé, de mon mieux, l’effusion du sang dont je ne pouvais me passer. »

Cet avertissement qui ouvre le Dernier chapitre de mon roman (1803) est révélateur de l’ampleur de la vogue que connaît, au début du xixe siècle, le « genre ténébreux », que nous appelons aujourd’hui « roman noir » ou « gothique ». L’œuvre de Nodier, dans ses œuvres de fiction comme dans ses textes critiques, illustre de façon exemplaire l’immixtion de la « nouvelle école » naissante, le romantisme, et du roman noir, considéré dans la complexité de ses sources multiples : gothic novel de Lewis et « radcliffades », romantisme noir de Maturin, Schauerroman de Spiess, folklore diabolique alimentant les contes des Demoniana, auxquels s’ajoutent le Schiller des Brigands et, last but not least, Byron. Cette journée d’études vise ainsi à dessiner les contours d’un « Nodier gothique », qui, avec le conteur fantastique plus connu de La Fée aux miettes, permettra de compléter le portrait d’« un des inventeurs du romantisme français » (Jacques-Remi Dahan).

Nodier, écrivain gothique ?

On pourra d’abord s’intéresser à l’intertextualité gothique à l’œuvre dans les textes romanesques et dramatiques de Nodier. Les « couleurs obscures de l’anglomanie » qu’il évoque dans le Dernier chapitre de mon roman sont aussi bien souvent les siennes. Des Proscrits à Séraphine, en passant par Jean Sbogar ou Adèle, les romans de Nodier reprennent plusieurs des topoï du roman gothique : brigand, jeune fille et château. Quant à Mademoiselle de Marsan, ce « n’est guère qu’un roman d’Ann Radcliffe, un roman criblé de trappes et de souterrains[1] », lit-on dans la Revue des deux mondes. Le réinvestissement de ces topoï peut être étudié, dans la lignée des travaux de Jean Larat : quel modèle gothique Nodier reprend-il ? Quels infléchissements lui fait-il subir ? La reprise du modèle est-elle sérieuse ou parodique ?

Traduction et diffusion

Dans ces années 1820, Nodier contribue activement à familiariser le lecteur français avec les littératures étrangères noires : à la suite du Vampire de Polidori attribué à Byron, il crée le mélodrame du Vampire, et donne des « Observations préliminaires » au Lord Ruthwen de Cyprien Bérard ; en 1821, il traduit Bertram, de Maturin. Comment Nodier se situe-t-il par rapport à ces modèles ? Quels rapports, en particulier, entretient-il avec Maturin, ce « chef de l’école frénétique » ? Collin de Plancy a œuvré pour que ses Infernaliana soient, grâce à l’ambiguïté des initiales C. N., attribuées à Nodier : faut-il voir là le signe que Nodier, pour ses contemporains, constituait une autorité dans ce domaine ?

Vers une poétique du gothique

C’est également dans ses textes critiques qu’on peut étudier le rapport entre Nodier et le gothique. Alors que les termes « gothique » et « roman noir » n’appartiennent pas au vocabulaire critique du xixe siècle, Nodier propose l’appellation « romantisme frénétique » : celui-ci est assimilable au gothique ? On pourra analyser la définition que Nodier propose du genre noir, et se demander la part qu’y jouent les littératures anglaise, allemande et française ; on pourra également se demander dans quelle mesure le gothique tel qu’il est décrit à l’époque de Nodier diffère du genre tel qu’il est défini aujourd’hui.

Lectures critiques du gothique

Au-delà de la volonté de circonscrire les limites d’un genre, les textes critiques de Nodier portent un jugement globalement négatif sur le gothique : « les romantiques sont en général de fort bonnes gens, mais on fera très bien de ne leur passer ni les goules, ni les vampires[2] », écrit-il en 1823. C’est cette condamnation qu’on pourra analyser, en observant par exemple les valeurs morales et littéraires sur lesquelles elle repose, la hiérarchie des auteurs qu’elle implique, mais aussi les nuances qu’elle comporte.

Une contradiction entre l’écrivain et le critique ?

On pourra enfin s’interroger sur le rapport entre l’écrivain et le critique, dans lequel Max Milner voyait la marque d’un « double jeu ». Dans ses Mémoires, Alexandre Dumas raconte que, lors de la reprise au théâtre du Vampire, il avait pour voisin un bibliophile érudit qui multiplia les réflexions sarcastiques avant de sortir un sifflet, ce qui le fit expulser[3]. Vraie ou non, l’anecdote illustre de façon emblématique les apparentes contradictions de Nodier, qui exprime dans son œuvre et ses traductions son goût pour le gothique tout en discréditant celui-ci dans ses textes critiques. Dès 1823, Léon Thiessé s’étonnait que « Manfred n’obtien[ne] point grâce devant l’auteur de Jean Sbogar[4] ». Comment expliquer le jugement ambigu que Nodier porte sur ces « plaisirs de l’imagination[5] » ?

 

Les propositions de communication accompagnées d’une brève bio-bibliographie seront à envoyer avant le 20 septembre 2015 à Émilie Pezard : emiliepezard[at]yahoo.fr

 

[1] A. Fontaney, « Des œuvres de M. Charles Nodier », Revue des deux mondes, 1er octobre 1832, t. VIII, p. 122.

[2] Ch. Nodier, « Yseult de Dôle », La Quotidienne, 3 juin 1823.

[3] Alexandre Dumas, Mes Mémoires, chap. lxxiv-lxxvii, t. I, p. 540-571.

[4] Léon Thiessé, « Tablettes romantiques », Le Mercure du dix-neuvième siècle, t. I, 1823, p. 165.

[5]. Ch. Nodier, « Œuvres de Mme de Staël : Corinne, Delphine » [Le Drapeau blanc, 20 octobre 1819], Mélanges de littérature et de critique, t. I, Raymond, 1820, rééd. Genève, Slatkine reprints, 1973, p. 381.