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Atelier de la SERD : « Les Chefs-d’œuvre inconnus »

Atelier de la SERD : « Les Chefs-d’œuvre inconnus »

 

Atelier de la SERD : « Les Chefs-d’œuvre inconnus », 7 décembre 2018, Maison de Balzac

Les travaux récents sur La Bibliothèque des textes fantômes[1] ont conduit les chercheurs à s’interroger sur « ces livres qui ne s’ouvrent que dans d’autres livres », selon la formule consacrée par Max Beerbohm. Si, comme l’a très bien montré Céline Delavaux dans son Musée impossible, l’histoire de l’art est aussi peuplée de fantômes, nous aimerions proposer une réflexion sur la bibliothèque fantôme, le musée imaginaire et la musicothèque fictive constitués par la littérature du XIXe siècle. Rendue célèbre par le titre d’une nouvelle de Balzac, cette formule oxymorique de « chef-d’œuvre inconnu » est porteuse d’une réflexion multiple. Inconnues, ces œuvres le sont doublement : n’ayant d’existence que littéraire, elles connaissent la plupart du temps une deuxième mise à mort dans la fiction – les tableaux sont détruits, les artistes meurent sans terminer leurs œuvres, etc.

Suite à l’ouverture du Musée central des arts en 1793, rapidement rebaptisé Musée Napoléon, le statut de l’œuvre d’art se modifie en profondeur : devenus visibles, aisément copiables, non plus admirés in situ mais dans un nouvel espace qui invente ses propres règles de circulation, les trésors de l’histoire de l’art s’exhibent au regard de tous. Aussi la vogue des fictions d’artistes dans la première moitié du siècle se caractérise-t-elle par un repli spatio-temporel : les intrigues privilégient l’Italie de la Renaissance, la France du XVIIe siècle, et placent l’atelier de l’artiste au cœur du dispositif d’écriture. Dans une approche comparatiste et intermédiale, nous aimerions partir à la rencontre de ces œuvres qui se dérobent dans de mystérieuses mansardes, cachées derrière des tentures, et qui engagent une réflexion multiple sur le statut qu’il s’agit de conférer à l’œuvre d’art.

À titre indicatif, les propositions de communication pourraient porter sur les axes de réflexion suivants :

Dans une perspective esthétique, on pourra rendre compte des liens très forts qui unissent la littérature et les arts au XIXe siècle : cette plongée dans les ateliers d’artistes réels ou fictifs, que Bernard Vouilloux a parfaitement étudiée dans ses travaux, permet d’interroger des rapports de correspondance, de hiérarchie, de rivalité entre les arts.

Dans une perspective métaesthétique, on pourra s’intéresser à la manière dont ces textes engagent une interrogation sur le rapport entre l’artiste et son public, défini par une forme de méfiance exacerbée. Que l’on pense à Gambara qui répète en secret son mystérieux opéra, à Beethoven et son opéra cacophonique dans Le Dîner de Beethoven de Jules Janin, à Frenhofer qui refuse de montrer sa toile tout comme Rolla dans Le Chef-d’œuvre inconnu de Charles Lafont, que l’on pense encore aux intrigues de La Madone du futur d’Henry James, d’Andréa le Triste de Jules Ladimir, de Gonzales Coques d’Émile Souvestre jusqu’à L’Œuvre de Lantier qui restera inachevée, comment comprendre l’échec de la création, son dérobement voire sa destruction, avant même que l’œuvre ne soit donnée à voir, exposée ou donnée à entendre ? Au moment où le XIXe siècle sacre l’artiste en mage et prophète absolu, quelles relations entre le public et l’artiste ces tragédies artistiques mettent-elles au jour ?

Dans une perspective épistémologique, on pourra étudier comment ces nouvelles et romans hybrides, engageant une réflexion sur les notions de chef-d’œuvre absolu et d’œuvre à venir, portent les germes d’une réflexion sur l’histoire de l’art et concentrent des projections historicisées de la conception de l’œuvre d’art. Ces textes et nouvelles se situent souvent dans un XVIe  siècle fantasmé où les grands maîtres du passé sont convoqués : la pensée à la fois décadentiste et régénérationnise de l’histoire de l’art explique ce repli dans l’atelier d’un artiste. Replongées dans la sacralité de l’art, dans le berceau de la création de Raphaël, de Michel-Ange, du Corrège, etc., les fictions d’artistes construisent une réflexion anamnestique et profondément nostalgique de l’histoire de l’art. Les travaux de Hans Belting sur Le Chef-d’œuvre invisible ont mis au jour cette étonnante conception de l’œuvre d’art au XIXe siècle : « Un chef d’œuvre ne peut pas être invisible. Le serait-il, on ne pourrait alors en parler. J’utilise donc le terme comme une métaphore pour évoquer l’idée d’une œuvre qui comprend l’art en un sens absolu – un état auquel ne parvient aucune œuvre concrète. Le titre du livre ne désigne donc aucune œuvre en particulier, mais seulement un idéal inaccessible, une œuvre qui contient un rêve d’art (ou l’art comme rêve) »[2].

Dans une perspective narratologique enfin, on pourra s’intéresser à la manière dont ces textes donnent à voir, à penser, à entendre une œuvre purement fictionnelle, une œuvre dont seuls les mots en dessinent les contours, les imperfections, les beautés. Quelle puissance diégétique cette tension autour d’une œuvre qui se dérobe à la vue ou à l’ouïe induit-elle ? Le chef-d’œuvre inconnu n’est-il pas une mise en abyme du travail conjoint de l’écrivain et du critique ? Véritable « motif dans le tapis », le chef d’œuvre à tenter d’appréhender par le seul medium langagier est autant un défi d’écriture pour le romancier qu’un défi cognitif pour le lecteur.

Les propositions de communications, de 500 mots maximum et accompagnées d’une courte biobibliographie, sont à envoyer avant le 15 juillet 2018 à Amandine Lebarbier à l’adresse suivante : alebarbi@parisnanterre.fr

 

Bibliographie indicative :

Belting, Hans Le Chef d’œuvre invisible (1998), traduction française de Marie-Noëlle Ryan Nïmes, Éditions Jacqueline Chambon, 2003, 613 pages.

Delavaux, Céline Le Musée impossible. La collection des œuvres d’art qu’on ne peut plus voir, Waterloo, La Renaissance du Livre, 2012.

Hamon, Philippe, Imageries, littérature et image au XIXe siècle, Paris, Éditions José Corti, 2001.

Kremer, Nathalie, « Les tableaux fantômes de la littérature : Diderot, Balzac, Michon », article signalé sur Academia et mis en ligne sur fabula.org.

La Bibliothèque des textes fantômes, Fabula LHT, n° 13, novembre 2014 (textes réunis par L. Depretto et M. Escola)

Acta fabula, vol. 15, n° 9. Dossier critique n° 35, 2014.

Mahieu, Stéphane, La Bibliothèque invisible. Catalogue des livres imaginaires, Paris, Éditions du Sandre, 2014.

Tortonese, Paolo, « L’artiste sans œuvre », cycle de conférence Approches sociologiques de l’art au XIXe siècle : la figure de l’artiste du XIXe siècle, sous la direction d’Hélène Vedrine, communication en ligne :

http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/conferences/presentation-generale/article/approches-sociologiques-de-lart-ii-28943.html?tx_ttnews%5BbackPid%5D=221&cHash=e5beee6327

Tortonese, Paolo, « L'Activité sans acte : idée et technique dans le roman de l'artiste, de Goethe à Balzac », dans Le Platonisme romantique, Chambéry, Université de Savoie, collection « Ecriture et représentation », 2009, p. 101-134.

Vouilloux, Bernard, La peinture dans le texte, XVIIIe-XXe siècles, Paris, CNRS, 1994.

Vouilloux, Bernard, Le tournant « artiste » de la littérature française, Écrire la peinture au XIXe siècle, Paris, Hermann Editeurs, 2011.

 

[1] La Bibliothèque des textes fantômes, Fabula LHT, n° 13, novembre 2014.

[2] Hans Belting, Le Chef-d’œuvre invisible (1998), traduction française de Marie-Noëlle Ryan Nïmes, Éditions Jacqueline Chambon, 2003, p. 11.