Questions de société
À quoi doit servir l'université ? table ronde - 30 mai 2009

À quoi doit servir l'université ? table ronde - 30 mai 2009

Publié le par Bérenger Boulay

L'Humanité des débats. Universités

À quoi doit servir l'université ? table ronde - 30 mai 2009

http://www.humanite.fr/2009-05-30_LeaderN_A-quoi-doit-servir-l-universite-table-ronde

AvecFrédérique Bassino, professeur d'informatique à Paris-XIII, membre dela commission administrative nationale du SNES-SUP ; Isabelle Bruno,maître de conférences en sciences politique à Lille-II ; Jean-LouisFournel, maître de conférence en langue et littérature à Paris-VIII,président de Sauvons l'université (SLU) ; François Vatin, professeur desociologie à Paris-Ouest-Nanterre, signataire du « Manifeste pour larefondation de l'université française ».

Lemouvement de rejet de la réforme gouvernementale fédère enseignants,étudiants, personnels de l'université, comme cela a rarement été lecas. Est-ce que vous vous battez pour le statu quo ou pour une autreréforme ?

Jean-Louis Fournel.Contrairement à ce qu'ont voulu dire nos adversaires, ce mouvementn'est pas conservateur, il n'est pas favorable au statu quo. Nous avonstous demandé, depuis le début, des négociations globales parce que noussommes profondément conscients qu'il y a une crise globale del'université et que c'est de là qu'il faut partir. Quelle que soit lafaçon dont la ministre, avec une brutalité qui n'a eu d'égale que sonincapacité à dialoguer dans les mois précédents, a fait agir lesrecteurs comme des préfets en mission, ce mouvement n'est pas terminé.Ce qui est en jeu est trop important pour qu'il s'arrête.

Isabelle Bruno. Lesassemblées générales auxquelles j'ai assisté à Lille témoignent d'unedouble prise de conscience. De plus en plus de collègues sontconvaincus que nous sommes engagés dans une lutte de longue durée etque cette lutte n'est pas simplement dirigée contre le gouvernementactuel. La casse du service public d'enseignement supérieur et derecherche ne concerne pas seulement la France, mais elle s'inscrit auniveau européen, avec une implication de plus en plus forte desinstitutions communautaires (Commission, Conseil) et d'autres acteurscomme l'Association européenne de l'université, très active dans le« processus de Bologne », ou le récent G8 des universités (1). C'est àce niveau que nous devons créer un rapport de forces. Nous ne sommespas dans une bataille corporatiste pour la survie d'une institution quipersisterait dans son être, mais dans une bataille politique opposantdes projets de société.

Frédérique Bassino.L'emploi, le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche, laplace des formateurs dans notre société à travers la question dustatut, de la formation, du mode de recrutement desenseignants-chercheurs, des enseignants du primaire et du secondairesont des axes importants du mouvement. La volonté de toute lacommunauté universitaire de discuter sur l'ensemble témoigne d'uneréflexion globale. Et des idées importantes ont été réaffirmées, commele fait que le savoir n'est pas une marchandise ou comme l'attachementdu monde de l'université et de la recherche à la collégialité et à lacoopération.

François Vatin. Ilne peut y avoir de statu quo parce que c'est une chose de gagner uncombat politique contre un gouvernement qui engage des réformes qui nenous satisfont pas, c'est une autre chose de gagner un combat pratiquevis-à-vis d'un public qui, pour des raisons diverses, privilégie defaçon systématique des dispositifs sélectifs, professionnalisants,voire payants. Il ne suffit pas de dire que la qualité del'enseignement dans l'université française est bonne, ce dont je suispersuadé - encore faut-il en convaincre ce public. Lorsque, comme jel'ai vu, un chauffeur de taxi se sent obligé de payer très cher uneécole privée préparant au concours d'orthophoniste pour sa fille quivient de réussir le bac S avec mention très bien, on mesure que nousavons un défi difficile à relever. C'est ce qui me mobilise, parce quec'est par ce biais qu'on accroît l'injustice sociale.

La mise en concurrence de l'université, d'abordavec les grandes écoles, ensuite avec de multiples écolesprofessionnalisantes, notamment privées, s'est amplifiée au cours desdernières années. Le gouvernement ne cherche-t-il pas à inscrire encoredavantage l'université dans cet environnement en la privatisant parmorceaux ?

Jean-Louis Fournel.Le député rapporteur de la loi LRU, Benoist Apparu, a dit explicitementque le problème de l'université française était son insuffisanteadaptation au monde de l'économie. On voit ce qu'il a en tête. Nous nepouvons accepter qu'on impose dans le champ universitaire les critèresqui prévalent dans l'organisation du champ économique. Par ailleurs, ilne faut pas ignorer que, selon l'OMC et l'OCDE, dont les directivessont très claires sur le sujet, le savoir est un bien marchand comme unautre. Quant aux grandes écoles, la question est un peu différente.Elles sont une particularité française, des lieux où se formeintégralement le groupe dirigeant de l'État et de l'économie, mais où,sauf exception, on fait peu de recherche scientifique. Le paradoxe,c'est qu'on demande à l'université d'être le lieu de production de larecherche, mais on organise le « siphonnage » des meilleurs étudiantsvers les grandes écoles. Aucun gouvernement, de droite comme de gauche,n'a su traiter ce problème.

Frédérique Bassino.Il est peu fair-play de mettre en parallèle les résultats desuniversités avec ceux des grandes écoles où on a dirigé les meilleursétudiants en leur donnant de surcroît deux fois plus de moyens. Danstous les cas, quelles que soient les comparaisons, lé est le parentpauvre de l'enseignement supérieur.

François Vatin. Ilne faut pas trop se fixer sur le cas des grandes écoles. C'est l'arbrequi cache la forêt. On invoque souvent ces fleurons historiques del'enseignement supérieur français pour dire qu'il ne faut pas casser cequi marche. Mais, derrière les grandes écoles, s'est développé tout unenseignement supérieur privé, très mal connu et parfois d'une grandemédiocrité. La transformation imposée à l'université dans le cadre desréformes en cours est sans doute inquiétante. Mais ce processus decontournement de l'institution universitaire l'est à mon sens plusencore, tant pour la qualité de l'enseignement supérieur que pourl'équité sociale dans l'accès aux formations.

Isabelle Bruno. Iln'y a pas encore de privatisation à proprement parler. En revanche, ily a la volonté, beaucoup plus insidieuse, d'une part, de conformerl'administration des universités à la gestion des entreprises, souscette forme qu'on appelle « la gouvernance » (on retrouve cela pourl'hôpital) et, d'autre part, d'associer des acteurs économiques, despatrons, notamment le MEDEF, aux instances dirigeantes, aux conseilsd'administration des universités pour y insuffler l'esprit d'entreprise.

Frédérique Bassino.Avec le désengagement de l'État et le transfert des charges auxuniversités, on peut s'attendre à ce que les appels à des fonds privésse multiplient. À brève échéance, l'augmentation des fraisd'inscription et la mise en place de prêts étudiants pour financer lesétudes risquent de devenir d'une brûlante actualité.

François Vatin. Laprivatisation et ce qu'on pourrait appeler la « désacadémisation » del'enseignement supérieur sont déjà là. Prenons le cas de l'enseignementscientifique. Seuls 15 % des bacheliers scientifiques poursuivent leursétudes en sciences à l'université. Les autres se répartissent entre lesclasses préparatoires aux grandes écoles (de plus en plus souventouvertes dans des établissements privés), la première année de médecine(sachant qu'aujourd'hui, pour réussir le concours, beaucoups'inscrivent aussi, parallèlement, dans un établissement privé), etenfin les IUT, qui sont publics, mais aussi les classes de BTS,ouvertes également, le plus souvent, dans des lycées privés. Autrementdit, il ne suffit pas de défendre les valeurs de l'université pour ceuxqui sont en son sein ; il faut se poser la question de la place del'université dans l'ensemble de l'enseignement postbac en France, enprenant conscience qu'elle est en train d'être marginalisée.

Le gouvernement, se référant aussi auclassement de Shanghai, invoque un problème de compétitivité et prônela mise en concurrence des universités…

Isabelle Bruno. Legouvernement français n'a rien inventé. Il reprend une croyancelargement partagée par tous les adeptes du néolibéralisme, ou plutôt dece qu'on appelle « la nouvelle gestion publique », à savoir qu'on nedevient compétitif qu'en étant soumis à la concurrence. Dès lors qu'onassigne aux universités un objectif de compétitivité (aussi absurdesoit-il), elles doivent prouver leur capacité à survivre dans unecompétition internationale objectivée dans les palmarès. Il leur fautnotamment se plier aux critères de classement retenus pour se hisserdans le peloton de tête. C'est ce raisonnement qui sous-tend lapolitique des pôles (pôles de compétitivité, pôles de recherche etd'enseignement supérieur, mais aussi pôles hospitaliers), suivant unelogique industrielle de fusion, de taille critique et d'attractivitéinternationale. L'« université compétitive » doit être visible dansl'espace mondialisé et se distinguer par ses performances, pour attirerdes capitaux à la fois financiers (à travers des fondations et desfrais d'inscription en hausse) et « humains » (les meilleurs cerveaux :prix Nobel, enseignants-chercheurs « publiants », « bons » étudiants« vite sortis »). Ce réaménagement inégalitaire du territoire répondaux prescriptions de l'OCDE et se retrouve chez nos voisins européens.Les politiques éducatives et scientifiques sont donc alignées sur lespolitiques d'entreprise et d'innovation, dans l'objectif de bâtir un« marché de la connaissance ».

Jean-Louis Fournel.Je suis tout à fait d'accord avec cette analyse. Quant au fameuxclassement de Shanghai, on oublie toujours de rappeler qu'il a été faitpour faciliter le choix par les étudiants chinois de l'universitéétrangère où poursuivre leurs études. Il défavorise les scienceshumaines et sociales, les lettres par rapport aux sciences. Il estfondé sur une conception de l'évaluation purement quantitative quipénalise les coopérations. Albert Fert explique que, faisant partied'une unité mixte avec le CNRS, son prix Nobel rapporte, selon lescritères de Shanghai, deux fois moins de points à l'université. Onpourrait multiplier les effets pervers de ce type de classement, parlerdes universités américaines qui « achètent » des prix Nobel pourremonter de quelques places dans le classement, rappeler aussi que nesont, pour l'essentiel, prises en compte que les recherches rédigées enanglais.

Frédérique Bassino.Le rôle de l'université est aussi de transmettre des savoirs. Commentmesurer la compétitivité d'une université qui, tout en recrutant dansun milieu relativement défavorisé, forme ses étudiants à un niveau quileur permet une insertion dans le monde du travail ? Nos dirigeantsdevraient réfléchir aussi à l'expérience de l'école mathématiquefrançaise, une des plus prestigieuses au monde puisqu'elle compte denombreuses médailles Fields, l'équivalent du prix Nobel pour cettediscipline. Dans le journal du CNRS, le directeur scientifique pour lesmathématiques explique que cette école française est fondée sur unepolitique de réseau, d'irrigation de l'ensemble des laboratoires dupays. Tout le contraire de la mise en concurrence.

Isabelle Bruno. Lacompétitivité appliquée aux activités éducatives et scientifiques estun non-sens dès lors qu'on considère que la fonction sociale del'université est de former des citoyens, d'émanciper les individus despouvoirs économiques et politiques. Il ne faut pas s'attaquer auxcritères des classements mais à leur raison d'être.

François Vatin.Mais nous risquons de défendre l'esprit universitaire pour une fractionde plus en plus faible du public qui, de surcroît, se retrouve là pardéfaut. Notre débat tourne autour de l'université, alors qu'il devraittourner autour du service public d'enseignement supérieur en France.C'est la raison pour laquelle, dans le premier point de l'appel quenous avons lancé (2), nous préconisons la création d'un véritableministère de l'enseignement supérieur qui ait la tutelle sur l'ensembledu dispositif. Nous n'allons pas faire disparaître de but en blanc toutce qui s'est constitué au fil des ans. Il faut en prendre acte mais enfinir avec un ministère de l'Enseignement supérieur qui n'a que latutelle des universités stricto sensu. En France, pour s'installercomme boucher, il faut un CAP, mais pour monter une boîte privéed'enseignement supérieur, rien n'est exigé. Nous sommes face à uneprivatisation rampante, cachée et anarchique de l'enseignementsupérieur.

Frédérique Bassino.Quand on parle de l'attractivité des universités, la question desmoyens n'est pas qu'une clause de style. L'enseignement supérieur doit,à l'heure actuelle, faire face à un afflux de nouveaux bacheliers et cepublic n'est pas le même qu'il y a quarante ans. Par contre, classespréparatoires, filières d'IUT, sections de techniciens supérieurs ouécoles privées (pas forcément de bonne qualité, en effet) ont encommun, pas tant le côté sélectif, que le fait que ce sont des petitesstructures où les étudiants sont très suivis, où ils sont pendant denombreuses heures en présence du personnel enseignant. Cette assurancede bénéficier d'un encadrement important compte pour beaucoup dans leschoix d'orientation. De ce point de vue, on ne peut pas se satisfairedu fonctionnement actuel des licences universitaires, elles ne sont pasattrayantes. Donc, je reviens à l'idée que la question des moyens, enparticulier du nombre d'enseignants qualifiés, ayant du recul, desidées, faisant de la recherche, est fondamentale. Cela ne réglera pastout, mais c'est une des conditions essentielles de lutte contrel'échec scolaire et pour que des projets innovateurs, adaptés à despublics qui auparavant n'accédaient pas à l'université, puissent êtremis en place.

Isabelle Bruno. Àécouter François Vatin, on a l'impression que le problème desuniversités est la perte d'effectifs, alors que notre cheval debataille - la revendication, face aux 900 postes supprimés, d'un planpluriannuel de création d'emplois - tient plutôt au sureffectifd'étudiants, entraînant un sous-encadrement pédagogique. L'enjeu estbien de leur offrir de meilleures conditions d'études. Or, celles-cidépendent étroitement des conditions de travail des personnelsuniversitaires qui s'avèrent de plus en plus précaires.

François Vatin. Leministère annonce une réduction des effectifs universitaires pourl'année prochaine comme une conséquence des grèves. C'est une opérationde communication. Mais il ne prend pas beaucoup de risques parce que lemouvement de réduction des effectifs est une réalité qu'il ne faut pasnier, qui fait partie du problème. Nous avons connu une expansionexponentielle jusqu'au milieu des années 1990 ; ensuite, les effectifsse sont stabilisés, alors que, parallèlement, les formationsextra-universitaires n'ont cessé de croître. Ainsi, le tauxd'inscription à l'université des bacheliers sortant du bac a baissé de10 % entre 1997 et 2007, passant de 45 % à 35 % des effectifs.

Jean-Louis Fournel.Je partage une partie du diagnostic, mais la question du nombre depersonnes qui s'inscrivent à l'université, même si elle est loin d'êtresecondaire, n'est peut-être pas le bon levier pour notre réflexion carles formes de causalité pour en rendre compte sont multiples. Il fautdonc se garder d'avoir un discours catastrophiste et décliniste enliant des choses qui ne sont pas nécessairement liées. D'autant qu'ilfaudrait cesser d'avoir, dans ce pays, des politiques éducatives enaccordéon. Le mini-baby-boum que connaît le France depuis 1998 va nousmener, d'ici dix à quinze ans, de nouveau, à des années d'augmentationconsidérable du nombre d'étudiants potentiels. Il est extrêmementimportant de se projeter vers l'avenir, de se demander de quel typed'université a besoin notre société.

Frédérique Bassino.Nous ne devons pas occulter les conséquences de l'évolution du marchéde l'emploi. Dans les années 1970, on allait à l'université pour secultiver, en sachant qu'on pouvait s'arrêter à n'importe quel moment ettrouver du travail. 1990 a marqué la progression du chômage chez lescadres, donc, en particulier, chez les diplômés de l'université. Dansces conditions, les filières à caractère professionnalisant - écolesd'infirmières, pharmacie, médecine - attirent davantage que lesfilières longues, qui donnent une formation générale et dont l'emploide sortie est moins clairement identifié. Autre remarque :l'effondrement du nombre de bacheliers scientifiques qui poursuiventleurs études dans cette direction. Le phénomène est général et neconcerne pas seulement l'université. De nombreux élèves des grandesécoles d'ingénieurs choisissent des carrières dans le domaine ducommerce et de la finance.

Si certaines de vos appréciations divergent, nepeut-on dégager des points de convergence dans l'état des lieux quevous dressez ?

François Vatin.Ilfaut être bien clair sur le diagnostic. Je suis tout à fait d'accordsur la nécessité d'en finir avec les politiques de recrutement enaccordéon. Il n'empêche que la fraction de la tranche d'âge desdix-huit à vingt-cinq ans qui suivent une formation supérieure continueà augmenter. Autrement dit, ce n'est pas cette question démographiqueglobale qui explique la chute des effectifs de l'université, mais lasélection négative qu'elle subit de la part des étudiants et de leurfamille. Il faut bien mesurer que c'est un drame pour l'université. Lessecteurs universitaires qui s'en sortent le mieux sont en effet ceux àcaractère professionnalisant, mais, plus que cela, ce sont ceux quidisposent d'un monopole professionnel : médecine, pharmacie, d'uncôté ; droit, de l'autre. Nos collègues juristes ont eu très peur, il ya quelques années, quand on a donné le droit à Sciences-Po de préparerau concours du barreau (3). Nous connaissons cette situation depuislongtemps dans les sciences et les sciences humaines, car, sauf enpsychologie, nous ne disposons de monopole sur aucun espaceprofessionnel. Il en est de même en sciences.

Frédérique Bassino.Il y a la baisse des effectifs, mais une des raisons pour lesquellesles premiers cycles ne sont pas attrayants, c'est le taux d'échec, unproblème complexe dont la solution passe à l'évidence parl'augmentation du taux d'encadrement. Envisager les problèmes del'université en lien avec l'ensemble de l'enseignement supérieur,d'accord. Mais je ne vois pas en quoi cela répondra au problème concretde l'échec scolaire. Nous avons longtemps été mis sur la défensive surla question des moyens. On ne pourra plus éviter de la mettre sur latable.

Jean-Louis Fournel.Dans la logique qui nous est imposée aujourd'hui, laprofessionnalisation est réduite à l'employabilité immédiate. Or,l'université a le devoir de ne pas raisonner uniquement sur le courtterme. Nous avons été trop timides, nous avons accepté le discours degens qui n'ont qu'un rapport extrêmement labile avec la traditionuniversitaire, qui raisonnent à partir du champ de l'économie. Nousavons accepté de rendre dicibles des positions qui ne l'étaient pas enFrance il y a vingt ans, comme le mépris exprimé aujourd'hui par nosgouvernants pour tout un pan de la culture universitaire. Ceci n'estpas un épiphénomène, c'est la traduction d'une bataille culturelle.Nous devons en tenir compte pour, tous ensemble, ne plus être sur ladéfensive et élaborer des propositions pour une université qui retrouvele sens de ses valeurs.

Isabelle Bruno. Leconstat établi par François Vatin est incontestable, mais je necomprends pas très bien la relation de cause à effet qu'il en dégage.Depuis 1984, le nombre d'étudiants a presque été multiplié par 4 (onest passé d'environ 650 000 à 2,5 millions), alors que le personneluniversitaire n'a augmenté que de 30 %. Cela explique en grande partiel'orientation d'un grand nombre d'étudiants vers des filières où ilspeuvent effectivement bénéficier d'un suivi plus étroit. Et si onobserve aujourd'hui un fort taux d'échec en licence à l'université, laprincipale cause en est le sous-encadrement pédagogique, avec destravaux dirigés à 30-35 étudiants et des amphis à 600. C'est le sens denotre mobilisation : refuser de gérer la pénurie de moyens ! Il fautrappeler que 600 millions d'euros de crédit d'impôt recherche sontofferts aux entreprises, alors qu'avec seulement 1,5 % de cette somme,on aurait pu créer 1 000 postes dans les universités.

François Vatin. Neconfondons pas la période qui va jusqu'au milieu des années 1990, quiest marquée par une croissance exponentielle des effectifs dansl'université, et celle qui suit, qui est au contraire caractérisée parleur réduction dans la plupart des secteurs, médecine, pharmacie etdroit exceptés. Réduction qui s'est accélérée au cours de ces dernièresannées. Sans doute la question des moyens est importante et lasous-dotation de l'université française est un scandale historique quenous avons malheureusement longtemps toléré. Mais, paradoxalement, lacrise survient alors que l'évolution des effectifs étudiants est à labaisse. Il faut probablement poser le problème autrement, notamment ense penchant sur la répartition globale des moyens publics nationaux,mais aussi régionaux, voire locaux, entre les universités et les autresformations d'enseignement supérieur. J'aimerais que l'on en discute, enparticulier au niveau des régions. Compte tenu de la multiplication desécoles privées, il faut aussi que l'on discute globalement de laparticipation des familles au coût de l'enseignement supérieur, et passeulement de la question des droits d'inscription.

Jean-Louis Fournel.Nous sommes d'accord sur une bonne partie du diagnostic. « Sauvonsl'université » est née du refus de la paupérisation mais aussi du refusde la concentration du pouvoir dans un petit nombre de mains, notammentcelles des présidents d'université. Or, il est apparu que le problèmeallait se poser aussi dans le secondaire, avec les nouvellesprérogatives envisagées pour les principaux de collège et lesproviseurs de lycée, et dans le primaire, à travers la création desétablissements publics d'enseignement primaire. L'objectif étant dedonner aux chefs d'établissement la possibilité d'embaucher sanslimites du personnel contractuel, donc précaire, et d'octroyer à desconseils d'administration composés pour partie de représentants dumonde économique et politique, une autonomie de gestion partielle.Cette perspective est une catastrophe absolue pour le niveau deformation des enfants de ce pays, de la maternelle à l'université. Cequi est en train d'être mis en place a un caractère global et une trèsgrande cohérence. Nous devons en tenir compte

Quelles pistes de réflexion et d'action voyez-vous pour la prochaine période ?

Jean-Louis Fournel.Ce mouvement dure depuis quatre mois, il est totalement inédit. Quelsque soient par ailleurs les résultats revendicatifs, il a un acquis,c'est le fait que notre communauté a recommencé à se penser commeacteur possible de sa propre transformation. Elle n'est plus dans lalogique, dominante depuis quinze ans, d'une forme de passivité face auxréformes qui nous étaient imposées en rafales tous les deux ou troisans. C'est extrêmement positif, et cela permet de repenser les chosesde façon plus efficace, parce qu'au-delà de l'analyse idéologique quel'on peut faire, le problème fondamental, c'est qu'on ne réforme pasl'université contre la communauté universitaire. Mme Pécresse va partirsans doute vers d'autres horizons, mais l'université reste en place, etil faudra bien trouver des solutions.

Isabelle Bruno.Cette réflexion a tout à gagner à prendre une envergure européenne. Cesera le cas, en particulier, ce samedi le 30 mai, au « 104 » rued'Aubervilliers, au cours d'une journée de rencontres européennesorganisée par le collectif Printemps 2010, qui réunit une quinzained'organisations syndicales et associatives. Autour du thème « Pour uneautre Europe du savoir », des enseignants-chercheurs britanniques,allemands, italiens ou grecs viendront témoigner de leurs situations etde leurs mobilisations nationales. L'idée est de susciter un débatcitoyen sur l'avenir que nous souhaitons pour l'enseignement supérieuret la recherche en Europe, d'échanger des expériences militantes et depréparer un contre-sommet européen en mars 2010, pour faire entendrenotre voix sur la scène européenne, voire internationale.

Frédérique Bassino.Cette dimension européenne est l'une des nouveautés très importantes deces mobilisations dans l'université. Elle avait déjà commencé à prendreforme dans la préparation du contre-sommet de Louvain et du sommet deTurin. Des liens se sont créés et nous avons pu mesurer que lesquestions qui sont posées en France le sont aussi dans les autres payseuropéens. Plusieurs d'entre eux connaissent des mobilisationsétudiantes et universitaires. Je pense notamment à la Grèce et àl'Italie. Nous avons aujourd'hui besoin de faire vivre une concertationentre les différents mouvements pour gagner sur des questions de fondcomme celle de l'université.

François Vatin. Lafaçon dont la communauté universitaire, pour la première fois, s'estprise en main, a essayé de réfléchir à la situation des universitésfrançaises est très significative. L'appel que nous avons lancé avecnotre « Manifeste » s'inscrit dans cet esprit. On a beaucoup reprochéaux universitaires d'être dans une attitude négative. Nous avons relevéle défi, en réunissant autour d'une table des personnes d'horizonsidéologiques extrêmement divers, avec des opinions différentes, ycompris sur la loi LRU. On s'est aperçus alors qu'il était possibled'arriver à un diagnostic commun et à quelques propositions que nousavons lancées dans le débat public. Sans doute avons-nous une batailleà mener contre une certaine idéologie anti-académique, développée avecun cynisme étonnant par le pouvoir politique national actuel, mais ilnous faut aussi gagner plus généralement une bataille de l'opinion pourfaire valoir la signification des études universitaires. Il faut tenirles deux bouts entre valeurs académiques et demande d'accès à l'emploi.Pour cela, je prendrai le problème dans l'autre sens. Quel type deformation souhaitons-nous, en France, pour ceux qui sont amenés àoccuper des fonctions d'encadrement de tous types ? Et il me semble quenous pourrions nous mettre d'accord sur la nécessité de disposer d'unevéritable politique de l'enseignement supérieur en France, ce que nousn'avons pas.

Isabelle Bruno. Sion se réfère au rapport d'étape de la révision générale des politiquespubliques, il y a bien des lignes directrices et un tableau de bordavec des objectifs édictés clairement par le ministère del'Enseignement supérieur et de la Recherche. C'est une façongestionnaire de « piloter » les universités, mais cela reste unepolitique publique. Il nous faut donc résister à ce mode managérial degouvernement qui informe le contenu des politiques néolibérales.

François Vatin.Elle ne porte pas sur la totalité de l'enseignement supérieur. Et, parexemple, sur une labellisation des établissements qui délivrent desdiplômes ou sur la qualification qu'on peut exiger de personnes quireçoivent des étudiants après le bac.

Jean-Louis Fournel.Si elle ne porte pas là dessus, c'est parce qu'elle ne le veut pas. Etil faut bien dire que cette politique est celle qui est préconisée parl'OCDE depuis vingt ans, qu'elle est explicitée dans les textes del'OMC. À cet égard, il est terrible que la question universitaire soittotalement absente de la campagne des élections européennes. C'est laraison pour laquelle, pour apporter sa contribution à ce débat capitalsur l'université dans l'Union européenne, SLU a décidé de rendre publicun texte d'interpellation circonstancié, adressé aux citoyens, auxpartis politiques et aux candidats aux élections européennes. (4)

Frédérique Bassino.Parmi les divers maux dont souffre l'université, il y a l'insuffisancede moyens. Une véritable politique d'enseignement supérieur passe aussipar donner à l'université les moyens dont elle a besoin pour accomplirsa mission.

(1) Le processus de Bologne vise à créer un espaceeuropéen de l'enseignement supérieur d'ici à 2010. Il a débuté en 1999avec la signature de la déclaration de Bologne. Le G8 des universités aréuni à Turin, les 18 et 19 mai 2009, des responsables d'université de18 pays.

(2) Le « Manifeste pour la refondation del'université française » a recueilli 4 888 signatures depuis le 13 mai.petitions @ alter.eu.org

(3) Ce concours donne le droit d'exercer la profession d'avocat.

(4) En accès libre sur le site de Mediapart :http://www.mediapart.fr/club/edition/observatoire-des-reformes-des-systemes-de-formation-enseignement-et-recherche/article-89>

Table ronde réalisée par Jacqueline Sellem