Collectif
Nouvelle parution
A. Laserra et alii (dir.), Mémoires et Antimémoires littéraires au XXe siècle: La Première Guerre mondiale

A. Laserra et alii (dir.), Mémoires et Antimémoires littéraires au XXe siècle: La Première Guerre mondiale

Publié le par Gabriel Marcoux-Chabot (Source : Site web de la maison d'édition)

Mémoires et Antimémoires littéraires au XXe siècle: La Première Guerre mondiale. Colloque de Cerisy-la-Salle 2005

Sous la direction de Annamaria Laserra, Nicole Leclercq et Marc Quaghebeur.

Berne : Peter Lang, coll. "Documents pour l'Histoire des Francophonies", 2008.

2 vol., 426 p.
EAN 9789052014708.

RÉSUMÉ

À Garine, Malraux fait dire dans Les Conquérants : « Quels livres valent d'être écrits, hormis les Mémoires ? ». Mais toute grande fiction répond à des questions que les Mémoires ne posent pas. Malraux lui-même invente la notion d'Antimémoires pour dépasser l'impasse propre aux Mémoires. Certains enjeux, certains possibles sont seulement ceux de la littérature, même si quelques-uns d'entre eux, absents des Mémoires des grands acteurs du Conflit, affleurent aujourd'hui dans les carnets ou les correspondances des soldats de 1914.
Avec la fin du « court XXe siècle » qu'elle a produit, la Première Guerre mondiale a refait surface dans les fictions, domaine qu'elle avait largement irrigué dans les décennies qui avaient suivi l'Armistice. Elle a également donné lieu à de nouvelles approches historiques. Dans ce vaste territoire que les Archives & Musée de la Littérature et l'Université de Salerne ont choisi comme première étape de leur parcours dans le XXe siècle littéraire, une attention essentielle est accordée aux corpus francophones (Antilles, Belgique, France, Suisse) et à la prise en compte, pour l'heure, des seules frontières occidentales du Conflit.
Dans le premier volume, le regard se porte sur des figures tutélaires du Tournant du Siècle confrontées à l'impensable quelques années plus tôt : Maeterlinck et Proust mais aussi Ramuz et Eekhoud, Romain Rolland et Thomas Mann. Le volume interroge ensuite des acteurs du Conflit. Barbusse bien sûr, mais aussi Céline et Giono, l'Italien Gadda ou le Portugais Cortesão. Sans oublier Victor Serge ou Jean Paulhan. Il plonge en outre dans la vie culturelle des camps de prisonniers ou dans les chansons composées pour la troupe.
Le second volume interroge différents moments de l'historiographie du conflit et aborde, à divers égards, le genre des Mémoires. Il s'attarde ensuite aux traces contemporaines de 1914 : chez Pierre Mertens, Xavier Hanotte ou Claude Simon mais aussi dans le cinéma français ou le roman britannique. Il interroge enfin, de façon transversale, deux images devenues mythiques, l'emploi des gaz et la figure de l'infirmière. Deux témoignages complètent cette entreprise.

TABLE DES MATIÈRES

Premier volume: Annamaria Laserra/Marc Quaghebeur : Préface - Sophie de Schaepdrijver : Antimémoire d'une antimémoire. Les occupations de l'écrivain belge Georges Eekhoud - Chantal Edet-Ghomari : La polémique Romain Rolland-Thomas Mann face à la guerre - Christian Lutaud : Maeterlinck, la Grande Guerre et « la puissance des morts » - Joseph Brami : La Guerre de 14-18 dans Le Temps retrouvé de Marcel Proust - Claire Basquin : Romain Rolland, écriture et réécriture(s) de la Grande Guerre - Daniel Maggetti : Ramuz, les écrivains suisses et la Grande Guerre - Grazia Tamburini : « Au seuil de la guerre ». Le Guerrier appliqué de Paulhan - Philippe Baudorre : Que nous dit Le Feu d'Henri Barbusse ? - Laurence van Ypersele : Les patriotes belges face à l'occupation allemande de 14-18 dans la littérature francophone belge - Jean-Max Guieu : « L'hydre au casque pointu, sournoisement, s'avance... ». Fanfares et fanfaronnades militaires dans les chansons de la Grande Guerre - Nicole Leclercq : De la culture dans les camps de prisonniers ? Allemagne 1914-1918 - Marc Quaghebeur : Les décalages productifs de Victor Serge durant la Grande Guerre européenne - Olaf Müller : Mémoire et littérature dans l'Épilogue de Roger Martin du Gard - Michel Beaujour : Poétique de la lâcheté dans Voyage au bout de la nuit - Agnese Silvestri : Surmonter la guerre, affaire d'hommes et de bergers. Le Grand Troupeau de Jean Giono - Raffaele Manica : Caporetto : carnets italiens - Lénia Marques : Le Portugal dans la Première Guerre mondiale selon Jaime Cortesão - Marta Kozlowska : La Belgique dans la presse et la littérature polonaises : 1914-1918

Second volume: Frédéric Rousseau : De l'inattention à la tension. Les historiens français dominants face aux témoins de la Grande Guerre - Geneviève Warland : Avatars de la « métahistoire » nationale et mise en récit de la Grande Guerre. Point de mire sur Henri Pirenne (1862-1935) et Ernest Lavisse (1842-1922) - Arnaud Blin : De la guerre totale à la paix absolue. La Grande Guerre et la naissance du pacifisme - Annamaria Laserra : Le nom de Verdun entre réalité, mythe et fiction - Jean-Louis Jeannelle : Une guerre des Mémoires - Anne Douaire : Traces et absences de la Grande Guerre aux Antilles - Bernadette Desorbay : Pardon difficile. Traces de la Guerre de 1914 dans Les Éblouissements et Une paix royale de Pierre Mertens - Maria-Clara Pellegrini : L'écho de la Grande Guerre chez Xavier Hanotte - Lambert Barthélémy : Le crêpe et la petite plaque grisâtre. Inscription de la Grande Guerre dans l'oeuvre de Claude Simon - Luc Rasson : Guerre juste, guerre absurde ? 1914-1918 dans le roman contemporain français et britannique - Caroline Eades : La Première Guerre mondiale vue par le cinéma français d'aujourd'hui - Pierre Schoentjes : L'image des gaz dans les fictions de la Grande Guerre - Ruth Amossy : L'image de l'infirmière de la Grande Guerre de 1914 à 2004. La construction de la mémoire - Arlette Albert-Birot : Les combats de Pierre Albert-Birot. Sic (1916-1919), La Guerre (huile sur toile, 1916) - Anne Clancier : Souvenirs d'une fillette née en 1913.

BIOGRAPHIE

Annamaria Laserra est professeur de Littérature française à l'Université de Salerne.
Nicole Leclercq est responsable de la section Théâtre des Archives & Musée de la Littérature (Bruxelles).
Marc Quaghebeur est professeur et directeur des Archives & Musée de la Littérature (Bruxelles).

 

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Maria Chiara Gnocchi propose aux lecteurs de Fabula cette note de lecture à propos de ce livre :

Avouons‑le : il n’arrive pas tous les jours de lire les actes d’un colloque avec un réel plaisir, de la première à la dernière page, sans que l’intérêt ne faiblisse à aucun moment — événement que rend encore moins probable la présence imposante de deux tomes de respectivement quatre cent vingt-six et trois cent trente-neuf pages, pour un total de trente-trois contributions. Les actes du colloque Mémoires et Antimémoires littéraires au xxe siècle qu’Annamaria Laserra, Nicole Leclercq et Marc Quaghebeur ont édités en 2008 sont à la hauteur de ce qu’on pourrait presque appeler un miracle. Fruit d’un colloque organisé en 2005 au Centre international de Cerisy‑la‑Salle par les Archives et Musée de la Littérature de Bruxelles et l’Université de Salerne, cet ouvrage suit, logiquement et chronologiquement, le volume Histoire, mémoire, identité dans la littérature non fictionnelle. L’exemple belge, édité par A. Laserra et publié en 2004 dans la même sous‑série de la collection «Documents pour l’Histoire des Francophonies» de Peter Lang.

Les participants au colloque Mémoires et Antimémoires — des littéraires surtout, mais aussi quelques historiens — étaient invités à examiner les retentissements de l’histoire du xxe siècle dans la littérature francophone en premier lieu, et, de manière plus ponctuelle, dans quelques autres littératures. Les éditeurs justifient ainsi le choix du titre :

[p]rovoquant une sorte de télescopage entre préoccupations d’hier et méditations d’aujourd’hui sur le sens contingent ou sur la portée philosophique — ou métaphysique — des événements […], cette traversée de la mémoire n’est pas sans rappeler la trajectoire emboîtée mais apparemment zigzagante des Antimémoires d’André Malraux. (p. 10)

En effet, la trajectoire ne semble zigzagante qu’après une lecture superficielle : l’ouvrage forme un tout bien cohérent et sa structure est transparente. Sont d’abord examinés les témoignages et les positions d’écrivains qui n’ont pas participé aux combats et qui étaient pour la plupart déjà reconnus avant la guerre, comme Romain Rolland, Georges Eekhoud, Charles‑Ferdinand Ramuz, Marcel Proust (la section s’intitule « Les géants face au désastre »). Suivent les analyses d’oeuvres écrites pendant ou après la guerre : celles d’Henri Barbusse par exemple, qui ne peuvent manquer à l’appel, mais aussi celles de Jean Paulhan, qui amorcent une manière de dire — ou de ne pas dire — la guerre, à l’opposé de celle de Barbusse. Cette deuxième section (« Des acteurs, des chantres, des témoins ») est particulièrement riche ; on y trouve des exposés sur Louis‑Ferdinand Céline, Roger Martin du Gard, Victor Serge, Jean Giono, mais aussi une « promenade musicale » à travers les chansons de la Grande Guerre. L’entre‑deux‑guerres, on le sait, fut l’âge d’or des témoignages, et la publication en 1929 de Témoins, la somme de Jean Norton Cru, déclencha une longue polémique, que cet ouvrage reprend et discute, en particulier dans la troisième section, intitulée « Rebrassages de la mémoire historique ». La quatrième section abrite les « Lointains après‑coups d’une mémoire toujours vivace », à savoir les reprises du thème ou du souvenir du conflit par des écrivains contemporains belges, français et britanniques. Les deux dernières sections sont très brèves et se composent de deux articles chacune : dans « Au fil du siècle, deux images mythiques », il est question respectivement de l’image du gaz dans les fictions de la Grande Guerre et de l’image de l’infirmière tout au long du xxe siècle ; dans « Elles se souviennent, elles racontent », c’est aux témoins féminins qu’on laisse la parole.

Il est évidemment très difficile de rendre compte d’un volume aussi dense et aussi complexe, et il serait inconcevable de présenter ici chaque contribution, même de manière sommaire. Nous nous limiterons à relever quelques « options », générales ou particulières. Une excellente idée, par exemple, est le fait d’avoir confié l’étude de tel ou tel écrivain à des historiens, comme c’est le cas de Sophie de Schaepdrijver qui analyse la trajectoire de Georges Eekhoud dans le contexte de la « démobilisation culturelle » et qui propose en définitive « l’antimémoire d’une antimémoire », c’est‑à‑dire un compte rendu approfondi et un peu à contre‑courant des positions d’un auteur qui a produit une sorte d’antimémoire de la guerre belge (Eekhoud est un peu l’anti‑Émile Verhaeren). Judicieux aussi, le choix de reprendre quelques grandes questions, objet de débats au fil des décennies, ou l’analyse d’oeuvres théoriquement (faussement) connues pour proposer une lecture nouvelle, ou une étude d’ensemble plus claire. C’est le cas de Chantal Edet‑Ghomari qui synthétise et explique de manière très claire la polémique entre Romain Rolland et Thomas Mann face à la guerre, en rappelant des concepts en opposition à l’époque du conflit comme celle entre Kultur et Zivilisation qui glisse progressivement, sous la plume de Mann, vers une opposition entre Militarismus et Zivilisation. C’est encore le cas de Philippe Baudorre, qui aborde Le Feu d’Henry Barbusse à la lumière de la Poétique des valeurs de Vincent Jouve, sans tomber dans le piège de parcourir les quelques pistes canoniques des études barbussiennes. On peut, de manière générale, apprécier l’alternance entre études d’ensemble et analyses ponctuelles. Il faut remercier Daniel Maggetti pour le cadre très lisible qu’il restitue de la situation des écrivains suisses face à la Grande Guerre, et féliciter d’autre part Marc Quaghebeur d’avoir montré comment Victor Serge sut tirer profit de la position de décalage par rapport aux événements dans laquelle il se trouva à de nombreuses reprises. L’un des effets les plus évidents de la collaboration entre littéraires et historiens est l’émergence d’approches critiques héritées de l’histoire des idées et des intellectuels, avec tout un dispositif de notions et de méthodologies qui prouvent leur extrême validité. L’article d’A. Laserra, qui aborde le nom de Verdun « entre réalité, mythe et fiction », est l’un de ceux où l’analyse littéraire, l’historiographie et l’histoire des idées se croisent de manière extrêmement féconde. Signalons, pour finir, un petit bémol : il nous semble qu’à l’harmonie qualitative des études devrait correspondre une harmonie quantitative. Alors que la plupart des contributions ne dépasse pas les vingt pages, certaines, plus riches surtout en citations, s’étendent jusqu’à trente‑cinq, voire à plus de cinquante pages. L’équilibre général de l’ouvrage en souffre un peu.

 

Si l’image de la Grande Guerre qui se dégage de ces actes est complexe, elle « ne prendra sans doute tout son sens — disent les éditeurs — qu’au moment où nous pourrons non seulement confronter cette mémoire à celle de la Seconde Guerre mondiale puis à celle des luttes de décolonisation, mais aussi à d’autres aspects de la vue du xxe siècle » (p. 14). Y aura-t-il donc une suite ? Ou même plusieurs ? Autant de bonnes nouvelles.