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Bioesthétiques / bioétiques. Pour une considération organique des pratiques fonctionnelles.

Bioesthétiques / bioétiques. Pour une considération organique des pratiques fonctionnelles.

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Zoppellari)

La multiplication récente des études de bioétique est tout d’abord le résultat du réveil de l’intérêt pour les implications esthétiques de quelques-uns des aspects des théories de Darwin. Au plus tard dans le Descent of Man (1871), Darwin construit sur les procès de sélections sexuelle, qui mettent en cause la compétition entre les individus masculins de la même espèce pour se garantir la faveur des femelles, une théorie générale sur la fonction adaptative de l’esthétique. De là sont nées différentes interprétations sur la formation chez les êtres humains d’une disposition à la pratique de l’art et sur l’existence de "structures poétogènes" d’ordre anthropologique. On doit la plus connue et la plus influente de ces interprétations aux psychologues évolutionnistes américains John Tooby et Leda Cosmides (The Psychological Foundations of Culture, in The Adapted Mind. Evolutionary Psychology and the Generation of Culture, éd. par Jerome H. Barkowm Leda Cosmides et John Tooby, 1992, p. 19-136; Does beauty build adapted minds?, in «Substance», 94/95, 2001, p. 6-25). Tous deux ont  étudié le lien entre la capacité formative telle qu’elle se manifeste dans l’exercice de l’esthétique et l’un des trois niveaux de fitness qu’ils ont mis en relation avec les processus évolutifs, la fitness mentale. Les pratiques fictionnelles auraient la capacité d’organiser le réel selon des modalités de complexité croissante et donc utiles à solliciter chacune des facultés adaptatives dans une version, pour ainsi dire, simulée et potentielles, selon ce que Tooby et Cosmides définissent "organizational mode". Le germaniste allemand Karl Eibl (Animal poeta. Bausteine der biologischen Kultur- und Literaturtheorie, 2004) a modifié ce schéma en suggérant l’existence d’une "modalité ludique" de laquelle l’art devrait relever : l’exercice esthétique garantirait une meilleure résistance au stress qu’engendrent les pratiques de survivance et donc un avantage adaptatif.

A coté de ces travaux d’orientation éminemment évolutionnistique se sont placés au fil du temps d’autres études visant à établir dans la catégorie de bios une macrostructure destinée à lier des expressions fictionnelles hétérogènes, situées à leur tour dans des contextes historiques et sociaux multiples. Winfried Menninghaus a étudié la fonction adaptative de l’esthétique dans une optique générale de théorie de la culture destinée à tempérer le radicalisme et le froid cognitivisme de quelques-unes des variantes de l’esthétique évolutionniste. Dans la perspective des ‘études culturelles’, Michele Cometa a revendiqué le caractère ‘bioanthropologique’ de nombre des segments de l’esthétique du XVIIIe siècle. Vittoria Borsò a mis au point les premiers instruments d’une lecture des processus de construction fictionnelle selon une organisation de la sphère biologique et corporelle.

Le numéro de "Prospero"  en préparation accueillera des contributions consacrées aux liens entre fiction et nature, esthétique et biologie, avec l’objectif de tracer un périmètre possible pour l’application  d’une optique biopoétique. La tendance cognitiviste de nombre des travaux biopoétiques produits ces dernières années a déterminé  un certain déséquilibre en faveur des phénomènes de réception au détriment de ceux de production esthétique. Ce déséquilibre est particulièrement marqué dans les travaux du domaine anglo-américain, à commencer par ceux, désormais classiques, de  Frederick Turner (Beauty. The Value of Values, 1991) e Ellen Dissanayake (Homo Aestheticus. Where Art Comes From and Why, 19952) jusqu’à ceux, plus récents, de Michael Tomasello. Même lorsque l’on ne s’est pas concentré sur des processus cognitifs de caractère général, mais sur des pratiques contextualisées dans un sens historique et culturel, les études ont surtout négligé la position des auteurs de textes. On peut citer ainsi les travaux sur l’émotionalisne du XVIIIe siècle de Katja Mellmann, dans lesquels domine la poussée vers la modélisation d’une anthropologie idéale du lecteur et vers une prévision le plus possible détaillée des processus de sensibilisation que déclenche le contact avec le texte littéraire (Emotionalisierung. Von der Nebenstundenpoesie zum Buch als Freund, 2006).

Le moment est venu de se demander si une considération biologique des phénomènes fictionnels ne doit pas s’étendre à la façon dont le domaine du bios structure et oriente le travail formatif des auteurs, en dépassant l’idée que la signification culturelle de l’organique est limitée à la sphère de la réception esthétique pure et simple. Bref, il convient de passer d’une ‘bioesthétique’, comprise comme fondation biologique des processus de perception du beau, à une ‘biopoétique’ vraiment réalisée, autrement dit comprise comme reconstruction des modalités dans lesquelles l’organique se retrouve dans les processus de constructions fonctionnelles. Les quelques travaux produits dans cette direction ont privilégié les segments d’œuvres d’art où la relation avec le bios est explicitement thématisé (comme dans le cas de l’interprétation des comportements sexuels de Madame Bovary conduit par les Barash en 2005). Un modèle qui voudrait rendre compte de manière appréciable de la présence du bios dans tous les processus d’expression formelle ne peut s’arrêter aux seuls lieux où l’on parle du bios mais doit pousser son enquête dans toutes les structures où un fondement anthropologique, de manière plus ou moins culturalisée, agit comme producteur de sens.

Parmi les objets possibles de travaux nous signalons, sans prétendre à l’exhaustivité :

-          Ouvertures interdisciplinaires dans l’histoire de l’esthétique.

-          La représentation fictionnelle du corporel chez des auteurs et dans des courants historico-littéraires.

-          L’incidence des sciences naturelles dans la construction de personnages fictionnels.

-          Les bases anthropologiques de catégories rhétorico-poétiques (par ex. le rôle des émotions dans les poétiques de l’effet).

-          Fondements biologiques dans les distinctions entre genres littéraires.

-           Applications de l’évolutionnisme dans l’interprétation des textes littéraires.

-          Transformations conceptuelles et hybridation entre domaines discursifs hétérogènes selon la sémantique historique.

Les propositions de contribution devront arriver sous la forme de résumé ne comptant pas plus de 300 mots au plus tard le 12 mai 2014 avec confirmation d’acceptation au plus tard le 25 mai 2014. On acceptera des propositions en langue française, italienne, anglaise ou allemande. Les textes définitifs, d’une longueur comprise entre 5000 et 8000 mots et rédigés conformément aux normes rédactionnelles du MLA Style Sheet, devront être envoyés à l’éditeur scientifique, M. Maurizio Pirro (Université de Bari) (mauriziopirro@libero.it) et aux directeurs de la revue,  Mmes Roberta Gefter et Anna Zoppellari (gefter@units.it ; zoppelan@units.it) au plus tard le 15 septembre 2014. L’évaluation des articles soumis à la revue est assurée par un réseau international de lecteurs spécialisés et sera faite en double-blind.

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Prospero est la revue annuelle de Littérature étrangères, Littératures Comparées et Études Culturelles du Département des Études Humanistes, DiSU. Elle est publiée par EUT, Éditions de l’Université de Trieste, depuis 1993. À son actif, elle compte différents numéros monographiques et accueille des contributions en italien, anglais, français et allemand. Elle est indexée par le MLA, présente dans les bibliothèques italiennes (Catalogue SBN et ACNP) et étrangères (parmi lesquelles le KVK Karlsruhe Virtual Catalog, la Library of Congress, le Worldcat) et depuis 2011 open access (http://eut.units.it/PE5). Depuis 2011 elle est entièrement peer-review, en double-blind.