Actualité
Appels à contributions
Autour de La Pucelle

Autour de La Pucelle

Publié le par Vincent Ferré (Source : Myrtille Méricam-Bourdet)

Journées d'étude organisées par la Société des études voltairiennes et le CELLF 17e-18e de l'Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)

(Paris, 27-28 juin 2008)

Depuis l'édition critique procurée par J. Vercruysse dans Les Oeuvres complètes de Voltaire (t. 7, Oxford, Voltaire Foundation, 1970), qui proposait, pour la première fois, une analyse raisonnée du foisonnement des éditions de La Pucelle et donnait à lire le texte de l'« encadrée » de 1775 accompagné, selon les principes de la collection, des variantes significatives des éditions antérieures, rares ont été les travaux critiques consacrés à cette oeuvre que Voltaire retravaille pendant plus de quarante ans. La Pucelle méritait donc d'être choisie pour sujet d'étude lors des Journées Voltaire organisées par la Société des études voltairiennes et le CELLF qui se dérouleront à l'Université de Paris-Sorbonne (Paris IV) les 27 et 28 juin 2008. Conformément à l'orientation pluridisciplinaire qui caractérise ces Journées, plusieurs directions de recherche pourront être explorées – et éventuellement croisées – dans les communications qui seront présentées.


1. Quoique la question ait été largement traitée dans l'édition de J. Vercruysse, on pourra soulever des problèmes bibliographiques liés à la découverte éventuelle de manuscrits ou d'éditions nouvelles de nature à enrichir la connaissance de son histoire éditoriale, passablement complexe. L'accent pourrait entre autres être mis sur les éditions « pirates » de La Pucelle, en particulier celles qui paraissent avant la « Nouvelle édition, corrigée, augmentée et collationnée sur le manuscrit de l'auteur » qui sort des presses des frères Cramer en 1762 : on s'interrogera sur la manière dont elles sont constituées, sur la version du texte qu'elles exploitent et sur les développements scabreux qu'elles intègrent, sur ce que les méthodes de la bibliographie matérielle peuvent apprendre de l'identité de ceux qui en sont les artisans. On peut aussi attendre de ces recherches des éclairages nouveaux sur le mode de diffusion du texte, qui n'est pas sans incidences sur la réception qui en a été faite.

2. Si la présence de tels développements, que dénonce Voltaire, comme il se doit, n'entre pas pour rien dans la réputation scandaleuse qui entoure le texte, il faudrait en effet revenir sur la réception de La Pucelle et sur la constitution de l'image scabreuse qui s'attache à ce texte. En dénonçant en 1762, dans les « dernières éditions » faites par « des barbares », la présence de « vers que le cocher de Vertamont sortant du cabaret pour aller en bonne fortune aurait désavoués », mais au sein d'une « Préface » signée par « don Apuleius Risorius, bénédictin », Voltaire ne renforce-t-il pas, de manière plus ou moins délibérée, cette image, lui qui – ses lecteurs le savent bien – a coutume de désavouer hautement les productions « hardies » qui sortent de sa plume ? C'est peut-être le dispositif même de l'oeuvre qui entretient – ou engendre – l'ambiguïté. En faisant lui-même circuler des manuscrits, il est vrai dans un cercle restreint d'initiés, Voltaire n'a-t-il pas lui-même ouvert la boîte de Pandore ? La lecture de la correspondance montre ainsi que Voltaire prend une part active à la diffusion de son oeuvre, qu'il développe également des stratégies publicitaires dès lors que, selon son habitude, il accompagne ses envois d'éléments relatifs à la réception de son texte, lesquels ne mettent toutefois pas l'accent sur les mêmes aspects en fonction de celles et ceux auxquels il s'adresse. On voit qu'à partir de l'exemple de La Pucelle, ce sont les stratégies de publication qui peuvent être interrogées : comment Voltaire cherche-t-il à garder la main sur la diffusion de son oeuvre et à en orienter la réception ? Dans quelles limites y parvient-il, c'est-à-dire aussi dans quelle mesure la maîtrise lui échappe-t-elle ? Il faudrait encore, à partir de l'étude des enseignements à retirer de la presse périodique, des correspondances privées et semi privées, s'intéresser au public qui a eu accès à La Pucelle et à la manière dont ce texte a été effectivement lu – à confronter à la teneur du discours envahissant de l'auteur sur son oeuvre.

3. La réputation sulfureuse de La Pucelle tient-elle seulement à l'évocation de situations volontiers graveleuses ou doit-elle être reliée à la portée idéologique de l'oeuvre ? On sait que La Pucelle d'Orléans raconte « sur un mode plutôt burlesque » les « exploits » de « l'une des figures les plus célèbres de l'Histoire nationale, vénérée aussi bien par les laïcs que par les croyants » (J. Vercruysse). Il faudrait ainsi revenir sur la constitution de la figure historique de Jeanne d'Arc, d'autant moins neutre d'un point de vue idéologique qu'elle est au centre d'un débat historiographique auquel Voltaire lui-même prend part dans son oeuvre historique. Il faudrait également s'interroger sur le statut des développements polémiques qui interviennent, dans La Pucelle, à la faveur de passages du texte qui peuvent apparaître, par rapport à la continuité narrative du récit, comme des digressions. Si, comme on l'a vu, le dispositif textuel est de nature à engendrer de l'ambiguïté, c'est aussi en raison de la présence d'un texte (en prose) sous un texte (en vers) que marque l'adjonction d'un paratexte éditorial constitué d'une « Préface » et d'une quantité – d'ailleurs croissante, au fil des éditions – de notes en bas de page. Il convient en effet d'examiner la portée de ce texte second : sans aller jusqu'à faire de La Pucelle un ouvrage « moral », quel crédit doit-on accorder à la mention, dans la « Préface », des « allégories » contenues dans le « poème » dont « les lecteurs » sont invités à « tirer quelque instruction » ? La tension, mise en scène avec ostentation à propos du Morgante de Pulci, entre une lecture « sérieuse » et une lecture « plaisante » – sensible aux « hardiesses trop fortes » auxquelles « s'abandonne » l'auteur – ne doit-elle pas être transposée à l'ouvrage de Voltaire même ? Bref, dans quelle mesure peut-on lire aussi La Pucelle comme une oeuvre « philosophique » ?

4. L'existence de développements digressifs mais aussi le mode de composition d'un texte qui, dans sa genèse comme dans son histoire éditoriale, procède par adjonction de chants successifs, invitent à s'interroger sur la cohérence d'ensemble de l'oeuvre. Un tel texte qui, par l'instauration du double régime du poème et des notes mais aussi par la présence systématique, au début de chaque chant, d'une entrée en matière discursive, orchestre une alternance entre discours et récit, qui, au sein même du récit, fait se côtoyer personnages historiques et personnages fictifs, qui, par la nature même du personnel historique mis en scène, pratique l'anachronisme délibéré, ne ressortit-il pas à une esthétique du mélange ? Ce qui amène à poser la question du statut générique de La Pucelle, définie, dans la « Préface », comme un « poème héroïque ». Quels sont les modèles poétiques convoqués dans l'oeuvre, qu'ils soient – ou non – revendiqués dans le texte ou dans le péritexte, selon les catégories de G. Genette ? Dans quelle mesure convient-il de parler de parodie et de pastiche ? A-t-on affaire à une imitation de genre ou de style ? Quel traitement, surtout, Voltaire leur fait-il subir ? C'est soulever la question du régime selon lequel se nouent les relations intertextuelles, éventuellement transtextuelles : régime sérieux, ludique, satirique ? On s'interrogera ainsi, au sens large, sur les multiples effets de reprise et le détournement des codes génériques et stylistiques. Outre la question du ton spécifique d'une oeuvre qui fait un large accueil à la fantaisie et qui ne se ramène pas à ce que l'on a coutume de désigner comme « l'ironie voltairienne », on prêtera attention à la manière de conter qui ne se confond pas avec celle mise en oeuvre dans les contes, probablement pas même avec celle que l'on observe dans les contes en vers. C'est pourquoi un intérêt particulier pourrait être porté à l'analyse stylistique de la versification, à distinguer de la pratique de Voltaire dans d'autres oeuvres poétiques.

5. La Pucelle a été l'oeuvre de Voltaire « la plus richement illustrée » (D. Masseau). Le phénomène, que l'on observe dès la première édition imprimée par les Cramer en 1762, est particulièrement remarquable d'un point de vue éditorial, mais aussi en ce qu'il alimente la réflexion sur la réception de La Pucelle. On pourra ainsi s'interroger sur l'économie du rapport texte/image qu'induit la présence des illustrations : quels sont les épisodes illustrés ? Ce choix est-il dû au caractère thématiquement frappant de ces épisodes, à la dimension spécialement théâtrale qui est conférée à leur narration ? À quel endroit ces illustrations se trouvent-elles et quelles sont les incidences, du point de vue de la réception, de cet emplacement ? Comment les « scènes » représentées sont-elles composées ? S'agissant des illustrations qui se trouvent dans les éditions dites « autorisées », Voltaire a-t-il pris part au choix de l'artiste qui a illustré son oeuvre, à celui de la nature des épisodes retenus et de leur place dans le volume ? En exploitant les acquis théoriques de la sémiologie de l'image, on se demandera notamment dans quelle mesure ces illustrations constituent une lecture à part entière de l'oeuvre. L'enquête portera naturellement d'abord sur la série des vingt planches dessinées par Hubert-François Bourguignon, dit Gravelot, qui figure dans l'édition de 1762. Elle pourra aussi porter sur les vingt-sept gravures après la lettre du Recueil des estampes de la Pucelle d'Orléans qui pourront être reliées dans toutes sortes d'éditions, « gravées d'après les idées de l'auteur par L. Rake [Drake] », recueil publié « à Londres ». Les incidences des illustrations sur la réception de l'oeuvre justifieraient aussi que l'on n'exclue pas du champ de recherche celles qui se trouvent dans les éditions de La Pucelle publiées après la mort de Voltaire.

Ces quelques directions de recherche ne prétendent naturellement pas épuiser l'intérêt que présente ce texte auquel s'attache un durable parfum de scandale, qui est probablement aussi un texte très mal connu. Elles ont pour vocation première de réunir les spécialistes de disciplines diverses autour d'un objet commun paradoxalement très riche et peu étudié. Les propositions de communication sont à adresser, d'ici la fin du mois d'avril 2008, à Olivier Ferret (olivier.ferret@univ-lyon2.fr) ou à Christiane Mervaud (139, rue Pierre Corneille, 76520 Franqueville St Pierre).