Actualité
Appels à contributions
À l’écoute du poème : enseigner des lectures créatives

À l’écoute du poème : enseigner des lectures créatives

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Julie Ridard)

Colloque organisé les 16 et 17 mars 2016 à la MSH-Alpes, Domaine universitaire de Saint-Martin-d’Hères par l'unité de recherche LITT&ARTS composante LITEXTRA, Université Grenoble Alpes.

 

TEXTE DE CADRAGE

Si au début des années 1980 Joëlle Tamine et Jean Molino se demandaient « ce que signifie lire un poème », les spécialistes de sa transmission n’ont finalement qu’assez peu pris le temps d’étudier en quoi consiste son enseignement. La réflexion sur la nature exacte de ce qui se reçoit, se passe, se partage et se construit lorsque l’on fait écouter, lire et étudier un poème en classe, de la maternelle à l’université, recouvre pourtant deux grands enjeux : contribuer à la connaissance de la poésie du point de vue de la réception, et former des lecteurs pour demain.

Depuis le colloque de Marseille « Enseignement & Poésie » en 1993, les genres et les corpus poétiques, l’action culturelle, les pratiques de classe et la réflexion en didactique ont suffisamment cheminé pour qu’un temps de travail collectif consacré aux réceptions poétiques s’avère nécessaire. Il est moins question ici de récapituler des « bonnes pratiques » enseignantes, ou d’activer un discours militant en faveur de la poésie (qui va de soi) que de s’atteler à l’analyse des faits et phénomènes de réception des poèmes, des protocoles et des conditions qui en construisent l’accès.

La mise à l’écoute du poème recouvre dès lors un bouquet de questions qui concernent tout autant les théoriciens de la poésie, les enseignants et les didacticiens de la littérature. Ecouter un poème, c’est tout d’abord bien sûr, le recevoir par l’oreille et le corps entier, même éventuellement le dire ou le déclamer, afin d’en percevoir toute l’oralité[1] actualisée dans l’événement de la lecture. Ecouter un poème, c’est aussi chercher à l’entendre, accepter d’adopter une position d’accueil, une posture favorable à une possible appropriation. Cette appropriation peut passer par l’écriture ou l’expression personnelle via des langages divers. Dès lors, c’est la question de la compréhension qui surgit et celle du contrat de lecture, d’un horizon d’attente spécifique, tel que le lecteur s’autorise et s’engage à aborder le texte. Le motif de l’écoute du poème peut aussi rappeler les conceptions romantiques de la création où le poète se soumet à la voix d’un dehors, d’un écho transcendant ou lointain : cette représentation caduque de l’inspiration continue de travailler l’imaginaire de la lecture faussant le plus souvent l’apprentissage de la réception. Mais se mettre à l’écoute du poème, c’est entrer dans une démarche de reconfiguration énonciative et de re-création du texte, en empruntant parfois ce que l’on s’imagine être le point de vue de l’auteur. Le plus souvent le lecteur actualise abondamment le texte, le place à sa hauteur, quitte à développer une créativité fantasmatique qui peut même devenir un plaisir en soi. En effet, écouter le poème, c’est accepter de le considérer de biais, savoir que le sens ne sera pas direct, mimétique, « paraphrasable ». Il fait sens par résonance, effraction, sensations et combinaison d’effets. Enfin, si l’on « entend » individuellement on peut parfaitement « écouter » à plusieurs. Ecouter le poème revient alors à se ménager un itinéraire personnel dans un contexte tantôt porteur tantôt subi. Cette écoute suppose une attention, un effort, une forme d’engagement particulier là où l’émission poétique peut s’avérer trop directive ou brouillée.

Enseigner la lecture de la poésie, en construire l’écoute et en développer l’appropriation chez des élèves et des étudiants ne va évidemment pas de soi. On ne peut que constater, depuis les formations initiales des enseignants jusqu’aux stages divers, combien cet enseignement perturbe les attentes des apprentis-lecteurs et de leurs professeurs. Amenés à reconsidérer le pacte qui les relie à l’œuvre tendue, les récepteurs se trouvent contraints d’inaugurer des postures d’accueil et des « usages » du texte apparemment inédits, distincts des habitudes qu’ont ancrées les pratiques dominantes du récit ou des représentations figées dans un contexte médiatique le plus souvent défavorable.

De fait, l’enseignement de la poésie affronte aujourd’hui un certain nombre d’obstacles que nous souhaitons aborder comme autant de défis. Ils correspondent aux quatre axes possibles du colloque :

1. Défi relatif tout d’abord aux corpus qui aspirent au renouvellement et à l’ouverture aux écritures contemporaines. Comment faciliter l’accès des enseignants à ces corpus? Comment les institutions scolaires, universitaires, et autres structures culturelles permettent-elles l’appropriation d’œuvres nouvelles par les apprentis-lecteurs ? L’objectif de cet axe est moins d’exposer des œuvres peu connues du grand public et du monde enseignant, que d’analyser les moyens dont disposent aujourd’hui les professeurs pour y accéder.

 

 

2. Défi relatif aux théorisations du sujet lecteur qui ont été le plus souvent développées via le prisme des fictions narratives. Imprégné des travaux d’Iser et surtout de Ricoeur, le modèle théorique de l’activité fictionalisante du lecteur proposé par Nathalie Lacelle et Gérard Langlade permet de décrire la réception littéraire comme expérience et chance d’événement. Pourtant, les réalités phénoménologiques de la lecture de poésie ne semblent pas toujours prises en compte dans cette théorisation. Avec quels outils peut-on décrire aujourd’hui les expériences de réceptions poétiques, qu’il s’agisse du vécu du lecteur expert ou de celui de l’apprenti lecteur ? En quoi la lecture ou les lectures de la poésie s’avèrent-t-elles spécifiques ?

 

 

 

3. Défi relatif aux outils d’analyse poétique scolarisés dont l’anachronisme rend parfois impossible l’exercice de la réception. Or, en apprenant à restituer les effets d’une œuvre sur soi à l’aide de mots justes, le lecteur développe des chances de faire de la rencontre avec le poème une véritable expérience. Qu’en est-il aujourd’hui d’une stylistique de la réception poétique partageable en milieux scolaires? Mais encore, on peut voir des poètes et des universitaires se prêter parfois à une écriture critique ouverte à une « hybridité » poétique qui permet de rendre compte d’une réception à partir des moyens mêmes de la poésie. Cette posture de lecture créative est-elle transposable en contexte d’apprentissage ? Avec quels moyens, quelles conditions et quels résultats ? On sera particulièrement sensible à la façon dont pourraient se clarifier les principes d’une lecture créative ouverte à divers langages artistiques, dans la continuité des travaux sur les écritures de la réception (Toulouse 2015).

 

 

 

 

4. Défi relatif aux dispositifs d’enseignement. Les façons d’enseigner la poésie sont inséparables des représentations que l’enseignant se fait de l’actualité du genre, les connaissances y afférant, mais aussi des enjeux de sa lecture et des moyens de rendre l’apprenti-lecteur actif dans sa découverte. L’ambition didactique consiste alors à organiser pour les élèves un contexte de réception suffisamment ouvert pour que s’y réalisent des lectures subjectives, et suffisamment pensé pour que s’y activent des savoirs transposables au-delà de l’expérience singulière. Un certain nombre de dispositifs soucieux de la subjectivité des lecteurs tout autant que des apprentissages ont déjà donné lieu à des expérimentations remarquées dans les académies de Toulouse[2], de Rennes[3], de Lille[4], de Bordeaux et de Grenoble[5] notamment. Mais comment enseigne-t-on la lecture de poèmes dans différents espaces francophones voire au-delà ? Dès lors, l’intérêt réside moins dans l’inventaire de pratiques estimées conservatrices ou innovantes,  que dans l’analyse des processus que les unes et les autres engagent. Qu’apprend-on et que devient-on quand on fait l’expérience de la poésie de la classe de maternelle aux bancs de l’université ? 

 

 

 

 

Force est de constater que l’étendue des problématiques motivant la tenue de ce colloque est large et sensible. Certaines notions-clé, dont celle de « lecture créative », pourront, dès lors, être redéfinies. En réunissant des théoriciens de la poésie, des didacticiens de la littérature mais aussi des voix de poètes, d’étudiants, de professeurs et d’élèves, l’enjeu consiste à dépasser le poids constant des préjugés, les constats alarmants et la posture militante immédiate. Seront accueillies les propositions d’interventions individuelles ou collectives répondant à un des quatre axes du cadrage avec le souhait constant de lier éléments théoriques et expérience d’enseignement. C’est bien à une démarche de réflexivité des professeurs et à un renouvellement de l’enseignement de la poésie dès les petites classes que nous souhaitons concourir, dans le souci de former des sujets lecteurs… de poésie.

 

 

 

CONDITIONS DE SOUMISSION

Les propositions de sujets de communications individuelles (20 min) ou collectives (30 min), d’environ 400 ou 500 mots, accompagnées d’une sélection de cinq à huit références bibliographiques et d’un titre provisoire, sont à adresser AVANT le 20 octobre 2015 aux deux adresses :

2016didactiquedelapoesie@gmail.com
Nathalie.Rannou@u-grenoble3.fr

Le comité scientifique se prononcera sur les propositions retenues le 1er novembre 2015. Les résumés définitifs seront mis en ligne le 30 janvier 2016. Une publication-papier et la mise en ligne d’une sélection de communications filmées sont programmées.

 

MOTS-CLÉS : poésie, poème, réception, lecture créative, sujet lecteur, enseignement, formation, oralité.

 

BIBLIOGRAPHIE

Badiou Alain, L’être et l’événement, Paris, Le Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 1988.

Blais Marie-Claude, Gauchet Marcel & Ottavi Dominique, Transmettre et apprendre, Paris, Éditions Stock, 2014.

Bonhomme Béatrice & Syminton Micéala (dir.), Le rythme dans la poésie et les arts, Interrogation philosophique et réalité artistique, Paris, Honoré Champion, 2005.

Boutevin Christine, Le livre de poème(s) illustré : étude d’une production littéraire en France de 1995 à nos jours et de sa réception par les professeurs des écoles, thèse de doctorat soutenue à l’Université Grenoble 3, 2014.

Brillant Rannou Nathalie, Le poème et son lecteur. Lire en poésie : expérience littéraire et enjeux pour l’enseignement du français en lycée, thèse de doctorat soutenue à l’Université Rennes 2, octobre 2010.

Ceysson Pierre, « La poésie pour l’enfance et la jeunesse (ppej) : la production des années récentes, les choix de lectures et les valeurs », dans Jean-Luc Bayard et Anne-Marie Mercier-Faivre (dir.), Vous avez dit contemporain ? Enseigner les écritures d’aujourd’hui, Presses Universitaires de Saint-Étienne, 2007, p. 59-78 ; « La poésie contemporaine. L’institution scolaire et les "règles de l’art" », Lidil, n° 33, 2006, p. 37-54, URL : http://lidil.revues.org/78

Citton Yves, Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires ?, Paris, Éditions Amsterdam, 2007.

Debreuille Jean-Yves (dir.), Enseigner la poésie ?, Presses Universitaires de Lyon, 1995.

Denizeau Marie-Thérèse & Lançon Daniel (coord.), La poésie à l’école, de la maternelle au lycée : actes du séminaire de juin 1999 et autres contributions, CRDP d’Orléans, 2000.

Doumet Christian, Faut-il comprendre la poésie ?, Paris, Klincksieck, coll. « 50 Questions », 2004.

Dubois-Marcoin Danielle, « Diversifier les dispositifs d’écriture pour mieux accompagner et évaluer la lecture de la littérature à l’école : le cas de la poésie », Repères. Recherches en didactique du français langue maternelle, n° 40, 2009, p. 137‑154.

Enseignement & Poésie, actes du colloque de 1993, CRDP de Marseille - CipM, 1995, épuisé, en ligne, URL : http://www.cipmarseille.com/publication_fiche.php?id=2ad876bd4b6eda7e1475b490990ea84

Iser Wolfgang, L’Acte de lecture, théorie de l’effet esthétique, [1976], Bruxelles, Mardaga, 1985.

Jauss Hans Robert, Pour une esthétique de la réception, [1972], Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1978 ; Pour une herméneutique littéraire, [1982], Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1988.

Josette Jolibert (dir.), Former des enfants lecteurs et producteurs de poèmes, Paris, Hachette, 2000.

Lacelle Nathalie & Langlade Gérard, « Former des lecteurs/spectateurs par la lecture subjective des œuvres », dans Jean-Louis Dufays (dir.) Enseigner et apprendre la littérature aujourd’hui pour quoi faire ?, UCL Presses Universitaires de Louvain, 2007.

Martin Marie-Claire & Martin Serge, Les poésies, l’école, Paris, Presses Universitaires de France, 1997.

Martin Serge, « Pourquoi je n'enseigne plus la poésie et pourquoi j'essaie d'enseigner le français avec les poèmes », La poésie à l'école de la maternelle au lycée, actes du séminaire de juin 1999 & autres contributions, CRDP d'Orléans, 2000 ; « Présentation. Les poèmes au cœur de l’enseignement du français », Le français aujourd’hui, n° 169, 2010, p. 3‑14.

Mazauric Catherine, Fourtanier Marie-José & Langlade Gérard (coord.), Textes de lecteurs en formation, Peter Lang, Bruxelles, 2011 ; Le texte du lecteur, Bruxelles, Peter Lang, 2011.

Molino Jean & Tamine Joëlle, Introduction à l’analyse linguistique de la poésie, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Linguistique nouvelle », 1982.

Picard Michel, La lecture comme jeu, Paris, Éditions de Minuit, 1986.

Ponge Francis, Entretiens avec Philippe Sollers, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1970.

Puff Jean-François (dir.), Dire la poésie ?, Nantes, Éditions Nouvelles Cécile Defaut, 2015.

Ricœur Paul, Parcours de la reconnaissance, Paris, Stock, coll. « Les Essais », 2004.

Rouxel Annie & Langlade Gérard (dir.), Le sujet lecteur, lecture subjective et enseignement de la littérature, Presses Universitaires de Rennes, 2004.

Rabaté Dominique (dir.), Figures du sujet lyrique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Perspectives Littéraires », 1996.

Rodriguez Antonio, Le Pacte Lyrique - Configuration discursive et interaction affective, Bruxelles, Mardaga, coll. « Philosophie et Langage », 2003.

Siméon Jean-Pierre, La vitamine P - La poésie, pourquoi, pour qui, comment ?, Paris, Rue du monde, 2012.

Vibert Anne, « Faire place au sujet lecteur en classe : quelles voies pour renouveler les approches de la lecture analytique au collège et au lycée ? », mars 2012, URL : http://www.ac-grenoble.fr/disciplines/lettres/litterature/public/Formation_sujet_lecteur_revue.pdf

 

COMITÉ SCIENTIFIQUE

Marie Bernanoce (Grenoble) ; Christine Boutevin (Bordeaux / Grenoble) ; Denise Brassard (UQAM, Montréal) ; Magali Brunel (Chambéry/Grenoble) ; Jean-Louis Dufays (UCL, Louvain la Neuve) ; Judith Emery-Bruneau (UQO, Gatineau) ; Isabelle Krzywkowski (Grenoble) ; François Le Goff (Toulouse) ; Serge Martin (Paris 3) ; Isabelle Olivier (Arras) ; Gersende Plissonneau (Bordeaux) ; Nathalie Rannou (Grenoble)

 

ORGANISATION

Christine Boutevin, Magali Brunel, Jean-François Massol, Nathalie Rannou

[1] Voir les actes de la journée d’étude du séminaire « Enseigner le Théâtre et la Poésie d’Aujourd’hui », composante LITEXTRA de l’Équipe de Recherche LITT&ARTS, Université de Grenoble, 19 mars 2014, « Oralité du poème et situations didactiques. Enseigner la poésie de la maternelle à l’université ; corpus, modalités, oralisation », à paraître sous le titre « Être et devenir lecteur de poésie aujourd’hui ».

[2] Le dispositif du « recueil à quatre mains » et celui de l’écriture dialoguée dans les marges du poème ont été expérimentés notamment dans les academies de Toulouse et de Grenoble.

[3] La DAAC de Rennes finance depuis 2005 une mission de conseillère-relais à la Maison de la Poésie Villa Beauséjour. Ce dispositif permet un contact direct et permanent entre les poètes en residence et le monde enseignant.

[4] La DAAC de Lille soutient le Prix des Découvreurs à Boulogne-sur-Mer depuis 2007.

[5] Une Recherche-Action consacrée à la mise en voix de la poésie et du théâtre est ouverte dans l’Académie de Grenoble en 2015, ainsi que dans l’Académie de Bordeaux pour le volet « poésie ».