Actualité
Appels à contributions
Quand montrer, c'est faire. Performer la séance de cinéma (INHA Paris)

Quand montrer, c'est faire. Performer la séance de cinéma (INHA Paris)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Charlotte SERVEL)

APPEL À COMMUNICATION

COLLOQUE

"QUAND MONTRER, C'EST FAIRE : PERFORMER LA SÉANCE DE CINÉMA"

Le colloque se déroulera les 11 et 12 décembre 2018 à l’INHA. 

 

« Il n'a d'autre référent que sa profération : c'est un performatif », énonce Roland Barthes pour définir le discours amoureux dans ses célèbres Fragments. La séance cinématographique peut, elle aussi, s’envisager sous l’angle de la performance, le film existant par la projection, ou plutôt entraînant une somme d’actions impliquées et décrites par la tenue de cette séance.

Faire de la séance de cinéma un acte, penser ce qui fonde l’expérience cinématographique, voilà̀ ce qui intéresse l’association Kinétraces. La notion de séance requiert en effet une attention renouvelée, suivant les évolutions esthétiques, technologiques et sociales qui touchent au médium filmique et à ses modalités de monstration.

Des pistes de réflexion liminaires ont été́ engagées lors d’une première journée d’études sur les séances de cinéma en France durant les années folles. Ce sont en particulier les éléments constitutifs de la séance qui ont été́ interrogés, tels les salles, les pratiques, les techniques ainsi que les liens entre cinéma et architecture, théâtre, littérature ou musique. Les outils de la recherche archivistique et archéologique, conjugués à des éclairages interdisciplinaires, ont permis de sonder ce qui définit les séances de cette période charnière, en tant que spectacle cinématographique. Il s’agissait d’explorer l’évolution des conditions de présentation des films, entre stratégies de standardisation, développements de secteurs spécialisés et non- commerciaux, et usages créatifs de la séance, tels ceux portés par les avant-gardes.

À partir de ce premier constat, l’enquête s’est prolongée au-delà de la borne chronologique des années 1920 et du cas français, au sein d’un séminaire. L’ouverture de l’objet d’étude a été l’occasion d’élaborer de nouvelles définitions de la séance en confrontant les époques et les aires géographiques, ainsi qu’en accueillant des apports méthodologiques diversifiés - aux confluents de l’histoire, de la sociologie, de la politique ou de l’économie, ainsi que de la théorie et de l’esthétique (analyse littéraire, sémiologie, épistémologie...). À l’aide de sources inédites ou peu explorées, des éléments saillants ont été dégagés du côté de l’histoire des publics, notamment des corps de spectatrices ; des métiers (ouvreuses, programmateurs) ; des formes (spectacles mixtes, prologues) ; ou encore des imaginaires (ainsi de l’émiettement relatif de la notion de séance au sein des romans contemporains). L’aspect typologique des séances a également été valorisé, selon des contextes variés : patrimoniaux, pédagogiques ou militants.

Dans le prolongement de ces travaux, le groupe de recherche souhaite désormais « transformer l’essai interprétatif » lors d’un colloque de clôture qui pensera la notion et l’expérience de la séance à travers son caractère performatif.

Le mot « performance » véhicule en effet un épais feuilletage sémantique dont il s’agira d’interroger les ramifications. En linguistique, le performatif est une catégorie qui investit la dimension active du verbe (qui agit en énonçant). Ce terme permet également des rapprochements avec le domaine économique (performances financières, rentabilité) et technologique (mesures de performances mécaniques par exemple), il véhicule une dimension idéologique (celle de la réalisation de soi et de certaines pratiques de subjectivation) et a trait à la dimension spectaculaire (celles du monde du sport : combat, victoire, dépassement des limites, engagement du public — ainsi que des arts, du spectacle vivant en particulier).

Au théâtre, la performance en tant que pratique artistique s’est développée dès les années 1960 aux États-Unis puis en Europe. Elle proposait une forme qui s’éloignait de la représentation théâtrale perçue comme traditionnelle, en déniant le primat du texte et le principe même de mimesis et en explorant plutôt le présent de l’acte créatif et son processus, en dehors des lieux de théâtre institutionnels. De manière plus large, la notion de performance a permis par la suite de concevoir autrement la représentation théâtrale. Christian Biet et Christophe Triau ont ainsi proposé d’examiner l’histoire du théâtre à l’aune des événements et non plus du dramatique. La notion de « séance théâtrale » permet alors de se détacher de la seule histoire des textes pour analyser les enjeux (esthétiques, historiques, sociologiques) qui traversent cet espace-temps particulier qui unit salle et scène, réinscrivant le dramatique dans un dispositif plus général.

Au cinéma, la séance performée active un processus qui engage le film au sein de son dispositif, induisant une participation des corps des spectateurs face à la présence de ceux des performeurs. L’étymologie du verbe « performer », du latin performare qui signifie « donner sa forme achevée », souligne ce processus qui aboutit à la production d’une forme inédite. Caroline Renard5 explique en effet que « performer » signifie traverser les formes, les revisiter pour produire une forme actualisée et partageable.

Ce colloque pourrait dès lors s’intituler « Quand montrer c’est faire », en hommage à la pensée de John Austin et à son célèbre ouvrage How to do things with Words traduit par « Quand dire c'est faire ». La philosophie analytique aide à comprendre l’effet produit par la projection et l’union des spectateurs, en pensant la séance comme un acte et non un constat. Cette notion « d’acte » souligne la façon dont la séance peut agir sur le spectateur, notamment lorsque cette visée est explicitée par ceux qui la portent (dans le cadre de projections à visées politiques, éducatives ou thérapeutiques par exemple). En termes esthétiques également, la séance de cinéma est « active ». Elle ne se réduit pas à la simple projection d’un film fini, mais propose au contraire, par le fait même de rassembler un public dans un moment et lieu particuliers, de poursuivre l’acte de création. Ainsi, de la même manière que l’art contemporain s’est bâti sur l’idée de réintégrer le spectateur dans l’interprétation et donc l’achèvement – s’il y en a un – de l’œuvre, ce colloque aimerait envisager la séance de cinéma sous cette forme participative, en convoquant les diverses pratiques qui invitent à mobiliser le spectateur.

Il s’agira de réintégrer le film dans le contexte de sa projection, ce qu’ont déjà souligné de fervents chercheurs de la sociologie du cinéma comme Jean-Marc Leveratto qui appelle à faire l’histoire des séances en plus de celle des films, et ainsi de rappeler l’ancrage social du cinéma.

Penser ainsi la séance comme un acte invite à embrasser un large spectre d’investigation : de l’écriture à l’organisation et la monstration du film. Cette réflexion sera donc l’occasion d’étudier le cinéma au-delà de son dispositif canonique. Si au lendemain du passage au parlant, le spectacle cinématographique semble a priori, du fait de sa standardisation et du caractère reproductible du médium, ne plus laisser place au performatif, l’arrivée dans les années 1960 de l’expanded cinema et les explorations faites par le cinéma expérimental prouvent le contraire. De même, les auteurs de cinéma contemporain explorent volontiers des formes hybrides (ciné-conférences, films exposés, etc.) au sein d’espaces diversifiés (musées, galeries, salles...). Ainsi, selon l’hypothèse développée par Erik Bullot, le cinéma aujourd’hui pourrait participer d’un véritable « tournant performatif ». Enfin, du côté du public, les nouveaux moyens d’accéder à du contenu filmique, telles les plateformes en ligne, reposent sur la participation du spectateur.

Il s’agira dès lors d’interroger les diverses formes de performativité actives au sein des séances de cinéma : de la performance des professionnels de la salle à celles proposées par les cinéastes, voire par les spectateurs eux-mêmes (manifestations Dada, scandales surréalistes, gestes lettristes, etc.). Certains types de séances, comme les séances militantes qui visent à renforcer la cohésion d’un groupe réuni autour d’une lutte commune, ou les séances psychiques organisées pour refouler un traumatisme, sont constituées par ce caractère performatif.

L’approche historiographique et les sources de première main seront valorisées, afin de valoriser les aller-retours entre pratiques passées et présentes. Car si la séance de cinéma connaît, dès son apparition, de constantes mutations qui tendent vers sa standardisation, nous pouvons toutefois postuler qu’elle conserve un caractère performatif. De plus, cette performativité de la séance soulève des enjeux importants en termes de patrimoine : de quelle manière transposer le caractère performatif du cinéma des premiers temps sur les supports et dans les espaces actuels ? À l’heure où les mutations technologiques et numériques participent à réinventer tant la notion de séance de cinéma (streaming, multiplication des écrans, individualisation du spectateur), que le caractère performatif du médium film (interactivité avec le public par les jeux vidéos, films interactifs, cinéma exposé), il nous semble essentiel d’apporter un nouveau regard sur ces objets à travers une réflexion à la fois historique, théorique et esthétique.

*

Axes de réflexion, non exhaustifs :

Quoi performer ? Actes et performances « extra-cinématographiques » de la séance
- Séances psychiques ; spirites ; médicales
- Séances pédagogiques ou corporatives (ciné-club, éducation à l’image, séances en entreprise...)
- Séances militantes

Auteurs et performeurs des séances cinématographiques
- Performances de spectateurs : coopérations, gestes disruptifs et turbulences du public
- Performativité des professionnels (fabricant, programmateur, projectionniste, musicien, etc.) - Cinéastes en performance (Akerman, Grandrieux, Lemaître, Maddin, Weerasethakul, etc.)

Performer les formes du cinéma
- Spectacles mixtes et formes hybrides (tels que les ciné-conférences)
- Dispositifs expérimentaux, cinéma élargi
- Restaurations et accompagnements des spectacles de cinéma muet (musique, boniment, etc.) - Migration des formes et des imaginaires de la séance de cinéma au sein d’autre médiums

• Mesurer la performance
- Rendement, fréquentation, normativité, compétitivité des salles : des indices de performance ? - Mesurer la performance à l’aune des études spectatorielles (séances bissées, huées, récits et témoignages de séances)

*

Modalités de soumission :

Les propositions de contribution seront soumises au plus tard le 17 septembre 2018 à l’adresse suivante : projet.seances@gmail.com
Ces propositions (rédigées en français ou en anglais), transmises en fichier attaché (.pdf de préférence), seront composées :

- d’une proposition d’environ 500 mots, accompagnée d’un titre
- d’une bio-bibliographie de l’auteur de 250 mots maximum.

Une réponse sera adressée début octobre 2018.

Le colloque se tiendra les 11 et 12 décembre 2018 à l’INHA (6 Rue des Petits Champs, 75002, Paris).

 

 

Bibliographie indicative

Vangelis ATHANASSOPOULOS, Quand le discours se fait geste : regards croisés sur la conférence-performance, Dijon, Les presses du réel, 2018.

Jacques AUMONT, Moderne, comment le cinéma est devenu le plus singulier des arts, Paris, Cahiers du cinéma, 2007.

John AUSTIN, Quand dire c'est faire, Éditions du Seuil, Paris, 1970 (trad. par Gilles Lane de How to do things with Words: The William James Lectures delivered at Harvard University in 1955, Oxford, J.O. Urmson, 1962).

Martin BARNIER, Bruits, cris, musiques de films. Les projections avant 1914, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011.

Raymond BELLOUR, Le corps du cinéma, hypnoses, émotions, animalité, Paris, P.O.L., 2009.

Christian BIET, « Pour une extension du domaine de la performance (XVIIe -XXIe siècle). Événement théâtral, séance, comparution des instances », Communications, vol. 92, n°1, 2013, pp. 21-35.

Christian BIET et Christian TRIAU, « La comparution théâtrale. Pour une définition esthétique et politique de la séance », Tangence, n°88, 2008, pp. 29-43.

Alain BOILLAT, Du bonimenteur à la voix-over, Lausanne, Éditions Antipodes, 2007.

Vincent BOUCHARD, Germain LACASSE, Gwenn SCHEPPLER (dir.), « Cinéma et oralité. Le bonimenteur et ses avatars », CiNéMAS, revue d’études cinématographiques, vol. 20, n°1, 2010.

Erik BULLOT, Le film et son double. Boniment, ventriloquie, performativité, Genève, Mamco, 2017.

Erik BULLOT (dir.), Du film performatif, Paris, It :éditions, 2018.

Judith BUTLER, Le pouvoir des mots. Politique du performatif, Paris, Éditions Amsterdam, 2004 (trad. par Charlotte Nordmann de Excitable Speech. A Politics of the Performative, Londres, Routledge 1997).

Marguerite CHABROL, Tiphaine KARSENTI (dir.), « Entre théâtre et cinéma : recherches, inventions, expérimentations », Théâtre/Public, n°204, avril-juin 2012.

Caroline CHIK, « Cause and Effect. Performance de cinéma interactif par Chris Hales et Teijo Pellinen », Marges, 05-2007, pp. 129-130.

Sylvie COËLLIER (dir.), La performance, encore, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2016.

Joseph DANAN, Entre théâtre et performance : la question du texte, Arles, Actes Sud, 2013.

Umberto ECO, Lector in fabula, Le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, Paris, Editions Grasset, 1985 (trad. par Myriam Bouzaher de Lector in fabula, Milan, Bompiani, 1979).

André GAUDREAULT, Cinéma et attraction. Pour une nouvelle histoire du cinématographe, Paris, CNRS Éditions, 2008.

Roselee GOLBERG, La performance, du futurisme à nos jours, Paris, Thames & Hudson, 2001. Roselee GOLBERG, Performances, l’art en action, Paris, Thames & Hudson, 1999.

Claude FOREST, Les dernières séances. Cent ans d’exploitation des salles de cinéma, Paris, CNRS éditions, 1995.

Benoît HEILBRUNN, La performance, une nouvelle idéologie, Paris, La Découverte, 2004. Germain LACASSE, Le Bonimenteur de vues animées, Paris/Québec, Méridiens Klincksieck/Nota Bene, 2000.

Germain LACASSE, Johanne MASSÉ et Bethsabée POIRIER, Un diable en ville, Alexandre Silvio et l’émergence de la modernité populaire au Québec, Montréal, Presses Universitaires de Montréal, 2012.

Jean-Marc LEVERATTO, Introduction à l’anthropologie du spectacle, Paris, La Dispute, 2006.

Dominique PAÏNI (dir.), Projections, les transports de l’image, Paris, Fernand Hazan, 1997. Giusy PISANO, Valérie POZNER (éd.), Le Muet a la parole, Paris, AFRHC, 2005.

Guy SPIELMANN, « L'« événement-spectacle ». Pertinence du concept et de la théorie de la performance », Communications, vol. 92, n°1, 2013, pp. 193-204.

Dork ZABUNYAN, « Dispersion du cinéma et extension du domaine filmique », Artpress 2, numéro spécial « Cinémas contemporains », mai-juillet 2011, n°21, p. 68-77.