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Nouvelle parution
Actualités du récit. Pratiques, théories, modèles (Protée, vol. 34, no 2-3)

Actualités du récit. Pratiques, théories, modèles (Protée, vol. 34, no 2-3)

Publié le par René Audet


« Actualités du récit.
Pratiques, théories, modèles »


Responsables: René Audet et Nicolas Xanthos


Protée. Revue internationale de théories et de pratiques sémiotiques
Volume 34, nos 2-3 (automne-hiver 2006)








— René Audet et Nicolas Xanthos
Présentation  (Le texte de présentation est accessible en ligne sur le site de la revue.)

— Serge Lacasse
Stratégies narratives dans « Stan » d’Eminem : le rôle de la voix et de la technologie dans l’articulation du récit phonographique

— Samuel Archibald et Bertrand Gervais
Le récit en jeu. Narrativité et interactivité

— Valérie Morignat
Présences réelles dans les mondes virtuels

— Françoise Revaz et Laurent Filliettaz
Actualités du récit dans le champ de la linguistique des discours oraux : le cas des narrations en situation d’entretien

— Jan Baetens
Une photographie vaut-elle mille films ?

— Richard Saint-Gelais
Récits par la bande : enquête sur la narrativité paratextuelle

— Robert Dion et Frances Fortier
Modalités contemporaines du récit biographique : Rimbaud le fils, de Pierre Michon

— Anne Martine Parent
Trauma, témoignage et récit : la déroute du sens

— Marie-Pascale Huglo
L’art d’enchaîner : la fluidité dans le récit contemporain

— Frances Fortier et Andrée Mercier
L’autorité narrative dans le roman contemporain. Exploitations et redéfinitions

— Vincent Jouve
Les métamorphoses de la lecture narrative

— Raphaël Baroni
Passion et narration

— Nicolas Xanthos
Avoir le sens des valeurs : le difficile pluriel de la sémiotique narrative

— René Audet
La fiction au péril du récit ? Prolégomènes à une étude de la dialectique entre narrativité et fictionnalité

Dossier iconographique:
Louis-Pierre Bougie. Le corps est la demeure du temps
Une présentation de Michaël La Chance



Résumés :

Serge Lacasse
Après avoir passé en revue une grande partie de la documentation scientifique portant sur la narrativité en musique et dans d’autres formes d’expression non littéraires, l’auteur observe que la chanson enregistrée n’a pas véritablement fait l’objet d’études sérieuses du point de vue narratologique. Afin de combler en partie cette lacune, l’article propose une analyse de la chanson « Stan » du rappeur états-unien Eminem, dans le but de dévoiler le fonctionnement narratif de la chanson. En se concentrant sur les aspects performanciels et technologiques, l’analyse rend compte de la richesse du récit phonographique à l’œuvre dans cet enregistrement, en considérant notamment les relations temporelles et spatiales, de même que les modes d’énonciation vocale.

Samuel Archibald et Bertrand Gervais
Nous sommes confrontés aujourd’hui à l’apparition des formes interactives (jeux vidéo, hypertextes de fiction, œuvres combinatoires) qui participent d’une narrativité manifeste, mais remettent profondément en cause les horizons d’attente et les habitudes interprétatives généralement déployés face aux récits. Devant ce bouleversement, plusieurs théoriciens ont proposé d’opposer radicalement interactivité et narrativité, comme on opposerait l’expérience à sa représentation. Tout en reconnaissant le caractère opératoire d’une telle position, nous voulons articuler ici la distinction entre formes narratives et formes interactives en dépassant l’antagonisme simple. Depuis l’angle de la sémiotique du récit, nous reconsidérons la critique récente des nouveaux médias, réexaminons les notions d’interactivité, de simulation et de monde fictionnel et tentons de réunir action représentée, action simulée et action interprétative au sein d’une même pratique : la lecture.

Valérie Morignat
Les arts numériques interactifs élaborent des stratégies immersives qui impliquent le spectateur dans un parcours historique et incarné à l’intérieur de mondes virtuels peuplés d’agents intelligents. En proposant les concepts d’interactantialité et de mésonarrativité dans l’examen du Cinéma numérique et du Jeu vidéo, cet article aborde les spécificités d’une narrativité numérique écologiquement située par laquelle le sujet réel partage les caractéristiques ontologiques du personnage de fiction.

Françoise Revaz et Laurent Filliettaz
Cet article aborde la problématique de l’actualité du récit d’un point de vue disciplinaire distinct – la linguistique du discours – et à propos d’un objet particulièrement énigmatique et encore mal décrit – le récit oral. Pour ce faire, il rappelle sommairement quelques éléments du modèle labovien du récit avant d’examiner, à partir d’entretiens menés avec des opératrices d’une industrie pharmaceutique, trois directions dans lesquelles ce modèle a été discuté et développé au cours des trente dernières années : la problématique de l’insertion conversationnelle des narrations ; celle de leur structuration temporelle ; et enfin celle de leur dimension évaluative. L’article contribue ainsi à mieux comprendre la nature des rapports que les approches sociolinguistiques de la narration entretiennent avec le référentiel de la narratologie structurale.

Jan Baetens
Le présent article s’interroge sur les potentialités narratives d’un média que l’on a tendance à croire guère approprié au récit : la photographie. Peu apte en elle-même, du moins à première vue, à rendre le temps, la narration et surtout la fiction, la photographie souffre encore davantage de la comparaison avec le média nouveau qui l’a « remédié » (au sens de Bolter et Grusin) : le cinéma. L’analyse d’un exemple, une image photographique de Cartier-Bresson qui existe également sous forme cinématographique, montre cependant que, dans certains cas, le pouvoir narratif d’une image fixe peut dépasser celle d’une image mobile. Pour comprendre un tel écart paradoxal, il importe cependant de situer la narrativité sur le plan de la lecture de l’image, et non plus sur celui de ses formes.

Richard Saint-Gelais
Cet article examine un secteur assez méconnu de la narrativité, celui du paratexte (titres, illustrations, prière d’insérer, notes de bas de pages, etc.), en distinguant les éléments paratextuels à fonction couramment narrative de ceux où la narrativité, plus exceptionnelle, est d’autant plus saillante. Une typologie sommaire est proposée, qui distingue trois cas de figure : annonce, contrepoint et saturation.

Robert Dion et Frances Fortier
À travers l’essai biographique que Pierre Michon a consacré à Rimbaud, il s’agit ici de voir comment l’entreprise de raconter une vie d’écrivain se transforme à la fin du xxe et au début du xxie siècle. L’exemple de Rimbaud le fils nous paraît en effet symptomatique des recatégorisations que subit le récit biographique, après son entrée dans l’« ère du soupçon », sur le triple plan du style, de l’énonciation et de la narration. On verra que la biographie, chez Michon, dévie de sa trajectoire, et qu’il y est davantage question de l’impression – au sens propre comme au sens photographique – qu’a laissée Rimbaud sur des générations d’adulateurs et de lecteurs que des circonstances avérées de son existence. Cet ébranlement de l’événementiel, étonnant dans une biographie aussi brève (qui n’est, en ce sens, aucunement économique), fait le lit d’une fictionnalisation notable du propos biographique : des scènes imaginaires voisinent avec des conjectures étonnantes, et l’archive, pourtant rarissime – Michon se contente de répéter ce que tout le monde sait –, sert de fondement à l’invention, quand elle n’est pas elle-même inventée.

Anne Martine Parent
Le présent article explore la manière dont le trauma ruine la possibilité même d’un récit tout en le rendant nécessaire à la fois. Tout d’abord, un survol de l’histoire de la notion de trauma et des théories du trauma montre que c’est l’incompréhensibilité d’un événement pour un sujet qui fait de cet événement un trauma. Cette incompréhensibilité met le sujet aux prises avec une double contrainte (double bind) : d’une part, l’incompréhensibilité de l’événement traumatique pousse le sujet à tenter de l’intégrer dans son histoire psychique par sa mise en récit, tandis que, d’autre part, cette incompréhensibilité constitue cela même qui empêche la mise en récit de l’événement. Le témoignage semble être le seul genre de récit qui puisse se faire à partir de cette double contrainte, comme le révèle l’analyse de témoignages de camps de concentration nazis (notamment ceux de Charlotte Delbo et de Jorge Semprun) dans la dernière partie de l’article.

Marie-Pascale Huglo
Cet article examine de façon exploratoire les modes d’enchaînement dans quelques récits contemporains, afin de repérer un « geste » distinctif parmi la diversité des styles et des pratiques narratives actuelles. C’est donc en un parcours indicatif, dans lequel Renaud Camus côtoie Nancy Huston, Annie Ernaux, Chloé Delaume, Michel Houellebecq et Jean-Philippe Toussaint, que je tente de circonscrire une façon typiquement contemporaine d’enchaîner. Au terme de ce parcours, l’enchaînement fluide d’éléments hétérogènes se démarque comme un mode spécifiquement contemporain qui joue avec les codes syntaxique et romanesque établis et les déplace sensiblement. Cette fluidité des enchaînements n’a rien d’illisible et s’inscrit dans le contexte contemporain du retour à la littérature « transitive ». Sur un plan plus formel, on peut la relier au milieu médiatique dans lequel nous baignons, où la fluidité et l’hétérogénéité des enchaînements sont, globalement, la règle. Les modes d’enchaînements ressortent comme l’un des lieux où l’intermédialité à l’œuvre dans la littérature se manifeste, cette dernière nous permettant de mieux saisir les transformations du récit contemporain.

Frances Fortier et Andrée Mercier
Le présent article vise à dégager les procédés, dans des textes à la visée narrative explicite, qui problématisent expressément et redéfinissent l’autorité narrative, sans pour autant sacrifier la captatio illusionis, c’est-à-dire l’adhésion du lecteur à la fiction. Les trois textes retenus, à dominante événementielle mais savants – Un an de Jean Echenoz (1997), L’Histoire de Pi de Yann Martel (2002), Lauve le pur de Richard Millet (2000) –, s’inscrivent dans la mouvance du retour au récit ; cette narrativité, revue à la lumière des acquis de la modernité, présente divers degrés et positionnements de l’autorité narrative et attire ainsi l’attention sur les modalités d’adhésion et les enjeux de crédibilité du discours fictionnel. Nous estimons que cette réflexion caractérise précisément tout un pan du roman contemporain.

Vincent Jouve
Dans le champ narratif, le XXe siècle fut, sans conteste, celui des innovations techniques. Les différents courants du récit contemporain restent marqués par cet héritage. Dans la mesure où on ne raconte plus comme on racontait, on ne lit plus comme on lisait. L’enjeu de cet article est de décrypter les nouvelles modalités de notre relation au récit. On commence par rappeler ce qui faisait la séduction du récit traditionnel et les raisons qui ont conduit à sa remise en cause. Après avoir relevé les traits les plus marquants des romans actuels, on examine la façon dont ils modifient l’expérience de lecture. On se demande, pour finir, quelles sont, aujourd’hui, les différentes façons de lire un récit.

Raphaël Baroni
Cet article vise à décrire un aspect de la narrativité qui constitue un impensé de la théorie narratologique « classique » en France durant la période structuraliste. L’accent est mis sur les liens existant entre passion et narration. Il s’agit de mettre en évidence la dimension passive, aussi bien de l’action narrée que de la narration elle-même (dans sa forme dialogique). Le versant cognitif de l’interprétation ne devrait jamais être considéré séparément des questions relatives à la tension narrative, à la curiosité et au suspense, qui représentent les traits passifs de l’actualisation de l’intrigue, mettant en évidence l’incertitude caractérisant le processus d’anticipation du récit. À travers l’exploration de cet aspect de la narrativité, la compréhension de sa fonction anthropologique peut être réévaluée et approfondie, et la conception que nous nous faisons de la « mise en intrigue » peut être discutée après sa résurgence dans la critique narratologique sous l’impulsion des travaux de Paul Ricœur.

Nicolas Xanthos
Le présent article tente d’ouvrir la sémiotique narrative à la question, délaissée jusqu’ici pour des raisons presque idéologiques, des valeurs exprimées par l’action. Il veut montrer que, bien que l’action soit définie par l’intention, le récit, c’est-à-dire la représentation d’action, n’est pas une pratique discursive unique, fondée sur la seule mise en évidence de l’intention de l’agent ; tout différemment, il existe d’autres types de récits – dont les récits axiologiques. L’argument consiste à montrer, sur pièce, l’existence de récits axiologiques dans la fiction littéraire, à décrire des sémiotiques narratives qui ont développé un appareillage conceptuel très puissant et opératoire pour l’analyse du récit intentionnel, mais qui ne parviennent pas à saisir le récit axiologique, et à faire quelques propositions pour cette nécessaire sémiotique narrative axiologique.

René Audet
Partant du constat d’un emploi difficile du terme « récit » pour décrire les œuvres contemporaines, cet article examine l’usage de ce terme et en interroge le bien-fondé, notamment dans son rapport avec l’autre paramètre déterminant des textes littéraires, la fictionnalité. Ces deux notions, souvent étudiées conjointement, ne sont pas considérées dans leur dynamique ; cette aporie est dépassée grâce à la perspective pragmatique de R. Walsh, qui permet de penser les usages du discours narratif. Depuis un effort de spécialisation des notions de récit (qui correspond au modèle structuraliste canonique) et de narrativité (fondée sur l’événement) est proposée une exploration de certaines modalités de l’instrumentalisation du narratif, une des fonctions qui lui sont communément associées en littérature contemporaine.