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Au risque du métatexte (Interférences littéraires/Literaire interferenties n° 15)

Au risque du métatexte (Interférences littéraires/Literaire interferenties n° 15)

Publié le par Emilien Sermier (Source : David Martens)

 

Au risque du métatexte
Formes et enjeux de l’autocommentaire littéraire


Numéro spécial sous la direction de Karin Schwerdtner (University of Western Ontario) & Geneviève de Viveiros (University of Western Ontario)

Interférences littéraires / Literaire interferenties, n° 15, février 2015

http://interferenceslitteraires.be/node/262

 

Réfléchir sur son écriture et sur son projet auctorial dans le cadre de discours étrangers à l’œuvre proprement dite consiste souvent pour l’écrivain à tenter de mettre en place une représentation singulière de soi et de son travail. De ce point de vue, comme le montre l’exemple d’auteurs comme Nabokov ou Borgès, la réflexion d’auteur, se situant en dehors de l’œuvre, présente des intérêts multiples, notamment en termes de pré-configuration de la réception. Toutefois, elle implique dans le même temps différents types de risques (littéraires, mais aussi éthiques, juridiques...), parfois antithétiques, comme susciter des interprétations potentiellement contradictoires ou, au contraire, réduire la possibilité de lectures plurielles au profit de celle(s) que l’auteur souhaite privilégier. Pour d’autres, qui entreprennent de livre la trace de leurs réflexions sur leurs œuvres littéraires, le danger peut résider dans la possibilité de se contredire, ou encore dans celle de trop (se) dire. Et que dire des risques d’une évolution de l’opinion de l’auteur au sujet de son travail (on peut n’être pas le même écrivain à 20 et à 50 ans) ?
Renforcée par le développement des médias et de la présence des écrivains dans les journaux, à la radio ou à la télévision, ainsi que par l’intérêt pour leurs papiers privés, phénomènes qui ont pris leur essor à la fin du XIXe siècle, pareille situation a contraint les auteurs à composer avec le risque du discours auctorial relatif à l’œuvre. Ce donné nouveau de la pratique littéraire revêt des formes particulières lorsqu’il se joue dans un à-côté de l’œuvre, plus ou moins proche d’elle. Ces discours auctoriaux entretiennent une relation particulière avec elle, déterminée à plusieurs titres. Il s’agit, pour les écrivains, de gérer une image d’auteur (Amossy 2009) et de contrôler, dans la mesure du possible, la réception de leurs œuvres, en fonction de paramètres spécifiques : alors que certains paratextes sont constitutivement publics (préfaces, entretiens, conférences...), d’autres sont censément privés, dans un premier temps du moins (correspondances, conversations, entrées de journal) ; si certains accompagnent l’œuvre dans l’espace de publication et/ou dans le temps, d’autres demeurent à distance de celle-ci, selon une situation qui peut évoluer (il suffit de songer au sort de certaine lettre bien connue de Rimbaud, de facto annexée à ses œuvres complètes).
Dans cette perspective, la préface (ou, aussi bien, la postface) autographe constitue un hors-texte au plus proche de l’œuvre, qu’elle précède ou suit en fonction de finalités spécifiques, mais qui ont en commun de favoriser ou de susciter la lecture (ou la relecture) de l’œuvre et, ce faisant, d’en orienter peu ou prou la réception. Selon les types de préfaces, il peut s’agir de contribuer à légitimer l’ouvrage à lire (ou lu), par exemple en exposant ses principes esthétiques et/ou en répondant à des critiques potentielles ou effectives, de rapporter les circonstances d’écriture de l’œuvre ou encore de prendre position au sein d’un champ littéraire déterminé. Parlant en son nom, l’auteur de ce type de discours métatextuel prend, de facto, davantage de risques que s’il faisait, par exemple, endosser ses propos à un être de fiction ou à un autre préfacier.
Semblables dangers se retrouvent dans l’entretien, forme d’adresse à autrui qui permet de développer, dans le cadre d’un discours dialogique public, une réflexion métatextuelle autour d’une œuvre. À en croire Louis Marin (1997), le danger particulier du genre résiderait en l’occurrence dans la possibilité que les propos recueillis se substituent « au livre ou à l’article au nom de l’instantanéité, de l’immédiateté, de la rapidité pour ne pas dire de la vitesse de la publicité de pensée ». À cet égard, l’entretien, genre particulièrement récent au regard de l’histoire littéraire (Bawer 1988), a pu passer pour un mode d’expression relativement étranger à l’activité traditionnellement solitaire de l’écrivain, et aux conditions coutumières de la maîtrise qu’il exerce sur son discours, puisque l’auteur y partage le discours avec un autre.
Dans un ordre d’idées analogue, certains chercheurs ont fait remarquer le pouvoir ambivalent de la correspondance et souligné les risques encourus par l’auteur dans la « réflexion par lettres » (Melançon 1998), en termes de dysfonctionnement communicationnel en particulier : une missive peut être mal comprise, source de malentendu, reçue trop tard, ou lue par une personne autre que le destinataire voulu. Nombreux sont les périls liés à la transmission de la lettre d’écrivain (provocation à l’endroit du destinataire, risque de la polémique...), notamment dans l’éventualité d’une publication, du vivant de l’auteur ou non. Compte tenu de ces dangers, Kafka aurait préféré ranger sa Lettre au père dans un tiroir plutôt que de l’envoyer tandis que Yourcenar, pour sa part, aurait brûlé un amas de correspondances archivées et se serait montrée attentive au devenir de ses nombreux courriers à ses amis et quelques autres.
De même, autre forme de pratique scripturaire initialement vouée à l’intime, le journal d’écrivain pose-t-il parfois problème pour la critique dans la mesure où il contient, par rapport à d’autres discours auctoriaux non interactifs, comme la préface, davantage de « dangers psychologiques et moraux » (Sergier et Vanderlinden 2012 : 9). Selon Felicity A. Nussbaum, le discours du diariste a effectivement le pouvoir de démentir, voire de disloquer, sinon les constructions officielles du réel, du moins les versions autorisées, par l’auteur et son éventuelle vulgate, de l’expérience en question (Nussbaum 1988 : 136). Mais ce n’est pas tout : dans l’éventualité de sa publication, le journal peut aussi modifier la perception d’un auteur ayant accepté, pour le dire comme Ernaux, de « se montrer sous un jour fragile, hésitant, sans gloire » (Schwerdtner 2013 : 764).
Ces éléments expliqueraient peut-être le refus de certains écrivains d’accorder des entretiens ou de commenter leur travail, leurs refus de laisser publier des écrits intimes (ou leur désir de les expurger), ainsi que, corollairement, la réticence en même temps que l’attrait du lectorat et de la critique à tenir compte des propos d’auteurs tenus dans ces registres discursifs particuliers.
En pareil contexte, quels pièges peut-il y avoir pour l’auteur à produire et, le cas échéant, à (laisser) diffuser des « traces » (écrites, voire audio ou audio-visuelles) de ses réflexions sur son œuvre et sa vie ? Quelles sont les spécificités des différents types de discours métacritiques dont l’œuvre et son auteur peuvent faire l’objet ? Certains types de risques sont-ils davantage pressentis dans certains genres de discours que dans d’autres ? Comment prendre la mesure des dangers encourus, les anticiper, les esquiver et/ou les affronter ? Quelles sont les figures, thèmes et motifs, qui donnent corps au risque ? Comment celui-ci est-il figuré et compris sur le plan imaginaire ? Quelles sont les stratégies mises en œuvre en termes de gestion des risques encourus, par les écrivains, mais aussi, le cas échéant, par leurs éditeurs ainsi que par leurs lecteurs ? Pour ces derniers et, à certains égards également, pour les critiques, quels sont les usages de ces réflexions métacritiques de l’auteur pour rendre compte de l’œuvre et quels écueils peut-il y avoir à l’interpréter à la lumière de ces discours et des risques qu’ils présentent ?
Entre gestion du passé et du présent en vue de l’édification d’une réception, y compris posthume, les risques du métadiscours sont nombreux pour les écrivains, mais l’on peut faire l’hypothèse que, s’ils s’y livrent, ce peut être pour en prévenir d’autres. Ce numéro d’Interférences littéraires/Literaire interferenties se veut dans cette optique le lieu d’une réflexion plurielle sur les risques qui marquent la réflexion métatextuelle des écrivains depuis la fin du XIXe siècle. L’objectif sera d’étudier le risque tel qu’il apparaît, mais aussi tel qu’il est traité à une époque qui a vu se développer l’intérêt pour les écrits intimes des écrivains en même temps que certains genres médiatiques comme l’entretien. Il s’agira, en définitive d’explorer les risques (de confusion, de malentendu, de polémique, de répétition, etc.) encourus dans le fait même d’exploiter certaines formes particulières de discours métatexuels et les stratégies mises en œuvre pour y répondre.

    
    Les propositions de contribution sont à faire parvenir avant la date du 15 avril 2014 à Karin Schwerdtner (kschwerd@uwo.ca) et à David Martens (david.martens@arts.kuleuven.be). Ces propositions doivent comprendre un résumé de plus ou moins 300 mots, ainsi qu’une courte biographie précisant votre appartenance institutionnelle et vos domaines de recherche. Les articles peuvent être rédigés en allemand, en anglais, en espagnol, en français, en italien et en néerlandais. La sélection des textes sera opérée dans le courant du mois de mai 2014. Les articles seront envoyés dans leur version définitive par voie électronique avant le 1er septembre 2014. Il seront ensuite évalués par deux experts. La publication du dossier aura lieu en février 2015.



Selected bibliography

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