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Contrat d'allocation doctorale sur la lecture numérique

Contrat d'allocation doctorale sur la lecture numérique

Publié le par Marc Escola (Source : Brigitte Ouvry-Vial)

 

Appel à candidature pour Contrat d'allocation doctorale de 3 ans (1er oct 2014) sur la lecture numérique

 

Description générale du sujet de la thèse

 

1- Contexte scientifique et socio-culturel

Avec le développement des  Nouvelles technologies de l’Information et de la communication nous assistons aujourd’hui à la transformation simultanée des modalités de production, de  circulation et de lecture   des textes et plus largement de la manière dont les lecteurs les abordent et en usent. Les pratiques traditionnelles de lecture de l’imprimé et d’apprentissage sont remises en cause et des divisions sociales et culturelles apparaissent, en particulier entre une nouvelle génération ou catégorie sociale de « digital natifs » moins aptes –semble-t-il-  à une lecture concentrée et critique et des lecteurs  experts maîtrisant  les deux compétences de lecture classique et numérique. La lecture demeure pourtant l’instrument déterminant d’une formation du Moi, d’une éducation à la citoyenneté, à la conscience et aux responsabilité sociales, d’une expérience esthétique, d’un plaisir à la fois  individuel et partagé reliant les lecteurs entre eux au sein de communautés d’interprétation ou plus simplement de réseaux sociaux.

La question ainsi posée se trouve à la croisée de l’Histoire et de la théorie littéraires, de l’Histoire culturelle, des Sciences de l’information et de la communication.

 

2- Etat de la recherche sur le sujet

Depuis les années 70, l’étude de la lecture s’est enrichie de l’apport des théories littéraires de la réception, de l’histoire et de la sociologie du livre et de la lecture, comme des neurosciences envisageant chacune à manière  la lecture comme un jeu, un miroir, une expérience empathique d’identification et de distance. Les études consacrées à l’émergence successive de nouveaux  publics au fur et à mesure des différentes révolutions de la lecture (Révolution des techniques d’impression de Gutenberg, révolution des modalités de  lecture au 18eme avec le passage de la lecture collective à la lecture silencieuse, élargissement de la lecture aux ouvriers, aux femmes et aux enfants après 1830 et le développement de la reproduction sur rotative, éclatement des lectures inter médiales et multimodales avec la révolution digitale) ont permis de documenter, pour les siècles passés la question du  « qui lit » et du «  quoi ? »

Mais le « pourquoi  lit-on ?» et le « comment lit-on ?» restent encore largement sous-explorés et singulièrement pour la période actuelle  où la prégnance et la commodité des dispositifs virtuels n’occultent ni le « romantisme » ni la complétude métaphysique offerts par la lecture sur papier qu’il s’agit au contraire de reproduire numériquement et électroniquement. Les études existantes sur le « conversion numérique » soulignent la nécessité de dépasser la prise en compte de ses enjeux socio-économiques pour une évaluation plus large de ses incidences symboliques sur les pratiques cognitives et culturelles, les représentations et les imaginaires.

 

3- Problématique et enjeux

Il convient donc d’entreprendre sur la base des acquis théoriques et historiques établis, une approche de la complexité multi-facettes de l’expérience de lecture dans la perspective d’une anthropologie contemporaine de la lecture mettant  les propositions de Michel de Certeau sur le lecteur voyageur et braconnier en perspective dans le contexte des nouveaux médias.  L‘apparente rupture introduite par les NTIC serait peut-être une illusion : ce qui apparaît comme crise et innovation radicale ne serait peut-être que la transformation par et l’adaptation aux nouveaux médias de pratiques et modalités très anciennes, archaïques, de l’activité de l’esprit. Au principe de causalité directe perçue entre  nouveaux médias et nouvelles pratiques on pourrait substituer un principe de coexistence, d’inter connections et de coïncidences structurelles propres à l’art de la lecture, à la « vie ouverte de la lecture », à sa fonction rémanente de mise en mouvement du texte et d’engagement du sujet.

L’histoire de la lecture n’apparaîtrait dès lors plus comme une succession de révolutions mais comme une accumulation féconde de « paradigmes »  faisant de la lecture un geste intellectuel, d’une potentialité psychique et créatrice supérieure à celui de l’écriture.

Les nouvelles modalités et les nouveaux objets de lecture relancent et rendent plus urgente cette question qui est au coeur de l'enjeu social de la lecture et qui ressort en particulier des commentaires critiques en ligne émanant de groupes de lecteurs plus que de critiques traditionnels et institués.

C’est particulièrement d’actualité  en Europe, berceau de la culture imprimée :  la tradition de circulation des livres n’y a pendant longtemps pas empêché le maintien de spécificités nationales. Désormais, l’absence de frontières induite par le développement d’internet, la globalisation de l’information, rendent-elle caduques la diversité des pratiques culturelles nationales? On devrait dés lors envisager  les modes de lecture privilégiés (papier ou numérique), et les types de réception en ligne correspondant, dans au moins deux pays européens ou deux communautés virtuelles linguistiques différentes.

En prolongeant la notion de lecture "créatrice », on voit en effet comment les nouveaux média mettent en évidence les deux modalités de la lecture (utilisation/interprétation) qui étaient fondues et plus indistinctes dans la lecture traditionnelle, à la fois parce qu'on publiait et lisait sous la même forme des types de textes différents dans leur finalité et leur usage (savoir/divertissement) alors que les transformations contemporaines des supports révèlent le caractère multi sensoriel de la lecture papier (on revient à la lecture papier comme un rite archaïque et un plaisir plus complet, on reproduit le bruit de la page qui tourne sur tablette) et de la lecture -écran (on fait glisser des images, défiler des pages, se superposer des étages du texte etc..).

Le texte écran permettrait l'actualisation de la notion abstraite de texte-tissu (Roland Barthes, et surtout Umberto Eco) "tissu d'espaces blancs, d'interstices à remplir, et celui qui l'a émis prévoyait qu'ils seraient remplis et les a laissés en blancs d'abord parce qu'un texte est un mécanisme paresseux (ou économique) qui vit sur la plus-value de sens qui y est introduite par le destinataire, ensuite parce qu'un texte veut laisser au lecteur l'initiative interprétative (U. Eco, Lector in Fabula). "

Ces pistes problématiques envisagées ne sont pas exclusives d’autres et il appartiendra au doctorant ou à la doctorante de revoir et préciser l’équilibre entre les deux orientations en jeu, d’une part socio-littéraire, d’autre part informationnelle.

 

4- Corpus envisagé

Le cas de l'analyse des commentaires critiques rédigés par des amateurs et diffusés électroniquement constitue un terrain d'investigation de nature à proposer des éléments de réponse à ces questions.

On partira,- pour un échantillon significatif de romans-,  d'un corpus de blogs personnels, de commentaires déposés sur des librairies en ligne, de critiques littéraires reconnus passant désormais par le tweet, ou le blog plus que par les rubriques traditionnelles des journaux et magazines. Il s'agira de voir dans quelle mesure  se produisent des modifications des usages et des modalités de réception et si, le cas échéant, elles constituent des ruptures ou bien une forme de régénération de pratiques plus anciennes (salons littéraires, cabinets de lecture).

 

La question est aussi de savoir si, et de quelle façon, le nouveau critique acquiert une forme de légitimité auprès de ses propres lecteurs et auprès de ses pairs et, par voie de conséquence, de voir si ces nouveaux réseaux d'influence viennent  compléter ou bien concurrencer les voies traditionnelles de prescription (presse, librairies, bibliothèques) en raison même de leur nature démocratique et participative.

 

Une attention particulière sera accordée aux éventuelles pratiques de recommandations des éditeurs et de leur impact. Voit-on se reconstituer en ligne une chaîne éditoriale –allant de l’auteur au lecteur en passant par les acteurs des métiers du livre- analogue à celle de l’ère pré-numérique?

 

Programme prévisionnel de travail du doctorant (calendrier sur 3 ans, grandes échéances)

Année 1 – État des lieux des travaux récents existant. Recensement bibliographique et assimilation des théories fondatrices (littéraires, sciences de l’information et la communication, sciences de la cognition). Missions courtes nationales auprès des différents EA et laboratoires de LSHS et d’autres disciplines hors LSHS concernés par la problématique de la lecture en lien avec la culture numérique (Colloque annuel ThatCamp sur les humanités numériques, séminaire EHESS, séminaire du GRIPIC). Etablissement d’un cahier des charges pour l’utilisation des ressources et outils des humanités numériques. Participation aux séances de formation doctorale à l’Université du Maine. Participation à la Journée des Doctorants 3L.AM.

Année 2- Approche par les études statistiques, les enquêtes qualitatives et quantitatives sociologiques et sur le terrain éducatif comme des professionnels du livre,  des liens entre NTIC et pratiques de lecture. Développement de la problématique anthropologique autour de la question large des nouveaux publics de lecture, de leurs expériences et de la possible modélisation qu’on peut en faire. Parmi les questions à explorer sous forme d’enquêtes, on peut, de façon non  exhaustive,  lister plusieurs orientations entre lesquelles il conviendra de choisir : la lecture une compétence  ou un art selon José Luis Borgès ? Impact des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication sur  les apprentissages, l’autonomie de l’apprenant ? La révolution numérique constitue-t-elle une rupture radicale par rapport à des pratiques désormais dépassées ou une continuité ? 1 participation à colloque international Jeunes Chercheurs.

Année 3- Rédaction, participation aux travaux de la base de données EU-RED (European Reading Experience Database), soutenance.  En particulier, on prévoit une courte mission de formation auprès de  l’un des partenaires scientifiques privilégiés du 3L.AM U. de Sarrebrück ou U. de Milan, voire U. de Birmingham (UK).

Une partie importante du travail consistera, en lien avec les techniciens informatiques et le  Service Commun de Documentation,  à  utiliser les ressources numériques disponibles à la fois pour une approche quantitative des données constitutives du corpus, pour une mise en forme et présentation rationnelles et démonstratives  des résultats et pour leur publication ultérieure en ligne ouvrant à de  futures exploitations.

 

Bibliographie indicative

Howard Becker, Les mondes de l'art, Paris, Flammarion, 1988.

Lodovica Braida, La Lettura silenziosa : une rivoluzione inavertita, La Fabbrica del libro, Bolletino di storia dell’editoria in Italia, anno XIX, 1/2013.

Guglielmo Cavallo et Roger Chartier (Dir), Histoire de la lecture dans le monde occidental, Editions du Seuil, 1997; Rome, Editori Laterza, 1995, éd. fr Le Seuil, 1997.

Yves Citton,  L’Avenir des Humanités. Économie de la connaissance ou cultures de l’interprétation ?, La Découverte (2010)

Robert Darnton : « Google and the future of Books », The New York Review of Books 56, n°2 (February 12, 2009). http://www.nybooks.com/articles/22281

Milad Doueihi, La grande conversion numérique, Le Seuil, 2008

Jean-Jouis Dufays, Stéréotype et lecture, Essai sur la réception littéraire (1994), Théocrit n°1, Peter Lang, 2010.

Danielle Fuller  & DeNel Rehberg Sedo, Reading Beyond the Book, The social practices of contemporary  literary culture, Routledge, 2013

Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne, t.1 et 2, Paris, Minuit, 1973.

Katherine Hayles, « How we read : Close, Hyper, Machine. » ADE Bulletin. 150 (2010): 62-79.

W. A. Johnson, 2002. "Reading Cultures and Education". Reading between the Lines. New Perspectives on

Foreign Language Literacies, ed. P. C. Patrikis. New Haven: Yale University Press.

Vincent Jouve, L'Effet-Personnage dans le roman, Paris, Presses universitaires de France, Collection « Écriture », 1992

 (2ème édition : 1998); La Lecture, Paris, Hachette, Collection « Contours littéraires », 1993. 

Bernard Lahire, Sociologia de la lectura, Barcelona, Gedisa, 2004; La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte, 2004.

Brigitte Ouvry-Vial et Anne Réach Ngo (Dir.),  L’Acte éditorial. Publier à la Renaissance et aujourd’hui, Introduits, réunis et présentés par, Garnier classiques, 2010 ;

Brigitte Ouvry-Vial "Livres, lectures et constructions identitaires", in Facteurs d’identités/Faktoren der Identität, Réseau Dynamiques citoyennes en Europe, Jutta Langenbacher-Liebgott & Dominique Avon (éd./Hrsg.), Peter lang, Berne, 2012.

Michel Picard, La lecture comme Jeu, Ed. de Minuit, 1986

Matthew Rubery (Dir.), Audiobooks, Literature and Sound Studies, Collected essays, N.Y., Routledge, 2011.

 

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Intitulé de la thèse  

 Crise de lecture : la lecture, une idée neuve à l’ère du numérique ? Le cas des ouvrages de fiction  et de leurs commentaires en ligne

 
Établissement d’enseignement supérieur où sera inscrit le doctorant :
 Université du Maine, Le Mans

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École doctorale :  
 Sociétés, Cultures, Echanges (SCE)

 
Laboratoire où s’effectuera la thèse :  
3L.AM (Langues, Littératures, Linguistique des Universités d’Angers et du Maine)
 
Labellisation du laboratoire :  
 EA 4335
 
Directeur du laboratoire :  
Pr. Nathalie Prince
 
Responsable(s) scientifique(s) de la thèse :
Pr. Brigitte Ouvry-Vial, 3L.AM
 
Co-direction et/ou co-encadrement (le cas échéant) :
Co-direction envisagée (à préciser) par  Pr Milad Doueihi, Chaire des Cultures et humanités Numériques, Université Laval-Québec ou collègue d'université européenne associé au projet Reading in Europe (ANR 2014).

Co-encadrement possible à l'Université du Maine Philippe Cottier (MCF, DDL, Sciences de l’Information et de la communication, CNU 71e, U. du Maine- IUT de laval), François Vignale, (CNU 22e et 71e sections, Conservateur SCD, U. du Maine).

Les dossiers avec CV et lettre de motivation sont à envoyer par voie électronique, avant le 15 septembre 2014,  à : bouvry@univ-lemans.fr.
 

L'adresse du labo: 3LAM, Université du Maine, Bâtiment recherche LSH, av. Olivier Messiaen, 72000 Le Mans.