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Arts du faire : production et expertise

Arts du faire : production et expertise

Colloque "Arts du faire : production et expertise"


Ce colloque se propose de problématiser le rapport entre les pratiques de production des objets culturels et la génération du sens.
La sémiotique s'est constituée comme discipline autonome par rapport à la sociologie, à l'anthropologie, à la philologie, etc. car elle a fait des choix méthodologiques précis : la sémiotique de Greimas, en particulier, a choisi d'observer les constructions sémantiques présentes dans les textes et d'analyser les langages dans la synchronie. Elle a étudié la textualité, autant verbale que visuelle, audiovisuelle, etc. à partir des simulacres du producteur et du récepteur inscrits dans la textualité même, c'est-à-dire qu'elle étudie les traces de la production textualisées - les formes déjà constituées et non pas les pratiques qui les ont produites. La sémiotique greimassienne a ainsi renoncé à étudier la réception « située » des textes. L'énonciation ainsi étudiée était donc plutôt l'énonciation énoncée. Mais si l'énonciation est une médiation entre l'actualisé (en discours) et le réalisé (dans le monde naturel), elle est donc avant tout à concevoir comme une pratique productive (praxis énonciative). De plus, l'acte productif de la textualité doit être pris en compte si l'on considère que toutes les pratiques de réception des objets culturels impliquent un rapport corporel avec le récepteur. Si avec Greimas l'énonciation renvoyait à une instance désincarnée, la sémiotique actuelle tente de substituer à cette « absence originaire » une origine pleine, celle de la prise de position du corps propre dans le monde. Ce choix implique une transformation de la conception de la fonction sémiotique et de la stabilisation de la sémiosis, qui se trouve dépendante de la prise de position du corps énonçant (Fontanille, Soma et Séma, 2004).
On peut se demander si l'approche exclusivement centrée sur la réception ne réduisait pas la compréhension des phénomènes sémiotiques. Si l'on veut rendre compte de l'acte producteur lui-même, il faut restituer le processus signifiant dans son ensemble, aussi bien au moment où la signification émerge de la perception (champ de présence), qu'au moment où elle se déploie et se décline en discours (champ schématique du discours en acte) et, enfin, lorsqu'elle se fige et s'accomplit en une forme achevée et à nouveau convocable en discours (champ différentiel de la valeur).
En étudiant les oeuvres d'art, par exemple, nous nous sommes aperçus que la compréhension et l'appréciation de ces textualités particulières sont fortement déterminées par ce que nous savons de la phénoménologie de leur genèse, de l'acte productif, du processus et de la durée de leur élaboration et des techniques employées. Aujourd'hui, l'état d'avancement des études sémiotiques peut rendre possible la réintégration de ces aspects sémantiques restés dans l'ombre jusqu'alors. Si nous voulons étudier les oeuvres d'art, nous devons forcément rendre compte de certaines problématiques, comme celle de l'autographie et de l'allographie (Goodman), que le point de vue de la réception et de la synchronie ne sauraient épuiser. Pensons par exemple à l'original pictural, qui doit son efficacité au lien avec la main du producteur, à l'aura, qui se déploie à partir d'une observation qui réactualise le geste du producteur, à la patine, qui est liée aux problématiques de la restauration et à la préservation de l' « identité spécifique » de l'objet (Prieto), à la virtuosité, c'est-à-dire au savoir-faire qui semble surpasser les limitations corporelles de l'exécution, aux pratiques du ready-made, etc.
Si l'on veut comprendre les oeuvres d'art, on doit rendre compte du fait qu'elles ne sont pas analysables seulement comme des textes, mais que leurs substance et matérialité peuvent devenir pertinentes au niveau de l'objet - qui relève de l'acte corporel de la production. Il sera intéressant de se demander si et comment la sémiotique actuelle dont l'attention est essentiellement mobilisée par les constructions textuelles, peut déplacer son attention pour envisager l'analyse des arts de la production, les arts devenant alors synonymes d'habileté et de savoir-faire. Les expertises ouvrent un terrain d'enquête fondamental pour préciser les liens entre objets artistiques, praxis énonciative et corporalité.
Il sera nécessaire dans ce cas de refaire le lien entre la reconstruction analytique d'une syntaxe de production du plan de l'expression et l'approche historique et phénoménologique de cette même syntaxe de production. Ceci revient à examiner la pertinence des traces de l'acte déposées dans le produit-résultat et celles de l'acte énonciatif même, en distinguant, bien sûr, entre deux instances : l'une, intéressée par les matières et les substances (instance créatrice proprement dite) et l'autre, intéressée par les formes signifiantes (instance sémiotique proprement dite). Tout ceci pourrait donc nous amener à repenser la pratique analytique sémiotique : de l'analyse « synchronique » du présent du texte est-il possible de passer à une approche qui prenne en considération le procès de production des objets pour retrouver en eux le sens de l'acte historique qui les a sollicités (phénoménologie des productions sémiotiques) ?