Essai
Nouvelle parution
C. Hougue, William S. Burroughs SF machine

C. Hougue, William S. Burroughs SF machine

Publié le par Simona Sala

William S. Burroughs SF machine
Clémentine Hougue


Des envahisseurs vénusiens, des complots interplanétaires, des voyages dans le temps, des organes de surveillance omniprésents et des insurrections pirates : l’œuvre de William S. Burroughs est profondément marquée par l’imaginaire de la science-fiction, genre dont il était un lecteur enthousiaste. Dans cet essai, Clémentine Hougue, docteure en littérature comparée, apporte un éclairage inédit sur la manière dont l’auteur du Festin nu combine les thèmes de la littérature de genre et les expérimentations d’avant-garde, générant une «machine textuelle» conçue comme une contre-offensive à la prééminence des images, à la prolifération virale de l’information et aux systèmes de contrôle.

De la dystopie technologique à l’utopie libertaire
Grand lecteur de science-fiction, Burroughs a puisé une part importante de son inspiration dans des romans comme Fury de Henry Kuttner (1947), Three to Conquer de Eric Frank Russell (1956), Twilight World de Poul Anderson (1961) ou The Star Virus de Barrington Bayley (1964). Puis, dès le milieu des années 60, son œuvre va à son tour inspirer une nouvelle génération d’écrivains désireux de faire de la SF un espace d’expérimentation littéraire. Si sa technique du cut-up s’inscrit clairement dans l’histoire du collage littéraire, elle est donc aussi un moment clé dans l’histoire de la science-fiction.
Son œuvre en cut-up se trouve à la croisée des chemins de différentes tendances de la SF : la dystopie, car elle met en scène un monde d’intoxication généralisée et d’aliénation des masses ; l’anticipation scientifique, par la représentation de systèmes médiatiques devenus des moyens de contrôle ; le space opera, avec sa guerre interplanétaire et ses créatures extra-terrestres. Mais la dimension avant-gardiste de l’écriture burroughsienne peut également l’inscrire dans le champ de la « linguistique-fiction », catégorie de romans dans lesquels la réflexion porte sur la question du langage. Puisant dans les potentialités déstructurantes de ce genre en pleine mutation dans les années 50, Burroughs pulvérise le langage articulé et emploie le terrain science-fictionnel pour faire de l’écriture une praxis sociale.
Remarquablement actuel, le cut-up apporte des réponses essentielles aux enjeux posés par les systèmes d’information. Des pirates informatiques qui coupent, détournent, brisent les chaînes de l’information numérique, aux propagateurs de fausses informations et créateurs de deep fake, la question de la réalité est au cœur de l’œuvre burroughsienne : une œuvre littéralement expérimentale, un laboratoire dans lequel le réel est mis à l’épreuve, révélant, avec 60 ans d’avance, la mécanique invisible du contrôle.

Clémentine Hougue est docteure en Littérature Comparée de l’Université Paris III-Sorbonne Nouvelle. Elle est l’autrice de Le cut-up de William S. Burroughs. Histoire d’une révolution du langage (Les Presses du réel, 2014). Chercheuse associée du laboratoire 3L.AM à l’université du Mans, elle est également membre de l’équipe du projet de recherche Aiôn (Socio-anthropologie de l’imaginaire du temps. Le cas des loisirs alternatifs). Ses recherches portent sur les liens entre fiction et politique, dans les avant-gardes, les contre-cultures et la science-fiction.