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Appels à contributions
L'éthique en question dans la critique et la création littéraires (Sfax, Tunisie)

L'éthique en question dans la critique et la création littéraires (Sfax, Tunisie)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Makki Rebai)

APPEL À CONTRIBUTION

L’ethique en question

dans la critique et la création littéraires

 

Journée d’étude organisée par

le Laboratoire de recherche Approches du Discours (dir. Mounir Triki)

Samedi 12 novembre 2016. Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université de Sfax (Tunisie)

 

Depuis les années quatre-vingt du siècle dernier, la théorie de la clôture du texte est de plus en plus contestée et concurrencée par l’émergence, dans le sillage des inclassables Fragments d’un discours amoureux de Barthes (1977), d’importantes contributions (tant de créateurs que de critiques), tendant à réaffirmer de diverses manières la transitivité de l’écriture, et invitant à resituer plus largement les textes dans leur cadre historique, social ou encore biographique (J. Hillis Miller, The Ethics of Reading, 1987 ; Paul Ricœur, Du texte à l'action. Essais d'herméneutique, II, 1986 ; Soi-même comme un autre, 1990).

Dans cette perspective, il est possible d’observer, d’abord dans le monde anglo-saxon (William Booth, The Company We Keep. An Ethics of Fiction, 1988), ensuite, dans le monde francophone (Liesbeth Korthals Altes, dir., « Éthique et littérature », Études littéraires, 1999 ; Eleonora Roy-Reverdy et Gisèle Séginger, dir., Éthique et littérature : XIXe-XXe siècles, 2000), un net regain d’intérêt pour des notions comme la valeur et l’éthique qui étaient jusque là peu abordées, voire systématiquement négligées, par la théorie et la critique littéraires[1] : « Ma génération, reconnaît Antoine Compagnon dans « Morales de Proust », a donc été élevée, dressée contre la lecture éthique ou morale de la littérature, contre une vision de la littérature occidentale comme création et transmission de valeurs […] La fonction éthique de la littérature était déniée par la plupart des théoriciens ».

Même si une certaine confusion, voulue ou fortuite, entre « morale » et « éthique » persiste encore aujourd’hui, les deux notions gagneraient cependant à être assez nettement distinguées.

La morale renvoie en effet à un ensemble de valeurs et de principes qui permettent de différencier le bien du mal, le juste de l'injuste, et auxquels il faudrait se conformer. L'éthique, quant à elle, n'est pas un ensemble de valeurs et de principes a priori, mais plutôt une réflexion suivie et argumentée sur les valeurs et les principes moraux qui devraient orienter nos actions en vue du « bien agir » dans la cité.

Ce concept précis de « valeur », central dans la morale et dans l’éthique, comme par ailleurs dans la linguistique saussurienne, s’avère éminemment instable, polysémique et fécond dès lors qu’il est envisagé sur le plan littéraire. Son ambiguïté vient essentiellement de ce qu’il peut renvoyer aussi bien au contenu éthique véhiculé par l’œuvre littéraire qu’à la valeur esthétique pouvant être accordée à telle ou telle production.

Cette ambiguïté fondamentale de la notion de valeur est à l’origine d’une tension, jamais parfaitement résolue, entre les critères idéologiques et les critères esthétiques. Ainsi, l’art et la littérature sont constamment soumis à une double évaluation, tantôt attentive, dans les œuvres, à leur valeur esthétique intrinsèque, tantôt à leur capacité de transmission d’un type particulier de valeurs.  

C’est essentiellement à ce second type de valeurs que nous nous proposons de réfléchir dans le cadre de ce projet. Mais à y regarder de plus près, il s’avère que ce retour de la valeur et, plus largement, de l’éthique, concerne aussi bien le domaine de la critique et de la théorie que celui de la création littéraire et artistique proprement dite : « Si l’écriture aujourd’hui s’est libérée, je crois que c’est d’un slogan, qui était qu’écrire est un art intransitif. La grande affaire de ces dix dernières années, ce n’est pas qu’on revienne à une écriture naïve, c’est qu’on ne mette plus l’accent sur le caractère auto-réflexif de l’écriture »[2].

Nombre d’œuvres contemporaines, en effet, ne dissimulent pas leur portée ou leur démarche éthique, qu’elles relèvent du roman (Modiano, Michon, Bergounioux, Quignard), de la poésie (Michel Collot, Jean-Michel Maulpoix, Benoît Conort, Jean-Claude Pinson) ou encore de l’autofiction (Camille Laurens, Philippe Forest, Michel Rostain).

Si, comme le pense Antoine Compagnon, « la dimension éthique la plus évidente de la littérature tient au récit [et que] le roman est une modalité privilégiée de la réflexion morale », cette réhabilitation de l’éthique touche en réalité tous les genres sans exception, y compris la poésie. Elle serait ainsi liée  au retour remarquable sur le devant de la scène littéraire et philosophique d’une expression nouvelle du sujet (créateur et critique), d’un « nouveau lyrisme » ou d’un « lyrisme critique », résolument moderne, réflexif et ouvert à l’altérité, mais également à la promotion d’une fonction « poéthique » de la littérature et de la poésie, chère à l’écrivain Michel Deguy comme au théoricien Jean-Louis Dufays, pour qui la littérature vaut essentiellement par la part d’humanité qu’elle recèle et transmet.

Dès lors, serait-il possible de dater avec précision ce que Liesbeth Korthals Altes a excellemment appelé « le tournant éthique »[3] ? Comment comprendre ce retour, sinon cette urgence, de l’éthique aujourd’hui, dans les domaines de la création et de la critique littéraires ? L’éthique serait-il réellement « le nom d’une nouvelle période de l’histoire littéraire, ou d’un nouveau courant, de ce par quoi on reconnaîtra la production (ou une certaine production) de notre époque »[4] ? Dans quelle mesure le souci de l’éthique serait-il devenu le prisme à travers lequel la littérature contemporaine s’emploie à fonder sa valeur, sa légitimité, voire sa littérarité ?

Que seraient au juste une littérature éthique et une critique éthique ? Par quels mécanismes, procédés et scénarii certaines œuvres font-elles signe vers une signification éthique ? Dans quelle mesure cette même signification est-elle tributaire d’une éventuelle « intention » auctoriale ?

D’autre part, si l’éthos, (n. m. du grec ethos) est d’abord une notion philosophique et rhétorique (Aristote, Cicéron) désignant « le caractère que l’orateur doit paraître avoir pour obtenir l’assentiment de son public » et renvoie ainsi à une construction méthodique d’une certaine image de soi, quelle pertinence et quelle crédibilité pourrait avoir la lecture éthique des œuvres ? Quelle serait encore la part des déterminations historiques, sociales, pédagogiques dans l’opération de l’évaluation éthique ? Comment définir les critères permettant une juste appréciation éthique des œuvres et qui en serait le responsable ?

Pourront aussi être analysées les stratégies scripturales et rhétoriques de valorisation, de légitimation et, inversement, les stratégies de dévaluation, de minoration des œuvres saisies sous l’angle éthique.

Plus largement, une réflexion pourra être menée sur l’existence réelle d’une dichotomie radicale entre évaluation éthique et évaluation esthétique. Ne se glisserait-il pas de l’éthique jusque dans le jugement a priori esthétique ? Comment analyser enfin l’attitude et le positionnement de la critique dite éthique vis-à-vis des valeurs qu’elle ne partage pas dans des œuvres données ?

 

Modalités de soumission :

La journée d’étude se tiendra le samedi 12 novembre 2016  à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sfax. La durée des communications sera de 25 minutes.

Les propositions de contribution (350 mots environ), accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, sont à envoyer pour le 30 septembre 2016 à l’adresse électronique suivante : makki_rebai@yahoo.fr

A l’issue de la journée, les auteurs des communications seront invités à remettre leurs textes complets (25.000 caractères, espaces et notes de bas de pages compris). Une sélection d’articles pourra faire l’objet d’une publication ultérieure.

 

Bibliographie indicative :

 

Appiah (Kwame Anthony), The Ethics of identity, Princeton University Press, 2005.

-        Cosmopolitanism: Ethics in a World of Strangers, W. W. Norton & Company, 2006 (trad. franç: Pour un nouveau cosmopolitisme, Paris, Editions Odile Jacob, 2008.

-        Experiments in Ethics, Harvard University Press, 2008.

Booth (William), The Company We Keep. An Ethics of Fiction, Berkeley, University of California Press, 1988.

Bouveresse (Jacques), « L’éthique de la croyance et la question du “poids de l’autorité” », in Antoine Compagnon (dir.), De l’autorité, Editions Odile Jacob, 2008, pp. 257-285.

-        La Connaissance de l’écrivain : sur la littérature, la vérité et la vie, Agone, « Banc d’essais », 2008.

Dufays (Jean-Louis), Stéréotype et lecture, Liège, Mardaga, 1994.

Ganteau (Jean-Michel), The Ethics and Aesthetics of Vulnerability : Contemporary British Fiction. Londres et New York: Routledge, 2015.

-        [En collaboration avec Susana Onega Jaén], Trauma and Ethics in Contemporary British Fiction. Amsterdam, Rodopi, 2010.

Glissant (Edouard), La Poétique de la relation, Paris, Gallimard, 1990.

-        Tout-monde, Paris, Gallimard, 1993.

-        Introduction à une poétique du divers, Paris, Gallimard, 1996.

Hamon (Philippe), Texte et Idéologie, Paris, PUF, 1994.

Jouve (Vincent), Poétique des valeurs, Paris, Presses Universitaires de France, Coll. "Ecriture", 2001.

-        La Valeur littéraire en question (dir.), Paris, Editions L’Improviste, 2010.

Korthals Altes (Liesbeth) (dir.), « Éthique et littérature », Études littéraires, Université de Laval, volume 31, numéro 3, Département des littératures de l’Université Laval, été 1999, p. 7-152.

Laugier (Sandra) (dir.), Éthique, littérature, vie humaine, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Ethique et philosophie morale », 2006.

Miller (J. Hillis), The Ethics of Reading, New York, Columbia University Press, 1987.

Nussbaum (Martha), Love’s Knowledge. Essays on Philosophy and Literature, Oxford University Press, 1990 (trad. franç : La Connaissance de l’amour. Essais sur la philosophie et la littérature, Paris, Editions du Cerf, Coll. « Passages », 2010).

Pinson (Jean-Claude), Poéthique, une autothéorie, Champ Vallon, 2013.

-        Habiter en poète, Champ Vallon, 1995.

Quinche (Florence) et Rodriguez (Antonio) (dir.), Quelle éthique pour la littérature ? Pratiques et déontologies, Genève, Labor et Fides, coll. « Le champ éthique », 2007.

Rabaté (Dominique) (dir.), L’Art et la question de la valeur, PU Bordeaux, « Modernités », n° 25, 2007.

Ricœur (Paul), Du texte à l'action. Essais d'herméneutique, II, Paris, Éditions du Seuil, 1986.

-        La Métaphore vive, Paris, Éditions du Seuil, 1975.

-        Soi-même comme un autre, Paris, Éditions du Seuil, 1990.

-        Temps et récit, t. 1, 2, 3 Paris, Éditions du Seuil, 1983, 1984, 1985.

Roy-Reverdy (Eleonora) et Séginger (Gisèle) (dir.), Éthique et littérature : XIXe-XXe siècles, Actes du Colloque de Strasbourg, 10-11 décembre 1998, Presses Universitaires de Strasbourg, 2000.

Maïté Snauwaert et Anne Caumartin (dir), « Responsabilités de la littérature : vers une éthique de l'expérience », Études françaises, volume 46, numéro 1, Presses de l'Université de Montréal, 2010, p. 5-137.

Vaugeois (Dominique), « La Valeur », Revue des Sciences Humaines, n°283, 2007.

Viart (Dominique), « Le moindre mot. Pascal Quignard et l’éthique de la minutie », in Revue des Sciences Humaines, n°260, 2000, pp. 61-74.

-         « Le roman français contemporain : enjeux esthétiques et éthiques », conférence donnée à la Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société (Lille), le 15 février 2011.

 

[1] Voir, en particulier, Martha Nussbaum, Love’s Knowledge. Essays on Philosophy and Literature, Oxford University Press, 1990 (trad. franç : La connaissance de l’amour. Essais sur la philosophie et la littérature, Paris, Editions du Cerf, Coll. « Passages », 2010) ; William Booth, The Company We Keep. An Ethics of Fiction, Berkeley, University of California Press, 1988 ; Études littéraires, « Éthique et littérature », Université de Laval, Volume 31, numéro 3, été 1999 ; Eleonora Roy-Reverdy et Gisèle Séginger (dir.), Ethique et littérature : XIXe-XXe siècles, Actes du Colloque de Strasbourg, 10-11 décembre 1998, Presses universitaires de Strasbourg, 2000 ; Dominique Rabaté (dir.), L’Art et la question de la valeur, PU Bordeaux, « Modernités », n° 25, 2007.

 

[2] Danielle Sallenave, « Entretien » avec Georges Raillard et Paul Otchakovski-Laurens, in Littérature, n°77, février 1990, p. 92.

 

[3] Liesbeth Korthals Altes, « Le tournant éthique dans la théorie littéraire : impasse ou ouverture ? », in Études littéraires, vol. 31, n° 3, 1999, pp. 39-56.

 

[4] Isabelle Daunais, « Éthique et littérature : à la recherche d’un monde protégé », in Études françaises, vol. 46, n° 1, 2010, p. 65.