Web littéraire
Actualités
Ch. Rosset, Sur quelques ouvrages récents de David B. - journal de lecture

Ch. Rosset, Sur quelques ouvrages récents de David B. - journal de lecture

Publié le par Nicolas Geneix

Christian Rosset, Sur quelques ouvrages récents de David B. - journal de lecture

Article paru sur le site du9.org, novembre 2016.

"(...) Invention de « corps-valises » (comme il y a des mots-valises), aux membres s’articulant en anatomies monstrueuses (formant des phrases en langage graphique) ; objets greffés sur la chair, la peau, ou pris aux rets des bandelettes des turbans (qui proposent aussi une représentation possible de la terre, chaque figure étant à lire selon plusieurs échelles), détournés (comme ces chars devenant chaussures), déplacés (fusils coincés entre nez et lèvres devenant moustaches) etc. Machines. Pétrole. Tuyaux. Labyrinthes. Quelque chose d’un théâtre de marionnettes, du côté des puissants. Foules bruyantes, rivalisant, côté décibels, avec le fracas des conflits (bien qu’il n’y ait que rarement représentation visuelle du monde sonore, on sent, à la lecture, ces grondements, tremblements et autres secousses, explosions, vomissures du monde en guerre). Des trois volumes, c’est le premier qui traduit le mieux la jubilation, l’esprit d’invention visuelle, le désir de clarté non contradictoire avec la complexification de l’organisation des signes, car tout finit par trouver sa juste place. Le monde du dessin — ce qui relève du visible — reste toujours lisible (alors que l’histoire du monde, malgré l’essai didactique, demeure en grande partie illisible). Cette jubilation s’épuise en partie, sans jamais faire place à l’ennui (il y a de vraies belles planches dans ce troisième volume — elles le sont, non parce qu’il le faudrait, mais parce que le plaisir de dessiner est toujours actif ; même si David B. doit gagner sa vie, et même s’il est fasciné par les pirates et autres barbaresques, il ne se montre jamais mercenaire). Disons malgré tout que ce serait ce relatif épuisement (du sujet dessinant) qui inciterait à l’apposition d’un point final, fort du sentiment d’avoir été jusqu’au bout du principe de variation mis en branle dès l’incipit (et on notera que ces trois parties se relient assez facilement, sur le plan visuel, à l’ensemble de l’œuvre de David B. On pourrait même penser, si on parcourt les trois parties de cette somme d’un regard nomade, ne se satisfaisant pas des seuls messages informatifs que les mots font passer, l’incitant en premier lieu à se montrer réceptif à la force des images, qu’il s’agit, une fois de plus, d’un recueil de récits de rêves). Et notons pour finir cette qualité rare de répondre sans trop de douleur (graphique) à cet aspect crucial de la commande du scénario (qui est aussi commande de l’Histoire) : représenter ces visages trop connus, trop épuisés (eux aussi), trop décourageants à regarder, car trop synonymes d’échec, de régression époquale… (...)"

Lire l'article dans son intégralité