Essai
Nouvelle parution
A. Matei, Les derniers jours dans la vie la littérature [Ultimele zile din viaţa literaturii]

A. Matei, Les derniers jours dans la vie la littérature [Ultimele zile din viaţa literaturii]

Publié le par Marielle Macé (Source : Gabriela Iliuta)

 Alexandru Matei, Ultimele zile din viaţa literaturii (Les derniers jours dans la vie la littérature)

 

Éd. Cartea Românească 

Collection "Noua critica. Istorie literara", roumain , 2008

EAN: 9789732319451 

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Une lecture de l'ouvrage par Gabriela Iliuta, Université Spiru Haret, Bucarest, Roumanie:

Voici un ouvrage littéraire critique original écrit par un par de plus jeunes théoriciens de la littérature moderne et postmoderne. Alexandru Matei est incontestablement l'un de plus grands spécialistes de l'histoire littéraire, fin connaisseur de la postmodernité et des littératures européennes, française et anglo-saxone.

 

Le livre est écrit dans un style qui se veut philosophique. « J'y ai beaucoup pensé », ainsi débute le premier paragraphe et la première ligne de l'ouvrage. Le lecteur est déjà captivé. L'auteur serait-il tout simplement postmoderniste, comme les écrivains dont il traite ? Ou bien, comme Beigbeder qu'il analyse, un écrivain qui connaît bien ses lecteurs et qui sachant pratiquer le marketing de ses écrits, s'est-il approprié ses stratégies ? Une chose est sûre : Alexandru Matei est plus naturel que Beigbeder : « La littérature moderne a commencé par résonner avec le sublime, elle a connu ensuite l'absurde pour se fixer plus tard entre cynisme, cruauté et humour, au milieu de la sensibilité d'avant-garde » (342).

            J'ai toujours pensé que le critique ressemble à un oiseau qui ne peut pas voler les ailes coupées. Tout critique espère qu'un jour pourra écrire comme les sujets de sa critique. Il n'en va pas ainsi avec Alexandru Matei qui écrit un écrivain incontestable et unique. Dan son livre, l'auteur joue avec les métaphores : « …les romans français ne sont pas longs. Ils ne sont pas longs parce que l'Histoire a subi un infarctus, la mémoire peut au plus la parasiter, en se nourrissant de ce qu'elle, à l'improviste et de manière capricieuse, en exhume parfois comme dans un spectacle absurde » (332). Dans un moment de sincérité extrême, il dévoile sa profession de foi : « On écrit pour vivre, on écrit pour ne craindre plus, mais on écrit surtout pour être, pour savoir qu'on est » (184).

            Curieusement, dans l'ouvrage d'Alexandru Matei, le non respect des canons assure l'originalité de l'oeuvre et de ses propos. L'auteur écrit avec la passion et le talent qui le distinguent. Spécialiste du postmodernisme, Alexandru Matei fait dans ce livre la critique du « postmodernisme » français : choix difficile certes quand on est l'initiateur, en Roumanie, d'un si vaste et compliqué courant littéraire. En le situant dans une perspective sociologique, Alexandru Matei explique : « Pourquoi était-elle nécessaire une nouvelle littérature, tapageuse, glamoureuse tandis qu'il y avait une multitude de types de littérature personnelle de la confession, en passant par l'essai, au roman ? C'est justement pour devenir “audible au moins pour soi” dans une multitude proliférante de voix, à l'époque où, selon Sloterdijk, “l'individu est masse” » (191).

            Fin connaisseur de la géocritique et de la géographie de l'espace, Alexandru Matei étudie le problème de la dénomination qu'il convient de donner à notre époque culturelle – hiper-  ou ultra- ou surmodernité (France) dans le second chapitre intitulé La postmodernité littéraire française, en mettant l'accent sur le discours culturel et l'identité spatio-temporelle. Le critique littéraire songe avec nostalgie et regret à la littérature classique : « je pense qu'on peut parler de la littérature d'une façon nostalgique » (44).

            Mais quels sont les dieux consacrés de cette littérature tellement contestée ? Alexandru Matei classifie les productions littéraires du postmodernisme français en : littérature engagée, naturalisme, autofiction, libertinage, trash, chicklit français, en s'arrêtant plus ou moins sur des écrivains tels Michel Houellebecq, Frédéric Beigbeder, Régis Jauffret, Marie Darrieussecq, Christine Angot, Anne F. Garréta, Virginie Despentes, Camille Laurens, Emmanuelle Bayamack-Tam, Lorette Nobécourt, Amélie Nothomb, Anna Gavalda et d'autres.

Mais avant de les présenter, l'auteur nous informe avec précaution, en reprenant les mots de Peter Sloterdijk « nous sommes en pleine époque de l'être qui veut vivre seul » que « le lecteur est invité à descendre dans le corps de la littérature par un écrivain-chirurgien » (45). Le lecteur doit s'armer de ces précautions afin de ne pas risquer l'incompréhension. L'auteur a pourtant raison : même si le livre ne correspond pas à son goût, il lui reconnaît des mérites en donnant au lecteur la dernière option. « …Si l'homme croyait auparavant que le monde méritait d'être représenté par Balzac, de nos jours l'homme croit que c'est Beigbeder que le monde mérite » (160). L'auteur semble être en embarras vis-à-vis de son lectorat : doit-il écrire pour l'homme moderne qui choisit l'espace virtuel pour vivre ou pour l'homme moderne qui vit comme dans un espace virtuel ? En tout cas, une vérité s'impose : les lecteurs ne cherchent plus l'écrivain, c'est l'écrivain qui doit les chercher plus que jamais : « Le monde ne tient pas compte de la littérature, c'est la littérature qui se cramponne au monde », écrit Alexandru Matei  (379).

Alexandru Matei remarque que la souffrance de l'homme ne descend plus dans la rue comme chez Zola, ses crises ne se passent plus au grand jour, et elles se répercutent modestement vers les lieux domestiques, dans la maison, l'appartement, la chambre : les écrivains se replient beaucoup sur eux-mêmes. Que « le quotidien est le sauveur de l'homme quotidien aliéné » (306), toute une littérature aux éditions Les Minuit le démontre : les miroirs d'Echenoz, la télévision de Toussaint, la mouche d'Oster ne sont que quelques exemples.

À propos des romans d'Amélie Nothomb par exemple, Alexandru Matei écrit : « Ses romans sont biographistes,  auto-ironiques, pleins de goût, qualité qui présente assez d'inconvénients, car un beau livre peut ennuyer s'il ne provoque pas son beauté en duel, en la tuant » (242). Une question parmi d'autres que l'auteur soulève est si la fonction de catharsis de ce type de littérature est plus forte que celle d' “entertainment”. Se voulant objectif, l'auteur fait dire à Jean Echnoz, son auteur favori, la sentence suivante : « l'écrivain sera dorénavant payé à divertir, à côté des acteurs et musiciens, tel comme il était avant le XIXème siècle. Si cela ne lui plaît pas, qu'il disparaisse ! » (356)

            Par ailleurs, Alexandru Matei soutient que tous les lecteurs d'aujourd'hui doivent savoir qu' « il n'y a pas bon auteur qui ne soit pas tant soit peut postmoderne, à savoir actuel. Parce que le présent signifie aujourd'hui en littérature une nouvelle configuration du passé, un ordre différent imprimé aux mêmes pièces et la confiance dans la génération du sens pas autant par les pièces en soi, mais par l'ordre de leur assemblage » (224).

            Le titre de l'ouvrage est révélateur. N'y va-t-il pas de raisons publicitaires ? Ou bien parce que l'auteur lui-même se pose-t-il autant de questions qui les pose à son tour à ses contemporains ? Malgré l'effritement du caractère national de la littérature, sa retraite dans des livres-gadget, son prononcé de caractère oral, les glas de la littérature n'ont pas encore sonné. Elle a toujours eu des moments de perte, d'égarement, elle a été parfois malade – c'est là même où elle puise sa force, mais notre espoir est qu'elle survivra toujours pour le plus grand plaisir de nos émotions. Voici un ouvrage critique sur la littérature moderne et postmoderne à ne pas rater. Une véritable invitation à la lecture autant qu'une invitation de réflexion philosophique.