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Après le postmodernisme : l'épimodernisme ? (Rennes)

Après le postmodernisme : l'épimodernisme ? (Rennes)

Publié le par Marc Escola (Source : Gaëlle Debeaux)

Après le postmodernisme : l'épimodernisme ?

Parce que le contemporain n’a pas de suite, pas de futur établi (contrairement à toutes les autres époques définies rétroactivement), il est toujours difficile de le définir ou de lui donner un nom : la solution du « post » a longtemps prévalu, permettant d’oublier qu’il puisse avoir lui-même un « après ». Mais le contemporain est-il toujours postmoderne ?[1]

Comment penser le contemporain et ses productions littéraires quand nous manque le terme pour le désigner et pour le reconnaître ? Si les tentatives ces dernières années se multiplient afin de cerner la période de transition dans laquelle la littérature – et plus particulièrement la narration littéraire, confrontée à de puissantes concurrentes que sont les séries télévisées – se trouve prise, et afin de quitter, définitivement, l’approche postmoderne, force est de constater qu’aucun nom ne semble avoir émergé et faire consensus. Mais peut-on bien penser ce que l’on ne sait nommer ? Face au « brouhaha »[2] du contemporain, peut-on construire un nouveau lexique à même de dessiner des lignes de force au sein de la littérature telle qu’elle s’écrit aujourd’hui, et d’en caractériser la valeur ? C’est en tout cas ce à quoi répond la notion d’épimodernisme, proposée et travaillée par Emmanuel Bouju depuis plusieurs années maintenant[3].

Constatant, dans cette période de transition que connaîtrait la littérature, une forme d’« intensification » du postmodernisme au point de rendre la catégorie inopérante tout en maintenant vive la mémoire du modernisme, Emmanuel Bouju en appelle à un changement de préfixe : reparcourant la diversité des significations du préfixe épi-, il y décèle une portée heuristique à même de saisir, dans la continuité elle-même épimoderne des Leçons américaines d’Italo Calvino publiées en 1985, ce « dépassement contemporain du postmodernisme ».

Ainsi l’épimodernisme définira-t-il six rapports singuliers de la littérature européenne à l’héritage du modernisme, en réaménageant la critique postmoderne de cet héritage : six valeurs pour dire, à travers la mélancolie ironique qui touche aux figures phares du modernisme séculaire, l’apport capital du « méta » et du scepticisme actif, mais sans plus de syndrome d’« épuisement » (John Barth) ; pour faire de la douleur fantôme du passé une expérience puissante de pensée potentielle ; pour transformer la mort de l’auteur en un jeu avec son fantôme textuel et son avatar numérique ; pour relever le défi d’une compression du présent et d’une accélération de l’histoire ; pour confronter l’autorité à crédit du roman à la question de ce qu’elle peut encore faire valoir ; et pour évoquer, malgré l’impouvoir conscient de la littérature, sa puissance et sa légèreté, sa profondeur cachée sous la surface, sa vertu d’engagement et de promesse[4].

Six valeurs, donc, pour penser le roman contemporain et ce qui émerge à sa surface, six valeurs pour négocier avec cette présence fantomatique du modernisme, de ses auteurs et de ses textes clés, encodés secrètement au cœur de la littérature telle qu’elle s’écrit aujourd’hui. Mais six valeurs, également, pour essayer de concevoir à nouveaux frais la valeur de cette littérature, sa puissance paradoxale et l’encapacitation qu’elle autorise – le crédit qu’elle se donne après le « repli dans la bibliothèque » (c’est ainsi que Philippe Daros caractérise la phase oulipienne/postmoderne de Calvino, période pendant laquelle il amorce la pensée de ses Leçons américaines), et dans le partage de son autorité.

Permanence ou renouvellement de la puissance littéraire dans l’exercice de la superficialité, du secret, de l’énergie, de l’accélération et du crédit : par le préfixe épi, il s’agit d’observer les diverses façons qu’a le roman contemporain de se tenir au-dessus de son temps, légèrement surélevé par rapport à lui, affecté par son flux mais aussi capable de conserver une ligne de force distincte et singulière[5].

Cette journée d’étude propose ainsi de mettre la notion d’épimodernisme à l’épreuve de ses réappropriations, afin de mesurer de quelle façon une proposition théorique circule et ce qu’elle peut devenir, ainsi mise en dialogue.

Programme

10h Accueil

10h15 Introduction, Emmanuel Bouju et Gaëlle Debeaux

10h45 Csaba Horvath (Károli Gáspár University of the Reformed Church in Hungary) : « Codes-barres et nouveaux codes. Un regard sur la littérature hongroise épimoderne d'après le roman de Krisztina Tóth »

11h15 Loïse Lelevé (Université Rennes 2) : « Qu’est-ce qu’un faux épimoderne ? »

11h45 Discussion et pause déjeuner

14h Zelda Chesneau (Université Rennes 2) : « Vers un tournant épimoderne en SF ? État des lieux et étude de cas »

14h30 Gaëlle Debeaux (Université Rennes 2) : « La littérature numérique, "the ghost in the machine" (K. Goldsmith) ? L’épimodernisme et l’ère numérique »

15h Discussion et pause

15h45 Francis Langevin (The University of British Columbia) : « Lire le narrateur épimoderne »

16h15 Discussion et conclusions

 

[1] Emmanuel Bouju, « Épimodernisme. Une hypothèse en six temps », dans Fragments d’un discours théoriques. Nouveaux éléments de lexique littéraire, E. Bouju (dir.), Nantes, Éditions Nouvelles Cécile Defaut, 2015.

[2] Voir Lionel Ruffel, Brouhaha. Les mondes du contemporain, Lagrasse, Verdier éditions, 2016.

[3] Voir « Épimodernisme. Une hypothèse en six temps », art. cit., mais aussi Épimodernes. Nouvelles « leçons américaines » sur l’actualité du roman, à paraître.

[4] Emmanuel Bouju, « Introduction », Épimodernes. Nouvelles « leçons américaines » sur l’actualité du roman, op. cit.

[5] Emmanuel Bouju, « Conclusion », Épimodernes. Nouvelles « leçons américaines » sur l’actualité du roman, op. cit.