Questions de société
Brève histoire des politiques de financement de la recherche en France depuis 1981

Brève histoire des politiques de financement de la recherche en France depuis 1981

Publié le par Vincent Ferré

 blog de S. Huet, liberation.fr :


Nicolas Sarkozy l'a affirmé dans son désormais fameux discours du 22  janvier 2009 : la science n'est pas une affaire droite/gauche. Voire.

Voici donc une brève histoire des relations entre la droite, la gauche, et la politique de la recherche depuis 1981. Une histoire singulière, totalement subjective, écrite non à travers rapports et chiffres (d'autres l'ont fait), mais vue à travers les ministresqui ont occupé cette charge depuis que je couvre ce secteur commejournaliste professionnel. Certains diront que c'est un peu court...ils ne pourront pas ajouter «jeune homme».

Si cette histoire présente un autre intérêt qu'anecdotique, ce n'estpas seulement à travers les choix de ministres de la recherche (parfoismise dans le même sac ministériel que l'enseignement supérieur et mêmel'Education nationale sous Claude Allègre). Encoreque certaines nominations ont montré à quel niveau d'importance (trèsbas) un Président de la République et ses Premiers ministres (Jacques Chirac, Alain Juppé et Jean Pierre Raffarin) pouvaient placer ce secteur pourtant décisif pour l'avenir du pays.

On y retrouvera une rapide mise en perspective qui éclaire les problèmes et défis d'aujourd'hui, alors que Nicolas Sarkozy adécidé de mettre le paquet sur le sujet, afin de remodeler l'universitéet la recherche selon son programme politique. Une décision qui, commeil le reconnaît lui-même dans son discours du 22 janvier «provoquera des remous.» Une de ces prédictions, c'est rare en politique, qui s'est totalement réalisée... au delà probablement des attentes de son auteur.

1981-1986 L'espoir puis la pause

De Giscard à Mitterrand, la politique de la recherche connaît une véritable rupture. Le président de droite glosait sur «le déclin biologique de l'espèce (humaine)». Son premier ministre Raymond Barre vantait une politique «de créneaux», sacrifiant les secteurs jugés non porteurs de la recherche. L'effort de R&D (recherche et développement) du pays se traîne à 1,6% du PIB... on est loin du volontarisme de DeGaule quand les laboratoires poussaient comme des champignons. A peineélu, Mitterrand convie son ministre de la Recherche Jean-Pierre Chevènement à la mobilisation des labos pour répondre aux problèmes sociaux. Des Etats-Généraux de la science et de la technologie(1982) propulsent une politique ambitieuse. Augmentation des crédits etde l'emploi scientifique publics, réforme du statut des chercheurs (decontractuels ils deviennent fonctionnaires) et dufonctionnement des organismes de recherche. La croissance des effectifsétudiants s'amorce, donc celle des universitaires. Les labos entamentun rapprochement avec les entreprises, favorisé par lesnationalisations de géants industriels. Le gouvernement met en placeune vigoureuse politique de culture scientifique sous la houlette dumathématicien Jean-Pierre Kahane. La rigueur delorienne, puis le gouvernement de Laurent Fabius ralentissent le mouvement malgré les efforts d'Hubert Curien, ministre de la recherche en 1984, pour conserver l'élan initial.

1986-1988 Intermède chiraquien

La victoire de la droite aux législatives et le gouvernement de Jacques Chirac donnent un coup d'arrêt à cet essor. Au ministère de la recherche et des universités, confié à Alain Devaquet, unedroite dure prône la dissolution du CNRS dont le recrutement est bloquédurant plusieurs mois. Les budgets de la recherche publique sontsabrés. Après la révolte étudiante, Devaquet est remplacé par Jacques Valadequi passe mollement deux jours par semaine dans son ministère pourexpédier les affaires courantes (le reste du temps il intrigue poursuccéder à Chaban à Bordeaux, sans succès Juppé lui piquant la place).

1988-1993 Curien à la manoeuvre

Réélu, Mitterrand a une bonne idée, réinstaller Hubert Curien auministère de la recherche pour cinq ans. Cet homme droit, honnête etcompétent, ayant l'oreille du Président, obtiendra, de 1988 à 1993, unehausse des crédits publics attribués à la recherche de 15% en sus del'inflation... et saura, avec le regretté René Pellat le convaincred'arrêter les frais de la navette spatiale Hermès. L'effort de R&D,public et privé, culmine à 2,37% du PIB en 1993 (contre 1,16 à la finde Giscard !). Le programme technologique public/privé Eurêka se poseen réponse européenne civile à la guerre des étoiles de Reagan.Curien impulse une vive augmentation du nombre et du montant desbourses doctorales, le nombre de docteurs es-sciences diplômés chaqueannée augmente jusqu'à plus de 10.000 (pour mémoire, on en est aujourd'hui à 9500, et la ministre Valérie Pécresseaffirme que cela suffit, Hubert Curien doit s'en retourner dans satombe). La recherche publique se déconcentre en province selon un plande longue haleine. Mais les deux dernières années sont en trompe-l'oeil.Pour ruser avec Bercy qui serre les freins, Hubert Curien obtient unehausse des Autorisations de Programmes bien supérieure aux crédits depaiements annuels… ce qui suppose que les gouvernements ultérieurstiennent cette «promesse» budgétaire. Cela ne sera pas le cas.

1993-1997 Les labos rackettés

Dès le retour de la droite au pouvoir, c'est la cata. François Fillon, en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche, répète en privé aux journalistes d'un air blasé qu'il aurait «préféré la Défense».Les crédits de paiement diminuent. Les promesses des autorisations deprogrammes ne peuvent être tenues. Pour pouvoir payer les fournisseurs,le directeur général du CNRS Guy Aubert rackette lescomptes des labos, un soir de janvier 1995, faisant remonter au niveaunational tout ce qui traine. Puis menace le gouvernement «d'arrêter tous les programmes internationaux» pour obtenir de quoi boucler le budget. En 1995, avec le premier gouvernement du Président Jacques Chirac, c'est l'ère des Juppettes. Elisabeth Dufourcq,secrétaire d'Etat à la recherche (mai à novembre), démontre que laparité est arrivée: enfin une femme incompétente nommée à un posteimportant, comme chez les hommes. Elle est remplacée par François d'Aubert qui s'ébaubit tous les matins devant les journalistes de ce que le budget de la recherche, «c'est moins que le trou du Crédit Lyonnais».Crédits en baisse. Dans les organismes de recherche, on sacrifie lesemplois d'ingénieurs et de techniciens pour sauver les embauches dejeunes chercheurs. Entre 1992 et 2004, près de 9000 emplois de ce typedisparaissent (la gauche opérant le même mauvais calcul).

1997-2002 Claude Allègre puis Roger-Gérard Schwartenberg

Une période au goût étrange pour les chercheurs ayant le coeur à gauche, et surtout pour les camarades de parti de Claude Allègre,l'ex-conseiller spécial de Lionel Jospin, ministre de l'Educationnationale et de la recherche. Il alterne le meilleur: un vigoureux plande recrutement d'universitaires, un réinvestissement du politique dansles choix stratégiques de la recherche, des crédits en hausse pourl'Université mais qui sont à mettre en relation avec l'explosion deseffectifs étudiants, la volonté de voir des jeunes disposer de créditsautonomes. Et le pire: autoritarisme, règlement de comptes stupidescomme l'attaque contre les thésards du CEA, tentative maladroite – etratée – de réforme du CNRS, chantage aux crédits – «pas de réforme, pasd'argent» –, intrusion personnelle et rugueuse dans les programmesspatiaux qui entraîne le Cnes dans l'impasse d'une mission martiennejamais réalisée. Son refus de lancer le synchrotron Soleil (un accélérateur de particules, aujourd'hui en phase finale de construction dans l'Essonne) énerve jusqu'à ses derniers partisans. Au total, il gache une formidable occasion d'une réformede l'ensemble du système d'enseignement supérieur et de recherche pourlaquelle il disposait de tous les atouts : crédits, soutien politique,ministère unique. Comme le raconte en se moquant Cathérine Bréchignac, alors Directrice générale du Cnrs, «Claude il apporte des problèmes, et c'est aux autres de trouver des solutions.»Or, cette réforme est nécessaire, car il faut repenser le rôle despremiers cycles universitaires, ne plus faire face à l'évolution deleurs effectifs par le recours massif aux heures complémentaires,repenser les périmètres des organismes de recherche, mettre sur pieddes politiques plus actives de valorisation. Il sera remplacé par Roger-Gérard Schwartzenbergpour calmer le jeu. Il le calme en lançant Soleil, en promettant unplan pluriannuel de l'emploi scientifique (abandonné par legouvernement Chirac dès l'année suivante). 

2002-2006 L'arnaque Chirac

Candidat, Jacques Chirac promet une grande politique scientifique et «3% du PIB consacré à la R&D».Réélu, il fait l'inverse. Baisse des budgets, gels des crédits votés,emplois stables sacrifiés au profits de CDD, limogeage de la directricegénéral du CNRS Geneviève Berger… l'arrivée de l'astronaute Claudie Haigneréau ministère, saluée d'abord avec une certaine perplexité par lesjournalistes spécialisés, tourne au cauchemar dès l'annonce de sonpremier budget. Je dévoile dans Libérationle 31 juillet 2002- à la suite d'une fuite involontaire de Jean-PierreRaffarin himself (je peux le révéler maintenant, il y a prescription)oubliant dans un avion le fax que lui envoie la ministre qui protestetrès mollement contre ce massacre et n'en propose qu'un habillagepoliticien afin de le masquer au maximum à l'aide d'astuces deprésentation.

Exaspérés, les scientifiques se lancent dans un mouvement de protestation sans précédent. Ils créent l'association «Sauvons la Recherche», dont Alain Trautmannsera un porte parole d'une très grande efficacité, organisent unedémission massive des directeurs de laboratoires en mars 2004,manifestent dans la rue à la veille des élections régionales,obtiennent le soutien de grands noms de la science, des sociétéssavantes, de l'Académie des Sciences où Etienne Emile Beaulieu etsurtout Edouard Brézin se mobilisent, de l'opinion publique et denombreux organes de presse. Libération n'est pas le dernier, je m'en occupe avec ardeur.

Piteusement, au lendemain des élections régionales et cantonales,Jacques Chirac fait marche arrière,  désavoue son premier ministre JeanPierre Raffarin, exfiltre Claudie Haigneré du ministère, rétablit lespostes transformés en CDD, crée 1000 postes supplémentaires pour lesuniversités... et promet «une grande loi pour la recherche». Lesscientifiques se mobilisent pour des Etats-Généraux, tenus à Grenoble en novembre 2005 afin d'en proposer le contenu. Ils pourraient croire avoir gagné.
Las, voté sous la houlette d'un nouveau duo ministériel (De Robien et François Goulard), le Pacte pour la Recherchen'opère qu'un rattrapage budgétaire des coupes précédentes et met enplace des structures - Agence nationale de la recherche, Haut conseilde la science, Agence d'évaluation de l'enseignement supérieur et de larecherche - qui détournent complètement le sens des réformes proposéespar les Etats Généraux, en visant le double objectif d'un contrôlepolitique accru sur la distribution des crédits au nom d'une«réorientation» de la recherche et des dépenses publiques vers les«besoins économiques», en réalité vers les entreprises privées, etd'une précarisation massive de l'emploi des jeunes chercheurs.

Et Nicolas Sarkozy arriva

Le Président de la République élu en 2007 l'affirme : «l'enseignement supérieur et la recherche sont notre priorité absolue».Difficile de comprendre pourquoi, alors, universitaires et chercheursmanifestent avec autant d'ardeur. Sans revenir en détail sur unmouvement en cours et dont on trouvera sur ce blog une relationdétaillée, il est clair que l'UMP et son Président considèrent qu'ilest temps de remodeler ce secteur selon leurs analyses et objectifspolitiques, économiques, idéologiques. Ils bénéficient d'une situationen or pour y parvenir : la gauche n'ayant pas conduit les réformesnécessaires et le système fonctionnant en grande partie à l'inverse de sa conception(les IUT, par exemple, étant devenus des filières... sélectives et lesformations généralistes des universités, censées dans un tel systèmerecruter surtout des étudiants ayant le potentiel d'aller au moins àbac plus cinq récupérant tous les recalés de toutes les filièressélectives), il est possible d'argumenter sur une nécessaire tranformationen évitant le débat sur le contenu de cette dernière. D'où l'usagejusqu'à plus soif de la rhétorique de la modernisation et des réformes,bien connue de tous les analystes de sciences politiques. Ne s'ylaissent prendre que les volontaires.

Habilement, Valérie Pécresse recrute un directeur de cabinet... chezles thuriféraires de Ségolène Royal, en la personne de Philippe Gillet,par ailleurs brillant géologue, directeur de l'ENS à Lyon, que j'aibien connu lorsqu'il dirigeait l'Institut national des sciences del'Univers au Cnrs. La ministre développe d'emblée un discoursvolontariste, annonçant une manne budgétaire sans précédent, desréformes visant à «libérer» les scientifiques de la bureaucratie, etune révolution fondée sur la «confiance» du gouvernement envers lesuniversitaires puisqu'il leur confie des Universités «autonomes». Enoutre, dans ses premiers contacts avec les  journalistes spécialisés,elle joue la carte de la ministre qui va enfin défendre la sciencecontre les obscurantismes, affirme une volonté de s'impliquer à fonddans les dossiers et d'obtenir des résultats. Volontarisme et ardeur autravail dont il faut lui donner acte, tant ils n'ont pas été sifréquents dans le passé.

La suite fut malheureusement ce que l'on sait. La LRUva confondre l'autonomie de gestion nécessaire et un réforme degouvernance beaucoup trop marquée par l'obsession d'obtenir un pouvoirfort. On en voit l'effet avec la situation ubuesque de Paris-7 Diderotoù un président (Guy Cousineau) qui a perdu la majorité du Conseild'administration en raison de nouvelles élection peut, juridiquement,se maintenir à son poste. Les budgets seront mirobolants à l'annonce, et beaucoup moins glorieux au résultat. L'emploi scientifiquepublic sacrifié sur l'autel de la précarisation, avec un discoursmortifère prétendant qu'il y a assez de scientifiques en France et refusant d'augmenter le nombre de thèses financées.

La redéfinition de la carte universitaire, dont lanécessité est reconnue par de nombreux universitaires et scientifiquesqui poussent à des recompositions, des fusions d'établissements, netraite pas de manière franche le double problème majeur que constituentl'intégration des écoles d'ingénieurs et de commerce dans lesuniversités et le devenir des formations à bac plus trois pour lesétudiants qui s'en tiendront là.

La mastérisation du recrutement des enseignants sefonde sur une véritable arnaque sémantique : prétendre élever le niveaude formation alors qu'on le diminue. Reste le plan campus quiva permettre de renover et construire bâtiments, labos, logementsétudiants dans certaines métropoles universitaires... Nicolas Sarkozyet Valérie Pécresse me permettront de remarquer qu'il n'y a pas grandmérite à rattrapper le temps et les budgets perdus en se contentant devendre des actions d'EDF, merci le nucléaire pour ces milliards quiviennent en réalité des factures d'électricité.

Au moment où j'écris ces lignes, nul ne sait quel sera le devenir dumouvement de protestation contre cette politique, dans quelle mesure ilparviendra ou non à infléchir la politique gouvernementale. Il estclair que son ambition scientifique est réduite, ellese limite à vouloir réorienter l'effort de recherche public vers lessecteurs jugés plus décisif pour l'activité économique privée sans enélever le niveau global. C'est une stratégie qui présente certes unsens et donc peut obtenir, ici ou là, des résultats. Affronter lesdéfis du 21ème siècle dans lesquels la science et la technologiepeuvent jouer un rôle important - démographie, environnement, santé,emplois, climat, essor économique du Sud, gestion de ressourcesnaturelles, développement culturel... - exige manifestement une autreambition.