Questions de société

"Base élèves" traîné devant l'ONU (Le Monde 28/03/09)

Publié le par Bérenger Boulay

[voir aussi: Fichier Base élèves: la France doit s'expliquer devant les Nations unies, par L. Fessard (Mediapart - 26/05/09)]

"Base élèves" traîné devant l'ONU

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par Brigitte Perucca, Le Monde 28/03/09

Ils ne sont plus qu'une poignée et pourtant ilsrésistent. Les opposants à Base élèves 1er degré, du nom du fichierinformatisé et centralisé qui stocke les informations recueillies lorsde l'inscription de chaque enfant dès l'école maternelle, ne désarmentpas. Leur dernière "victoire" : la France sommée d'expliquer par écritavant le 6 avril aux Nations unies, dans le cadre de la session duComité des droits de l'enfant, "à quelle mission de service publicservira le stockage au niveau national de données nominatives etindiquer les raisons pour lesquelles le droit d'opposition prévu par laloi ne s'applique pas à ce dispositif. Veuillez également informer leComité (des droits de l'enfant de l'ONU) des conséquences éventuellesque pourrait entraîner le refus des parents de fournir les informationsrequises sur leurs enfants".

Réunis dans un Collectif national de résistance à Baseélèves (CNRBE), des parents d'élèves et des enseignants, relayés par laLigue des droits de l'homme, contestent ce fichier depuis les premièresexpérimentations lancées en 2004. Ils ont d'ailleurs réussi à ledépouiller des attributs dont il était doté au départ. Mais continuentde se battre pour obtenir sa suppression. Les uns au tribunal - où lespremières plaintes contre X... invoquant le non-respect de la loiInformatique et libertés ont été déposées mercredi 25 mars comme àGrenoble et à Millau - les autres dans les écoles autour des"désobéisseurs" qui, en refusant de renseigner la Base, font l'objet desanctions et de retraits sur salaire. Un recours en annulation aégalement été déposé au Conseil d'Etat le 22 décembre 2008.

Quand, après des années de fiches cartonnées, lemammouth décide de basculer dans le tout-numérique, il ne se doutaitpas que l'affaire soulèverait une telle indignation. Les collèges etles lycées sont dotés depuis 1995 d'un logiciel (Sconet) qui centralisedes renseignements familiaux et scolaires sans que cela ait suscité lamoindre vaguelette. L'école se révèle plus frondeuse.

"Les collègues ont mis un certain temps à réagir parceque, au départ, Base élèves leur a été présenté comme une réponse à unede leurs revendications : disposer d'un logiciel équipé des mêmesfonctionnalités dans toutes les écoles", se souvient Gérard Courdert,délégué du Syndicat des instituteurs et professeurs d'école(Snuipp-FSU) de l'Ain. "En plus, pour beaucoup d'entre eux,l'ordinateur est souvent arrivé avec le logiciel lui-même", précisePierre Devesa, directeur d'une école primaire dans le même département.

Le logiciel en question se révèle tout sauf anodin :pour la première fois, les écoles se voient tenues de remplir une basede données indiquant les nom, prénom, adresse de leurs élèves, maisaussi leur nationalité, l'année de leur arrivée en France, le suivimédical ou psychologique dont ils font l'objet, leur handicap éventuel.

Sans que le législateur y ait mis son nez, un fichiercentralisé et précis voyait le jour, au moment même où, partout enFrance, des enseignants prenaient fait et cause en faveur de leursélèves sans papiers et quand, peu de temps avant, l'idée d'un repérageprécoce de la délinquance avait provoqué controverse et indignation.

Prenant acte de la fronde, le ministère plie mais necède pas, publiant un arrêté "portant création de Base élèves", en datedu 20 octobre 2008, épuré des champs de la nationalité, du handicap, del'absentéisme, etc. Le ministre, Xavier Darcos lui-même, avait estimé,en juin, que ce fichier était "profondément liberticide".

Revu et corrigé, Base élèves, qui contient unecinquantaine de renseignements, dote chaque enfant d'un identifiantnational élève qui rejoint la Base nationale. Le tout est consultableen partie par la mairie, en totalité par l'inspection académique. Lesparents ne peuvent s'y opposer. La plupart des enseignants cèdent sousla pression, quelques-uns résistent contre ce qu'ils jugent être uneopération de fichage.

Pour l'éducation nationale, qui a beaucoup souffert dela grève administrative menée pendant des années par les directeursd'école, il ne s'agit que d'un outil de bonne gestion. Base élèves adéjà permis de rectifier de "plusieurs milliers" l'effectif des enfantsinscrits à l'école. Ramené à 6 millions, c'est peu, mais "un élève deplus ou de moins peut impliquer une fermeture ou une ouverture declasse", défend le ministère.

Mais pourquoi des fichiers nominatifs ? Ils peuventêtre "utiles en cas de méningite ou de recherches d'enfants". Ou pourrepérer les enfants sans papiers, s'inquiète le Collectif.

Pour ses détracteurs, ce fichier pourrait bienconstituer aussi le socle du futur "casier" que risque de traînerderrière lui chaque enfant durant sa scolarité. "L'outil Base élèvesest évolutif. La meilleure preuve, c'est qu'il a déjà fait l'objetd'une modification déclarée à la CNIL : elle consiste à pouvoirattribuer le nom d'un enseignant à chaque classe", argumente ChristianDrevet, directeur d'une petite école de trois classes à Eydoche, dansl'Isère. Sachant que l'éducation nationale travaille à la mise en placed'"un livret scolaire électronique" qui contiendrait le résultat desévaluations individuelles et qu'un fichier national sur le retardscolaire est également en préparation, qu'est-ce qui interdira deconnecter tous ces fichiers à travers l'identifiant de l'élève ?

Des parents s'insurgent, comme Vincent Fristot, deGrenoble, à l'origine du recours au Conseil d'Etat, choqué que cefichier ait été imposé "sans débat démocratique, sans concertation".C'est comme si "on nous retirait notre autorité parentale", s'indigneMarylou Waligorsk, dans l'Aveyron. "N'importe quel distributeur esttenu de demander notre avis s'il veut constituer un fichier. Pasl'éducation nationale !", s'insurge Béatrice Koehler, dans l'Ain, quijuge choquant que "grands-parents, amis et nounous" se retrouvent aussi"fichés" à leur insu. Mais il est sans doute trop tard : 80 % desenfants sont déjà inscrits sur Base élèves.