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Amour divin, amour mondain dans les écrits du for privé

Amour divin, amour mondain dans les écrits du for privé

Publié le par Sophie Rabau (Source : Michel Braud)

Amour divin, amour mondain
dans les écrits du for privé de la fin du Moyen Age à 1914


Colloque international, 4 et 5 juin 2010,
à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour

Colloque organisé par Maurice Daumas (UPPA) pour ITEM (Identités, Territoires, Expressions, Mobilités, EA 3002) et Michel Braud (UPPA) pour le CRPHL (Centre de Recherche Poétique et Histoire Littéraire EA 3003)

Responsables scientifiques : Maurice Daumas et Philippe Loupès (Bordeaux 3) pour le volet historique ;

Michel Braud et Philippe Lejeune (Paris-Nord) pour le volet littéraire.


Les propositions de communication doivent être envoyées avant le 28 février 2009 à :
michel.braud@univ-pau.fr ou maurice.daumas@univ-pau.fr

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    Depuis les travaux de Marcel Mauss, les sciences humaines se sont affranchies des dichotomies du normal et du pathologique, du sacré et du profane, de l'individu et de la société. Mais ces dichotomies ont une histoire. Celle de l'amour divin et de l'amour mondain a grandement servi à penser le monde dans les siècles passés.
    Amour divin, amour mondain ; amour divin, amour naturel ; amour sacré, amour profane ; amour céleste, amour vulgaire : les expressions ne manquent pas, à l'époque moderne, pour désigner ce qui est d'abord vécu sur le mode de l'opposition et du choix contraint. Le message de l'Evangile, amplifié par saint Paul, met en garde contre ce partage, cette division qui guette l'homme et cause sa chute. « Il faut mourir » signifie « il faut choisir ». Choisir, dès ce monde, entre l'amour que l'on doit à Dieu et celui que l'on doit à ses créatures. Choisir entre Dieu et autrui, Dieu et son conjoint, Dieu et ses enfants, Dieu et les plaisirs, Dieu et ses souvenirs. Génératrice d'angoisse et de déchirement, la confrontation de l'amour divin et de l'amour mondain correspond bien aux cadres conceptuels du temps des Réformes. Mais si le registre de la douleur domine son écriture, il est loin de constituer son unique voie d'accès.
    L'amour sacré et l'amour profane se vivent aussi dans la joie, dans l'harmonie et même dans la fusion. Les Ecritures font une large place à l'amour humain et ont nourri sa représentation d'innombrables images. Corollairement, l'amour passion parle le langage de la spiritualité et se déchiffre à partir d'elle. La Renaissance présente le double visage de l'amour sacré et de l'amour profane que Lucien Febvre a révélé chez Marguerite de Navarre. Marsile Ficin n'y est pas étranger. En assignant à l'amour humain la tâche valorisante de guider l'âme vers l'amour divin, le philosophe de Careggi a accompli une révolution. Vulgarisé, le néoplatonisme fait les délices des cours, si bien, selon la remarque d'un philologue du XVIe siècle, qu' « à la fin les courtisans tenaient pour indispensable à leur fonction de savoir combien de sortes d'amour il y avait, et lesquelles. »
    La dialectique de l'amour divin et de l'amour mondain est un thème de prédilection dans les écrits intimes, présent au coeur du plus célèbre d'entre eux : « Oubli du monde et de tout, hormis Dieu » lit-on dans le Mémorial. Correspondances, mémoires, autobiographies, journaux et livres de famille font écho sur ce point aux traités, aux sermons et aux images. Le mariage, qui occupe dans les écrits personnels une place importante, est le lieu par excellence du déchirement entre l'amour humain et l'amour de Dieu : la sexualité, la dévotion et le veuvage sont autant de scènes sur lesquelles se joue le grand partage contre lequel mettent en garde les hommes d'Eglise. Cette vision du monde affleure dans bien d'autres thèmes d'écriture, qui sont autant de choix d'attitudes et de comportements : le mal-être, l'interrogation sur le péché, la tentation du renoncement au monde, les engagements moraux, les élans spirituels, l'indignation contre la souffrance et la mort, les souvenirs et les exploits amoureux, les réflexions sur la vieillesse, la méditation sur le temps qui passe…
    L'écriture intime apparaît comme une forme de retrait du monde, puisqu'elle consiste à bâtir une sphère où le moi s'enferme, éventuellement en tête-à-tête avec Dieu. Mais écrire est aussi une manière d'être au monde, qui ne se range qu'exceptionnellement au nombre des oeuvres de salut. Il existe donc une contradiction dans le mouvement qui consiste à se tourner vers Dieu tout en se déployant par l'écriture dans le monde. Le moi connaît mille et une manières de la contourner, afin de légitimer son aspiration à l'écriture. En voici un échantillon, du modèle le plus courant :
    « Mes tristes réflexions peuvent servir d'exemple à ceux qui comme moi abuseront de leurs sentiments et donneront au monde ce qui n'est qu'à Dieu seul. » (Comtesse de Schwerin, Histoire de ma vie)