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Ateliers sur la création contemporaine (Paris 8, séminaire ouvert)

Ateliers sur la création contemporaine (Paris 8, séminaire ouvert)

Publié le par Marc Escola (Source : Sylvia Chassaing)

Ateliers sur la création contemporaine - séminaire ouvert aux doctorants de toutes les universités

Dans Qu’est-ce que le contemporain, Giorgio Agamben écrit : « Est contemporain celui qui reçoit en pleine face le faisceau obscur de son temps »[i]. Il n’est pas rare que cette obscurité frappe aussi celui qui l’étudie. Si le contemporain est nettement ancré dans le monde universitaire – les chaires de littérature, de philosophie, d’art contemporains sont de plus en plus visibles –, les problèmes que posent son étude gardent, par définition, toute leur actualité.

Le but de cet atelier interdisciplinaire est donc double : il s’agit d’une part de découvrir ce contemporain que nous étudions, en art et en littérature, tous domaines linguistiques confondus, et dont nous avons nécessairement une connaissance partielle, et d’autre part de réfléchir, à travers ces exemples, aux diverses problématiques (périodisation, genre, auteur, texte) qui sont celles de cette création contemporaine.

 

• Périodisations du contemporain ?

Étant donné le sens temporel du terme, la première question à poser, et peut-être la moins intéressante, est sans doute : quand est le contemporain ? Notre but n’est toutefois pas d’établir avec certitude une périodisation de la littérature ou de l’art contemporain. Les discours qu’ont tenu aussi bien les critiques et les philosophes que les artistes et les écrivains eux-mêmes sur cette question peuvent être éclairants, sinon sur une histoire de la production artistique, du moins sur l’imaginaire du contemporain. Quand est le contemporain donc, mais aussi et surtout quand parle-t-on de contemporain ?[ii]

 

• Formes du contemporain

Quoique venant nous-mêmes de la littérature, nous souhaitons que l’atelier ne s’y limite pas. Notre désir est avant tout d’ouvrir un espace d’échange entre contemporanéistes de différents domaines. La question que nous posons est donc la suivante : peut-on apprendre quelque chose des usages comparés que font musique, littérature et art de l’adjectif « contemporain » ?

L’art contemporain en particulier a fait l’objet d’un grand nombre de théorisations, dont une des dernières en date, celle de Nathalie Heinich[iii], repose sur une application au domaine de l’histoire de l’art de la notion de « paradigme », empruntée à l’épistémologie. La sociologue voit en effet dans le passage de l’art moderne à l’art contemporain un changement de « paradigme artistique », c’est-à-dire une révolution dans la manière dont on conçoit la production artistique, l’œuvre elle-même et sa réception. Discutables autant que peut l’être toute entreprise de modélisation, les propositions de Nathalie Heinich font cependant réfléchir à ce que pourrait être une entreprise semblable dans le domaine des études littéraires : existe-t-il une littérature contemporaine au même titre qu’il existe un art contemporain ? Et quel serait alors ce « paradigme de la littérature contemporaine », s’il existe ? Et s’il n’existe pas, pourquoi cette spécificité du littéraire face à l’artistique, alors même que les rapprochements entre art et littérature, cette « néo-littérature » dont parle Magali Nachtergael[iv], sont plus vivaces et plus multiformes que jamais ?

 

• Métamorphoses contemporaines de l’appareil critique littéraire

Une des voies possibles de cette investigation pourrait être de voir ce que la littérature contemporaine fait de concepts tels qu’ « auteur », « lecteur », « style », « genre »,  « représentation », qui ont accompagné la littérature et la théorie littéraire au fil des siècles. Nous ne voulons pas succomber aux sirènes des discours de la fin, qui redoutent un « désenchantement de la littérature », mais nous servir de ces concepts comme moyens pour identifier la spécificité de la production littéraire contemporaine.

Pour prendre l’exemple de « l’auteur », un écrivain comme Houellebecq, non content de mettre en scène dans La Carte et le territoire sa propre mort, participe activement au mythe élaboré autour de lui, dans le téléfilm de Guillaume Nicloux L’Enlèvement de Michel Houellebecq notamment, en se prêtant à une mise en fiction d’un épisode véridique de sa vie. Dès lors, il devient difficile de faire le partage entre la personne de l’auteur et son personnage, surtout quand l’assimilation des deux entités est revendiquée, comme elle l’est dans l’autofiction. Si, dans le cas de Houellebecq, l’intention ironique paraît évidente, une entreprise telle que celle de Philippe Thomas paraît encore plus ambiguë. De 1987 à 1993, son agence, les readymade appartiennent à tout le monde®, proposait aux collectionneurs de devenir non les propriétaires d’une œuvre de l’artiste, mais bien ses auteurs et d’inscrire leur nom dans l’histoire de l’art[v]. Quelle place occupe donc l’artiste contemporain par rapport à son œuvre, entre déni de paternité et omniprésence médiatique ?

Par ailleurs, si un ouvrage récent a rappelé que « non, la langue littéraire n’était pas morte »[vi], peut-on encore parler de « style », dans la mesure où le terme est historiquement associé à une conception de l’auteur comme génie qui a informé les études littéraires depuis le XIXe siècle[vii] ?

L’on a diagnostiqué déjà « l’éclatement des genres »[viii] au XXe siècle. De fait, la littérature et l’art contemporain ont fait appel à des genres ou à des formes qu’on ne considère traditionnellement pas comme littéraires ou artistiques (notation, journal ou pratiques du Pop-Art). Par ailleurs si l’œuvre d’art tend à se dématérialiser ou à se faire plurimédiale, il n’est pas rare que l’écrivain se fasse lui aussi performeur dans le cadre de happenings, certes littéraires, mais qui n’ont plus grand chose à voir avec le “Texte” de littérature. La mise en rapport entre le produit artistique et les discours (auctoriaux, éditoriaux, conceptuels, génériques) par lesquels il est médiatisé semble donc bien orienter l’analyse vers un questionnement concernant le type de discours particulier qui désormais tend à se substituer au médium autonome de la période moderniste, et déplacer l’accent de l’étude de l’œuvre en circuit fermé à l’étude des conditions énonciatives de sa production.

Nous souhaitons donc également réfléchir sur les conditions de production et de validation de ces arts contemporains. Que faire des notions de goût et de jugement esthétique liées aux époques classiques et modernes ? Comment identifie-t-on aujourd’hui une production contemporaine comme littéraire ou artistique ? Comment à la littérature la question de Nelson Goodman : non seulement When is art donc, mais aussi When is literature ?

 

• Pratiques contemporaines de la critique

Enfin, qu’est-ce que tous ces questionnements impliquent quant à nos pratiques de recherche ? Peut-on pratiquer la micro-lecture, l’analyse de détail, de la même manière, si l’artiste que nous étudions ne souscrit pas à la notion de style, reposant sur une conception de l’auteur comme maître tout-puissant de son œuvre ? Une approche de l’œuvre littéraire en termes de réception ou de conditions de production, ce qui semble être une alternative, ouvre des voies vers d’autres disciplines universitaires, de la sociologie aux neurosciences. Loin d’y voir le danger d’une dissolution des études littéraires, nous proposons de réfléchir à la manière dont celles-ci peuvent emprunter à ces disciplines leurs méthodes et leurs angles d’attaques.

 

 

Bien conscients que « les réponses passent, les questions restent »[ix], nous souhaitons avant tout ouvrir un espace de découverte et de discussion pour les participants, plutôt qu’élaborer une théorie structurée du contemporain.

Dans cet esprit, toutes les interventions sont les bienvenues, aussi bien celles qui proposent une réflexion théorique sur ces questions que celles qui développent une réponse partielle à partir d’un exemple ponctuel ; le seul impératif est de donner matière à discussion. Les orientations suivantes peuvent constituer des pistes de réflexion, même si la liste n’en est pas exhaustive :

  • Géopolitique du contemporain (lieux de l’écriture, de la production ou de l’étude du contemporain)
  • Productions contemporaines et critique des hégémonies
  • Reconfiguration de la réception
  • Intermédialités et transmédialités / métamorphoses de l’objet livre
  • Qu’est-ce que se dire écrivain / artiste aujourd’hui ? La notion d’auteur

 

 

Le séminaire aura lieu à l’université Paris-8, salle D143, de 18h à 20h les mardis 20 octobre, 24 novembre, 15 décembre 2015, 26 janvier, 23 février, 29 mars, 3 mai, 7 juin 2016. Les personnes intéressées peuvent envoyer des propositions à tout moment.

Toute participation pourra donner lieu à une publication sur la plateforme « Le Labo du contemporain » de l’université Paris-8[x] si l’intervenant le souhaite.

 

Organisateurs

 

Collectif non exposé (Paris-8) : Carine Ariztia, Sylvia Chassaing, Olivier Crépin, Emmanuel Reymond, Alice Rime, Mathilde Roussigne.

 

 

[i] AGAMBEN, Giorgio, Qu’est-ce le contemporain, Paris, Ed. Payot & Rivages (tr. Maxime Rovere), 2008.

[ii] RUFFEl, Lionel, “Qu’est-ce que le contemporain”, http://www.vox-poetica.org/t/articles/ruffel2010.html

[iii] HEINICH, Nathalie, Le Paradigme de l’art contemporain, Paris, Seuil, 2014.

[iv] NACHTERGAEL, Magali, « Art contemporain et écriture : la ‘new literature’ ? », L’art même, Bruxelles, Ministère de la Communauté française, n°55, 2e trimestre 2012, p. 4-6.

[v] Voir les travaux d’Emeline Jaret.

[vi] NARJOUX, Cécile (dir.), La Langue littéraire à l’aube du XXIe siècle, Dijon, Editions universitaires de Dijon, 2010.

[vii] Le style comme « symptôme de l’art et [..] signature de l’écrivain » est érigé comme principe de l’analyse littéraire par Gustave Lanson à la fin du XIXe siècle, voir NOILLE-CLAUZADE, Christine, Le Style, Paris, Garnier Flammarion, 2004.

[viii] DAMBRE, Marc, GOSSELIN-NOAT, Monique (dir.), L’Éclatement des genres au XXe siècle, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2001.

[ix] COMPAGNON, Antoine, Le Démon de la théorie, Paris, Seuil, 1998.

[x] http://clab.hypotheses.org/