Essai
Nouvelle parution
C. Charles, Théâtres en capitales. Naissance de la société du spectable à Paris, Berlin, Londres et Vienne.

C. Charles, Théâtres en capitales. Naissance de la société du spectable à Paris, Berlin, Londres et Vienne.

Publié le par Marc Escola

Théâtres en capitales. Naissance de la société du spectable à Paris, Berlin, Londres et Vienne
Christophe Charle


Paru le : 15/10/2008
Editeur : Albin Michel
Collection : bibliotheque histoire
ISBN : 978-2-226-18701-7
EAN : 9782226187017
Nb. de pages : 572 pages

Prix éditeur : 29,00€


Théâtre, café-concert, music-hall hier, cinéma, télévision, internet aujourd'hui : le spectacle est le propre des sociétés ouvertes à l'âge démocratique.

C'est à travers lui que nous mettons en scène nos passions, nos plaisirs, nos humeurs, nos soifs d'ailleurs et d'autrement. Tout commence donc avec le théâtre, dont Paris est la capitale entre 1860 et 1914, à l'époque où la scène est le principal divertissement des milieux urbains, au moment aussi où, dans toute l'Europe, se mettent en place les structures de la libre entreprise culturelle. Paris, Berlin, Londres et Vienne : l'approche comparative du monde des auteurs, des directeurs de théâtre, des actrices, des acteurs, des publics fait ici merveille.

Car si la logique à l'oeuvre est partout la même, chaque représentation, dans chacune des quatre capitales, met en mouvement une culture et une société propres - société fictive sur scène, société réelle dans la salle et après le spectacle. Pourquoi le succès, pourquoi le scandale, pourquoi l'indifférence, pourquoi l'oubli ? Telles sont quelques-unes des questions vives qu'éclaire cette étude magistrale, aussi instructive pour comprendre le monde d'hier que celui d'aujourd'hui.

Sommaire:

LES SOCIETES DU SPECTACLE
Le siècle des théâtres
Les directeurs de théâtre : entre spéculation et vocation
Acteurs et actrices en quête de personnages
Les auteurs favoris du public
A la recherche du succès
SOCIETES EN REPRESENTATION(S)
Publics de Londres et de Paris
Paris, capitale théâtrale de l'Europe ?
La société en représentations
Coups de théâtre : Morale et politique sur scène
" Il faut absolument être moderne "

Christophe Charte, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Paris-I, directeur de l'Institut d'histoire moderne et contemporaine, est l'auteur de près de vingt ouvrages.

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On peut lire sur le site laviedesidees.fr un article sur cet ouvrage:

"Le marché théâtral", par J.-C. Yon.

Cet ouvrage a également fait l'objet d'un article dans Libération (8/1/9):

L'Europe en scènes

Critique

Théâtre. La somme de Christophe Charle sur l'essor du spectacle.


DOMINIQUE KALIFA

Christophe Charle Théâtres en capitales. Naissance de la société du spectacle à Paris, Berlin, Londres et Vienne Albin Michel, 572 pp., 29 euros.

Le théâtre a été l'une des grandes affaires du XIXsiècle. Du mélodrame, où se pressait un public populaire et tapageur, aux salles «bourgeoises»ou huppées des beaux quartiers, il constitua la principale distractioncollective du temps, ouverte à tous les groupes sociaux. Ce phénomènebien connu a suscité des centaines d'ouvrages, centrés sur un auteur,un genre, une salle, ou retraçant par le menu la vie des actricescélèbres. Mais celui de Christophe Charle est d'une autre nature.

Loin de «la vision enchantée entretenue par les histoires traditionnelles du théâtre»,l'auteur a mené une très dense et exhaustive enquête historique. Il l'afait avec les outils qui sont les siens : ceux d'une histoire sociale «statistique et objectiviste»,forte des concepts empruntés à la sociologie de Pierre Bourdieu, ceuxdu comparatisme également, puisque la situation parisienne y estsystématiquement confrontée à celles d'autres capitales européennes,Londres, Berlin et Vienne. Le but est de «reconstituer l'ensemble des relations qui interagissent dans le monde du théâtre» : celles qui ordonnent la «société du spectacle»,monde bigarré où s'affrontent les directeurs, les auteurs, les acteurs,mais aussi celles qui organisent le public ou se projettent sur scène,par représentation théâtrale interposée. Le livre qui en résulte estune véritable somme, appelée à marquer durablement l'historiographiedes spectacles.

Hiérarchisation. La masse d'informations réunies estconsidérable. Charle montre d'abord l'extraordinaire envol de l'offrethéâtrale dans la seconde moitié du siècle, en lien avec l'essor despublics citadins et leur soif de loisirs, en lien aussi avec laprogressive libéralisation politique. Le nombre de salles fit plus quedoubler, celui des pièces explosa (500 à Londres en 1914), et le publicpotentiel ne cessa de croître : 200 000 personnes à Berlin, 250 000 àParis, 400 000 à Londres. A Paris, on vend à la fin du siècle plus de5 millions de billets par an ! Mais ce mouvement se fait au prix d'unenette hiérarchisation, qui favorise les théâtres bourgeois jugés plus «rentables».L'approche sociale privilégiée ici met au jour une autre tendance,inaugurée à Londres mais exportée bientôt dans les autres capitales.Dans un marché devenu spéculatif et concurrentiel, les perspectives decarrière se font plus sélectives, ce qui creuse les écarts et accentuele turn over. La réussite exceptionnelle de quelques «vedettes»,surtout féminines, masque la précarité croissante qui touche presquetoutes les professions du théâtre. D'où la naissance des premièresassociations professionnelles, à Paris et à Londres, dès lesannées 1840.

Ces transformations affectent aussi le public. L'augmentation desprix, les nouvelles salles et les nouveaux horaires ont peu à peuraison de l'audience populaire et du tohu-bohu d'antan. Ceux-ci migrentvers d'autres distractions, café-concert, music-hall, fêtes foraines ouspectacles sportifs, où la licence émotionnelle continue de s'exprimerlibrement. Au théâtre se rôdent en revanche de nouvelles formesd'écoute et de comportement, inspirés du concert.

L'auteur ne s'est pas contenté de cette approche externe. Il a aussivoulu saisir les représentations sociales à l'oeuvre sur la scène. Maisil l'a fait en historien, récusant tout jugement de valeur pour s'entenir aux pièces effectivement plébiscitées par les contemporains. Etle constat est net : partout se dessine un «glissement du public vers les genres faciles».Les drames et les pièces historiques, si populaires au début du siècle,reculent au profit du rire, du léger, du musical. Ce qui triomphe,c'est le vaudeville et la comédie de moeurs. A Paris, les auteurs àsuccès se nomment Meilhac et Halévy, Flers et Cavaillet, plus tardLabiche, Feydeau ou Victorien Sardou, dont la Famille Benoiton,une satire de la bourgeoisie parvenue, reste neuf mois à l'affiche. Uneétrange homologie sociale semble lier le monde de la salle et celui dela scène.

«Modernité».Pourtant, dans cet art de conventions et deconnivences percent aussi quelques regards critiques. On fait le procèsde l'affairisme, on raille les aspirations excessives et l'hypocrisiedes rôles sociaux. Les femmes, surtout, y font valoir des droits quel'immense écho de ces pièces (jusqu'à 500 000 spectateurs pour les plusprisées alors qu'un roman à succès dépasse rarement les 100000 exemplaires) contribue à diffuser peu à peu. En ce sens, ce théâtrefut aussi un «laboratoire volontaire ou involontaire de notre modernité». Quant aux scènes alternatives créées à la fin du XIXe siècle,Théâtre libre d'Antoine à Paris, Freie Bühne à Berlin, oeuvres de Shaw àLondres ou de Schnitzler à Vienne, elles constituèrent des pôlesmajeurs d'innovation et de résistance contre le conservatisme moral etpolitique, mais ne connurent guère de succès public. Elles n'en furentpas moins essentielles, insiste Christophe Charle, car c'est tousgenres confondus, populaire, littéraire et bourgeois, que l'activitéthéâtrale parvient à dire les émotions et les attentes du siècle, avantque le cinéma ne vienne offrir à la société un autre mode de figuration.