Questions de société
C. Charle,

C. Charle, "La loi LRU dans une perspective européenne"

Publié le par Marc Escola


La loi LRU dans une perspective européenne,
par Christophe Charle


Le présent document constitue le texte écrit de l'intervention orale de Christophe Charle, président de l'ARESER (Association de réflexion sur l'enseignement supérieur et la recherche), à la conférence-débat organisée le 5 décembre dernier sur le campus de Saint-Denis à l'initiative de P. Binczak, Président de l'Université Paris 8. Une version abrégée paraîtra au printemps prochain dans le premier numéro de la future revue Huitième sens. Signalons que C. Charle vient de faire paraître en collaboration avec Ch. Soulié Les Ravages de la modernisation universitaire (éditions Syllepse), et qu'on peut également lire de lui dans une récente livraison du Monde diplomatique un article intitulé "Faut-il coter les universités européennes ?".


Tous ceux qui sont dans cette salle ont sans doute déjà lu beaucoup de commentaires et d'articles sur la loi LRU. C'est pourquoi il m'a semblé plus intéressant de la resituer dans une perspective internationale plus large que le point de vue franco-français.

I) Les principes généraux de la construction d'une convergence universitaire européenne


La LRU s'inscrit en effet dans une politique universitaire européenne qui s'est mise en place depuis une quinzaine d'années à la croisée de plusieurs courants de pensée :


1)    les préconisations de l'OCDE qui appliquent la théorie du capital humain. L'enseignement supérieur est considéré comme un investissement dont il faut assurer la meilleure rentabilité pour atténuer les charges publiques en faisant basculer le financement en partie de l'Etat vers les « usagers » ou les clients. Cette politique est largement avancée dans plusieurs pays d'Europe comme l'Angleterre, l'Italie, les Pays-Bas, les pays de l'ex Europe de l'Est où se multiplient les universités privées.


2)    La théorie de l'économie du savoir : les pays les plus avancés sont concurrencés au niveau mondial par des pays à bas coûts de production ; ils doivent donc se situer de plus en plus dans les secteurs les plus avancés employant une main d'oeuvre très qualifiée ou dans le secteur des services haut de gamme moins faciles à délocaliser ; cela implique donc l'adaptation de l'enseignement supérieur à ces objectifs et donc la capacité d'évolution des établissements en fonction de cette perspective. Il faut donc renforcer l'exécutif universitaire au détriment des souhaits des enseignants chercheurs qui prétendent maintenir leur autonomie intellectuelle par rapport à cette demande sociale externe. C'est tout l'enjeu des rapports de pouvoir contenus dans la LRU.


3)    La vision française et européenne du « modèle américain ». Disons d'emblée que cette vision ne correspond en rien à la réalité des universités américaines mais comme toujours les réformateurs construisent un modèle idéal à partir d'un tout petit segment de l'enseignement supérieur américain et croient pouvoir le transposer dans un cadre européen. Ce petit segment, ce sont les quinze ou vingt grandes universités de réputation internationale qui n'englobent qu'une fraction minime des milliers d'établissements américains et de leurs millions d'étudiants. Cette fascination pour ces universités d'élite n'est pas nouvelle, puisqu'elle s'est développée en France et en Allemagne dès les années 1900. Qu'est-ce qui fascine nos dirigeants dans ces universités ?
a) leur capacité à attirer des capitaux privés sous forme de dons et d'avoir d'importantes ressources annuelles grâce à des droits d'inscription élevés.
b) leur rayonnement international qui leur permet d'avoir l'apport du brain drain des élites scientifiques d'autres pays et les ressources des étudiants issus des nouvelles bourgeoisies des pays émergents
c) leurs fortes interrelations avec les entreprises et les contrats des grandes agences gouvernementales américaines pour développer des innovations technologiques, dont elles touchent des dividendes sous forme de brevets.
L'idéal du président manager qui est contenu dans la loi LRU et les diverses mesures prises depuis Claude Allègre pour faciliter la mobilité des universitaires et des chercheurs vers les entreprises ou la conclusion d'accords entreprises/laboratoires sont le décalque de ce modèle.

Mais il faut relier aussi la LRU à une autre perspective plus spécifiquement européenne, celle qu'on appelle le « processus de Bologne » Rappelons brièvement de quoi il s'agit :
A l'issue de la réunion des ministres d'une vingtaine de pays, tenue les 18 et 19 juin 1999 à Bologne, les signataires s'engageaient à :
- Apporter une dimension intellectuelle, sociale et technologique à la construction européenne.
- Former les citoyens du XXIe siècle autour de valeurs partagées par l'ensemble de l'Europe.
- Faciliter la libre circulation des étudiants et des enseignants.
- Elever le niveau de l'enseignement supérieur européen pour lui donner ses chances au niveau mondial.


Les mesures pratiques prévues pour atteindre ces objectifs sont :
- adopter le système de crédits ECTS (European Credit Transfer System)
- promouvoir la mobilité, par le développement des programmes Erasmus et Socrates.
- faciliter la coopération par l'assurance qualité.
- donner une dimension européenne à chaque enseignement supérieur national.
- adopter le système des deux cycles pour faciliter les équivalences de diplôme et la mobilité professionnelle. La durée du premier cycle est fixé à trois ans, celle du second n'est pas précisée.


La stratégie de Lisbonne, adoptée en 2000, a repris ces objectifs pour appuyer le projet d'une Europe compétitive fondée sur « l'économie du savoir » la boucle enclenchée en 1998 s'est trouvée bouclée, mais les finalités ont complètement changé. Les mots d'ordre sont maintenant la qualification de la main d'oeuvre pour s'adapter aux transformations économiques en direction d'une économie de services et du savoir, la préparation à une recherche en prise sur les besoins économiques, la coopération internationale entre des diplômés européens ayant bénéficié, dès leurs études, de séjours à l'étranger et donc à même de s'adapter à des environnements nationaux et culturels différents à mesure que les entreprises s'internationalisent. Loin de donner un supplément d'âme culturel et civique à l'Europe, c'est plutôt l'enseignement supérieur qui se trouve soumis aux principes généraux, économiques, voire économicistes de l'Europe des Six initiale : marché ouvert, concurrence, compétitivité, efficacité. Loin de préserver la diversité culturelle et l'échange entre des traditions intellectuelles, ces nouveaux objectifs aboutissent à une normalisation rigide qui ne tient compte ni des spécificités disciplinaires, ni des particularités régionales ou nationales, ni même de la diversité des rapports des individus à la demande d'enseignement supérieur ou des diverses fonctions possibles de l'enseignement supérieur.


La réduction de la taille du conseil d'administration et la possibilité de réélire directement le président d'université après une premier mandat visent à permettre aux exécutifs universitaires d'appliquer sur un temps long ces préconisations sans avoir à se soucier de la pression de la « base », surtout si celle-ci est recrutée de plus en plus sur poste précaire, ce qui l'exclut des organes de décision ou de la possibilité de faire pression sur le sommet pour faire entendre sa voix.


Dans la nouvelle université, se livre déjà et va se livrer encore plus une lutte entre deux conceptions de l'université, entre les disciplines ou les domaines adaptées à la demande économique et sociale et les disciplines traditionnelles sommées de s'aligner sur les précédentes ou au contraire de dépérir puisque les nouveaux présidents auront la possibilité d'arbitrer dans les profilages de poste selon le rapport de force au sein du CA. Ces luttes existent déjà mais vont s'amplifier puisque le nouvel équilibre électoral va se traduire en majorités fortes au profit du segment le plus puissant dans chaque université. En d'autres termes la LRU nous fait passer de la 4è à la 5è République en matière de vie politique universitaire : de majorités fluctuantes ou d'un partage des postes à un scrutin majoritaire qui amplifie le déséquilibre électoral au profit d'un groupe ayant une stratégie unifiée d'adaptation aux nouvelles demandes externes.

II) Les limites de la convergence européenne


L'évolution française se retrouve dans les transformations des universités en Europe actuellement. Elles sont liées aux principes communs qui animent les responsables politiques, administratifs et même certaines fractions de la communauté universitaire acquises à ces réformes ou qui en tirent des bénéfices incontestables : insistance sur la professionnalisation, imposition de procédures de gestion empruntées aux entreprises, justification de procédures sélectives à certains niveaux, jeu sur la concurrence entre les fragments d'université, sur la hiérarchisation entre les universités à l'intérieur d'un même pays, entre les universités à l'échelle européenne et surtout mondiale. D'où la mise en avant des classements, des enquêtes de satisfaction et la mesure quantitative des performances : taux d'échec, taux de diplôme, nombre de publications, de prix décernés aux travaux, de brevets déposés par les laboratoires, degré d'internationalisation, etc.


Mais les universités européennes, et les universités françaises en particulier ne sont pas pour autant au même point de leur application. Il existe un écart considérable encore visible entre l'Europe du nord-ouest (Angleterre, Hollande, pays scandinaves), très avancée dans l'application de ces principes et très ouverte sur le monde extérieur ; et l'Europe du sud (Espagne, Portugal, Grèce), très marquée par un héritage historique et retardée par la période de stagnation de régimes dictatoriaux prolongés jusqu'aux années 70. L'Italie et la France sont dans une situation intermédiaire, ainsi que l'Allemagne, mais pour des raisons différentes. Leurs élites économiques et scientifiques sont fascinées par le modèle américain, mais leurs élites politiques et administratives sont divisées sur la gestion d'un héritage historique très lié à un rôle central de l'Etat dans l'éducation et surtout tiraillées entre les demandes des universités centrales, d'ores et déjà capables d'entrer dans la compétition internationale, et les inquiétudes d'une masse d'établissements nés de la décentralisation et de la massification récentes, qui ont tout à perdre dans ces processus et font pression sur les élus locaux pour ne pas être oubliés dans la redistribution des cartes.


Toute la question est de savoir si les réformes annoncées régleront réellement ces défauts ou n'accentueront pas la dualisation des systèmes entre des secteurs « adaptés » au nouveau cours et d'autres tombés en déshérence parce qu'irréformables et surtout sans intérêt dans la « compétition » internationale.


De ce point de vue, la France, comme souvent en Europe, offre le kaléidoscope de tous les états du champ universitaire européen dans un seul pays. Elle possède un segment déjà complètement intégré aux nouveaux principes de management (secteur d'élite - écoles d'ingénieur et de commerce, Sciences Po Paris - et grandes universités scientifiques et médicales principalement parisiennes). Grâce à la mise en place en cours des Pôles de recherche et d'enseignement supérieur et au vote de la loi LRU, ces établissements vont obtenir l'autonomie financière et la taille critique pour mener des politiques analogues à certaines grandes universités anglaises ou américaines : partenariat avec des entreprises, accords internationaux, financement mécénale de nouveaux enseignements finalisés par la demande extérieure.


Avec le LMD, la LRU et l'européanisation, l'objectif est maintenant d'opérer une sélection darwinienne des éléments les plus performants des universités intermédiaires ou des établissements professionnels qui peuvent trouver des niches dans ce nouveau marché comme recours pour les étudiant(e)s des pays moins nantis et pour les étudiant(e)s exclu(e)s du secteur le plus compétitif. Quant aux segments non adaptables, on compte soit sur la baisse démographique pour progressivement les regrouper ou les fermer, soit les cantonner à une fonction de collège universitaire initial ou de filière professionnelle courte. L'exemple anglais montre que ce processus a eu lieu pour les universités de deuxième rang,  lot de consolation pour les étudiants étrangers mobiles qui ne peuvent s'offrir les “ grandes ” anglo-saxonnes aux droits d'inscription trop élevés.


En rester à ces constats, ou à ce fatalisme du probable, risque de faire verser dans le cynisme ou la désespérance. C'est d'ailleurs le principe de ces réformes où les universitaires sont censés se situer dans un marché de formation et de recherche : acheter ou corrompre ceux qui peuvent en tirer quelque bénéfice personnel si leur discipline ou leurs compétences leur fournissent le moyen d'être du bon côté du système nouveau ; convaincre les autres qu'il n'y a pas d'alternative et que, s'ils ont mal joué dans le nouveau jeu, c'est de leur faute.


En fait l'inégalité dans la réussite est inscrite dans la nouvelle politique du personnel permise par les dispositions de la loi LRU et n'a donc rien à voir avec la seule « valeur intellectuelle » ou bonne volonté des individus, qu'ils soient étudiants ou futurs enseignants. La précarité, qui se développe sous forme de « bourses » insuffisantes, de post-docs, de vacations, de travaux alimentaires, avant d'accéder à un niveau d'études ou à un poste, conduit à un gaspillage d'énergie pour bâtir de pseudo-projets et de pseudo-équipes qui trompent facilement de faux experts nommés pour leur docilité à promouvoir les thèmes de recherche à la mode décidés par les technocrates. L'évaluation quantitative des dossiers en compétition pousse à la « colloquite » et à l'inflation d'articles dédoublés qui ne font que ressasser les mêmes sujets sous des emballages différents.


Les universités anglo-saxonnes, dont on nous vante la créativité, sont en proie dans ces domaines à des modes intellectuelles aussi stérilisantes que les appels d'offres technocratiques à la française orientés par les priorités de l'heure . Ces mêmes universités, que l'on situe dans les médias au premier rang international en fonction de critères issus des sciences de la nature, sont beaucoup moins performantes pour ces mêmes raisons en sciences humaines et sociales. Les carrières et les promotions étant essentiellement fondées sur l'évaluation individuelle de l'activité de recherche visible par la publication, les départements d'humanités et de sciences sociales ne produisent pratiquement pas de travail collectif ni de grandes enquêtes de longue haleine puisque ce qu'on évalue ce sont des individus ou des départements, collection d'individus rassemblés là par le hasard des stratégies individuelles et de la cohabitation des générations.
Enfin le principe de rentabilisation au fondement de la réforme du LMD repose sur une vision politique et sociale qui est à l'opposé de la tradition continentale des universités, qui assurait un Etat providence minimal en matière éducative. L'augmentation des droits d'inscription (en cours de façon rampante ou massive un peu partout) prétend responsabiliser les étudiants et leur faire rembourser par avance les gains futurs qu'ils tireront de leurs études (cette analyse renvoie à la théorie du capital humain). Cette vision capitalistique de l'investissement éducatif présente cependant deux faiblesses majeures :


a) La croissance globale du niveau d'éducation lamine mécaniquement l'avantage comparatif tiré de cet allongement de la formation. Ce qu'on appelle en France le « malaise des classes moyennes » ou le sentiment que l'ascenseur social est « en panne » en est la perception confuse mais sa réalité objective est établie par de nombreuses enquêtes.
b) Les profits  à tirer de « l'investissement éducatif » sont très inégalement répartis entre les filières, cette répartition changeant elle-même en permanence en fonction des transformations des secteurs économiques. Or il est bien difficile d'anticiper aujourd'hui pour les générations actuelles, étant donnée la reconfiguration mondiale des rapports de force entre les différentes économies, ce qu'il en sera dans quinze à vingt ans. La réponse à cette objection est le principe affirmé officiellement de « l'éducation tout au long de la vie » et la reprise d'étude en cours de vie professionnelle, mais cela suppose qu'on soit libéré des endettements initiaux que cette même vision capitalistique de l'investissement éducatif induit, d'où un cercle vicieux.
Contre cette vision purement individuelle, il faut souligner que la société tout entière bénéficie de cette amélioration globale du niveau d'éducation de ses futurs cadres moyens et supérieurs puisque ce sont les catégories que forment maintenant les établissements universitaires. En fermant le robinet d'accès en fonction des ressources d'origine ou de la capacité à prendre des risques des nouvelles générations, elle contribue certes à la conservation des privilèges hérités et révèle ainsi son véritable visage socialement conservateur, ce que démontre pratiquement l'expérience américaine où l'accès ou non aux meilleures filières des bonnes universités, lui-même lié au milieu social, prédétermine le niveau de salaire accessible. Mais, ce faisant, elle contredit son principe libéral théorique qui est de donner leur chance au maximum d'individus pour que, la sélection future étant plus juste grâce à un panel plus large de candidats, les meilleurs soient meilleurs que ceux sélectionnés auparavant sur des échantillons biaisés a priori par des critères socio-culturels ou l'héritage financier. Elle contribue donc à casser l'espoir et la croyance dans l'utilité de l'effort puisqu'elle montre que, dès le départ, l'argent et l'origine sociale et/ou géographique conditionnent tout, comme c'était le cas dans l'université du XIXe siècle et du premier XXe siècle. Elle entretient en outre des rentes de situation au profit des plus nantis et contrevient donc à ce qu'elle affirme au départ : que le meilleur gagne.
Les universités d'élite américaines et anglaises peuvent s'en sortir parce qu'elles cumulent en fait des ressources multiples, absentes des autres pays  : des systèmes de paiement inégalitaire, le mécénat des riches anciens élèves, les contrats de recherche avec l'argent public et privé, et surtout la rente de situation de l'exploitation du capital symbolique de la langue anglaise comme instrument de la mondialisation et le mythe, savamment entretenu par tous ceux qui y ont intérêt, de la supériorité des établissements anglo-saxons. Cette croyance se traduit en flux d'étudiants étrangers aisés vers ces établissements, et donc en manne financière. Par une alchimie qui rappelle la griffe des grands couturiers, ce capital symbolique se transforme alors en capital tout court grâce aux droits d'inscription des étudiants nantis des pays moins avancés.

Conclusion provisoire

Ces considérations permettent donc déjà de conclure que, contrairement à la vision évolutionniste et fonctionnaliste dominante, la situation actuelle de l'Europe du Nord-Ouest, des grandes universités d'élite américaines et des satellites du Pacifique (Japon, Nouvelle Zélande, Australie) ne peut que difficilement être généralisée puisqu'elle repose sur une économie politique de l'éducation supérieure dont les conditions de possibilité ne sont pas réunies dans les autres pays d'Europe, ni, par définition, généralisables, sous peine de s'autodétruire. Le plus probable n'est donc pas une américanisation néolibérale de l'université européenne, mais une dualisation généralisée, à la française, des filières et des niveaux de sortie de l'enseignement supérieur, miroir de toutes les autres dualisations à l'oeuvre dans nos sociétés.


Est-ce souhaitable ? Je crois avoir déjà répondu par la négative et pas seulement pour des raisons de préférence politique. On peut évidemment adopter des options politiques opposées mais on ne peut affirmer pour autant que cette politique n'aura pas ces conséquences et on doit donc en assumer les effets sociaux et politiques, déjà perceptibles dans le désaveu de l'Europe actuelle dans plusieurs scrutins récents ou dans les mobilisations récentes des jeunes générations. Les illusions du processus de Bologne et de la stratégie de Lisbonne ont d'ores et déjà fait long feu puisque le budget européen, non réformé faute de consensus politique, n'a  toujours pas les moyens de ses ambitions et s'en remet donc au sursaut des individus, des Etats ou des entreprises, puisque l'essentiel de ce budget est gelé en dépenses structurelles non réformées (aides régionales, politique agricole commune).


Est-ce inévitable ? L'historien répond toujours que rien n'est inévitable en histoire. Mais, pour reprendre une expression célèbre d'Ernest Renan après une autre défaite, celle de 1870-1871, et au risque de passer pour idéaliste, il faut au préalable une réforme intellectuelle et morale, c'est-à-dire une analyse juste de ce qui se passe, une affirmation de principes opposables aux principes masqués par les processus en cours sous des grands mots creux en en démontrant les faux-semblants, un refus aussi du simple conservatisme académique. Il facilite la tâche des faux réformateurs qui caricaturent ainsi les positions  alternatives et se donnent le beau rôle. Il faut avancer également des propositions rationnelles pour réduire le plus possible les effets dévastateurs de la dualisation, même si nous savons qu'elle ne disparaîtra jamais complètement puisqu'elle est inscrite dans toutes les structures de la société contemporaine.


Il a fallu plus de vingt ans pour qu'une fraction significative de l'opinion s'inquiète du sort de la planète en proie à l'industrialisation sans frein et à ses effets climatiques et environnementaux. Le combat n'est ni terminé, ni gagné, et pourtant, même aux Etats-Unis, les esprits évoluent y compris chez les responsables conservateurs. Il faudra du temps pour que l'avenir de la jeunesse et de la société sorte des faux débats et des discours biaisés par certains intérêts corporatifs ou nationaux et par les sophismes de "l'économie du savoir". C'est l'une de nos fonctions en tant qu'universitaires. C'est aussi notre intérêt pour justifier l'ambition intellectuelle critique de l'université face au rouleau compresseur des médias liés aux puissances économiques dominantes, qui veulent la réduire à un instrument docile de la reproduction sociale . Si l'on ne veut pas nous entendre, on ne viendra pas se plaindre quand la catastrophe annoncée sera là.