Collectif
Nouvelle parution
A. Vauchez, Prophètes et prophétisme

A. Vauchez, Prophètes et prophétisme

Publié le par Marc Escola

Prophètes et prophétisme
André Vauchez

Collectif

DATE DE PARUTION : 02/02/12 EDITEUR : Seuil ISBN : 978-2-02-102820-1 EAN : 9782021028201 PRÉSENTATION : Broché NB. DE PAGES : 496 p.


Qu'est-ce qu'un prophète ? Un terrifiant oiseau de mauvais augure ? Une voix qui crie la bonne nouvelle dans le désert ? Derrière ce lien privilégié entretenu avec l'avenir, la définition du prophétisme est d'autant plus floue qu'elle varie selon les époques et les cultures, et même selon les religions. Dans une vaste synthèse diachronique et transcontinentale, André Vauchez et son équipe ont choisi de se concentrer sur la figure du prophète de tradition chrétienne, homme de l'attente avant toute chose, personnalité plus charismatique que réellement sage ou sainte.

Au long de cet ouvrage magistral, ils traquent cette figure dans l'histoire, de l'Europe au Moyen-Orient, de l'Afrique aux Amériques. A l'appui de sources bibliques et religieuses, mais aussi d'analyses plus contemporaines, telle celle de Max Weber, ils dressent le portrait d'une figure investie d'une autorité divine, capable de soulever les foules en professant une parole inspirée et apocalyptique, qui " lève le voile de l'avenir ".

Loin de céder à la tentation du catastrophisme, si prégnante dans nos sociétés contemporaines, le prophète s'avère au contraire être un homme de l'espérance, dont la présence et le charisme traversent les époques et les océans. Voilà qui rend ce livre indispensable, à l'heure où semblent l'emporter la peur à l'échelle planétaire ou la tentation d'un repli identitaire !

Sommaire:

LE PROPHETISME BIBLIQUE
LE PROPHETISME CHRETIEN, DE L'ANTIQUITE TARDIVE A LA FIN DU MOYEN AGE
LE PROPHETISME CHRETIEN, DE l'INQUIETUDE A LA REVOLUTION (XVE-XVIIIE SIECLE)
LE PROPHETISME DE LA REVOLUTION A LA GRANDE GUERRE (1789-1914)
LE FUTUR ANTERIEUR : PROPHETISME EUROPEENS AU XXE SIECLE
PROPHETES D'AFRIQUE NOIRE AU XXE SIECLE
LE PROPHETISME DANS L'AMERIQUE LATINE CONTEMPORAINE
LE PROPHETISME EN AMERIQUE DU NORD

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Dans Libération du 18/4/12, on pouvait lire cet article:

Entre utopies et perspectives apocalyptiques, la parole prophétique de l’Ancien Testament à Auschwitz

Par MARC SEMO

Messager et interprète de la parole divine, le prophète tonne et menace du châtiment divin le peuple devenu idolâtre ou le tyran incrédule. Il console et ranime l’espérance du peuple en souffrance. Les «nabi», traduit imparfaitement par «prophètes» dans la version grecque de la Bible, sont des figures centrales de l’Ancien Testament. La parole prophétique continue dans le monde chrétien en rivalité avec celle du prêtre et les dogmes de l’Eglise. Elle annonce la fin des temps dans sa version eschatologique ou les mille ans de paix et de bonheur qui la précèdent selon l’Apocalypse, alimentant hérésies et révoltes pour «de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera».

«Symbolique». A l’époque moderne et contemporaine, cette tradition continue, s’exprimant dans les utopies, religions sécularisées rêvant de l’âge d’or, aboutissement d’une longue et douloureuse rédemption. «La Russie a reçu le communisme pour sa souffrance», écrivait Lénine en 1917. Le prophétisme irrigue l’histoire de l’Occident, mais aussi celle de ses terres de conquêtes, l’Afrique noire ou l’Amérique latine.

«Dans tous les cas de figure et quel qu’ait été leur aboutissement concret, les trois formes principales du prophétisme - l’eschatologie, le millénarisme et l’utopie - sont des constructions culturelles à forte charge symbolique que l’on doit prendre au sérieux dans la mesure où elles illustrent la part de l’imaginaire dans l’histoire des sociétés humaines», écrit André Vauchez, spécialiste de la spiritualité médiévale et maître d’oeuvre de cet ouvrage collectif centré sur le monde chrétien. Ni le judaïsme de la diaspora avec son attente messianique scandée d’apparitions de faux messies, ni l’islam chiite espérant le retour de «l’imam caché», ou le sunnisme avec la figure du «mahdi» ne sont abordés, faute de place dans un ouvrage déjà très dense. Le thème n’est pas nouveau, comme le montrent les travaux de Max Weber, qui souligne que le charisme, élément central du prophétisme, représente «la grande puissance révolutionnaire des époques liées à la tradition». Mais ce terrain de recherche fut ensuite négligé par les historiens, si l’on excepte les travaux du Britannique Norman Cohn à la fin des années 50 avec son livre désormais classique, les Fanatiques de l’Apocalypse, récemment réédité chez Aden.

Les premiers chrétiens vivaient dans l’attente du retour de Jésus et de la parousie, cette seconde venue du fils de Dieu. Au coeur du message chrétien, il y a aussi l’élection promise par Dieu aux pauvres et aux humbles, qui légitime la remise en cause de l’ordre établi. La tradition prophétique mêle ainsi revendication de justice et prédiction apocalyptique avec l’arrivée de l’antéchrist avant le triomphe final du Bien. D’abord présents, surtout dans le christianisme oriental et ses moines anachorètes, ces courants commencent à s’épanouir en Occident dès le XIIe siècle avec de grandes figures comme Hildegarde de Bingen pourfendant le pape Anastase IV : «Tu n’aimes pas la fille du Roi, la justice, d’un amour ardent mais d’un amour ensommeillé.» Quelques années après surgit Joachim de Flore, la figure la plus importante du prophétisme médiéval qui influença aussi bien les franciscains que des hérétiques en tout genre. Jeanne d’Arc est perçue par beaucoup de ses contemporains comme «une prophétesse». Christophe Colomb se voyait lui aussi prophète, écrivant : «Notre seigneur me fit le messager du nouveau ciel et de la nouvelle terre dont il parla par la plume de Saint-Jean dans l’apocalypse après l’avoir fait par la bouche d’Isaie.» Avec la réforme protestante, les mouvements prophétiques deviennent encore plus nombreux et cadre d’expression de révoltes sociales.

Contre tout espoir. Présente tout au long de l’époque moderne et centrale chez les penseurs de la contre-révolution après 1789, la pensée prophétique prend une nouvelle dimension, plus seulement religieuse, avec le XXe siècle des totalitarismes et des utopies fracassées. «Elle dit à l’avance ce que les autres ne voient pas encore des réalités du monde. Elle annonce ainsi un futur déjà advenu ; c’est la raison pour laquelle sa temporalité est celle du futur antérieur», écrit l’historienne Sylvie Barnay, évoquant Charles Péguy, Paul Claudel ou Emmanuel Mounier mais aussi Ossip Mandelstam, Walter Benjamin ou Etty Hillesum, philosophe morte à Auschwitz qui écrivit dans son journal : «Je vais t’aider mon Dieu à ne pas t’éteindre en moi mais je ne peux rien garantir […] ce n’est pas toi qui peut nous aider mais nous qui pouvons t’aider.» La parole prophétique est celle qui permet d’espérer contre tout espoir, comme l’écrivait Maurice Blanchot : «Quand tout est impossible, quand l’avenir livré au feu brûle, quand il n’y a plus de séjour qu’au pays de minuit, alors la parole prophétique qui dit l’avenir impossible, dit aussi le "pourtant" qui brise l’impossible et restaure le temps.»