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Poétique des énoncés inconvenants et paradoxaux ; 4e colloque de l'Association Internationale de Stylistique (Aix-en-Provence)

Poétique des énoncés inconvenants et paradoxaux ; 4e colloque de l'Association Internationale de Stylistique (Aix-en-Provence)

Publié le par Romain Bionda (Source : Joël JULY)

E.A. 4235 CIELAM / 4e colloque international de l’Association Internationale de Stylistique

Université d'Aix-Marseille (AMU), Site Schuman, Maison de la Recherche
11-12 octobre 2018

Poétique des énoncés inconvenants et paradoxaux

(Ce que la fonction poétique fait à la pensée)

Le CIELAM, à l'instigation de son axe transversal « Stylistique et création », en partenariat avec l'AIS (Association Internationale de Stylistique) et avec le soutien du laboratoire Alithila de l'université de Lille 3 et l'URLDC de Sfax (Tunisie) propose l'organisation en octobre 2018 d'un colloque de stylistique sur les énoncés atypiques et plus particulièrement ceux qui incitent à penser, par leur provocation vis-à-vis de la logique, de la doxa ou de la morale, ou encore par une rupture avec la cohérence et la cohésion du co(n)texte. Il s'agira d'envisager si un nouveau critère de poéticité ne peut pas être élaboré en lien avec le caractère saillant et intempestif de ces énoncés inconvenants et paradoxaux.

 

Appel à communication

 

Poétique des énoncés inconvenants et paradoxaux
(Ce que la fonction poétique fait à la pensée)

Chacun garde en mémoire ces petits séismes intellectuels que provoquent une pensée débridée, spectaculairement illogique (ou antilogique ou a-logique), un mot « déplacé », ou encore l'expression d'une cruauté verbale, mémorable par sa forme, un trait de verve insolent, anticonformiste ou politiquement incorrect, une « fusée », une formule satirique, etc. À l'enseigne du choc, puissance baudelairienne, l’ouvroir des pensées potentielles fonctionne alors à plein régime. Provocations cynique, évangélique, rappeuse ou zen, maximes intempestives, punchlines, produits de l’art du paradoxe ou du koan..., le spectre est large. Et pourtant deux traits récurrents nous frappent. D’une part, l’éclat poétique et l’énergie intellectuelle de ces énoncés tiennent à la façon dont ils bousculent la rationalité ordinaire, la pensée consensuelle, dont ils attaquent soit la logique ou le bon sens (« Laisse les morts enterrer les morts1 ») soit la civilité ou la morale (« Son sommeil était, de beaucoup, ce qu’elle avait de plus profond2 »), soit les deux à la fois (« Vos lois sont immorales, ma délinquance a des principes3 »). D’autre part, ces énoncés subtils ou agressifs qui interrogent et à coup sûr relativisent l’aspiration ou la prétention au sérieux dans la pensée, ont à l’évidence un caractère poétique. Bien qu’ils n’aient pas été toujours produits au sein de l’institution littéraire, ils apparaissent comme des manifestations particulièrement exemplaires de la créativité langagière, ou encore de la poéticité, voire de la littérarité. C’est pourquoi les littéraires en général et les stylisticiens en particulier peuvent les considérer comme d’excellents candidats pour illustrer ce que l’art littéraire ou la fonction poétique « font » à la pensée, et ce que la pensée fait à la forme.

La question clé qui sous-tend ce projet de colloque de l’AIS (Association Internationale de Stylistique), que chapeaute l'équipe du CIELAM de l'université d'Aix-Marseille (AMU), engage deux notions a priori hétérogènes : le paradoxe, notion logique assez bien balisée, et l'inconvenance, qui relève du jugement de valeur, de nature morale, idéologique, réglé par la simple doxa ou induit par des effets liés au contexte de réception. La problématique comporte également deux aspects dont l’articulation est délicate : d’une part, et de manière minimale, il conviendrait de s’interroger sur les formes et les enjeux de la séduction qu’exercent ces énoncés, aux statuts et aux fonctions fort divers, qui soit sont inclus dans des textes mais détachables, soit dans des phrases sans texte au statut encore plus incertain4. Mais le plus intéressant consiste bien évidemment à se demander en quoi ces énoncés pourraient bien relancer la recherche d’une définition (que d’aucuns, bons esprits ou esprits chagrins, jugeront naturellement vaine ou impossible) de la fonction poétique, voire de la littérarité. On se souvient que Georges Molinié définissait la stylistique comme « l’étude des conditions verbales, formelles de la littérarité5 » ; mais faut-il s’en remettre à l’esthétique, à l’histoire ou à la sociologie de la littérature ou du littéraire pour savoir en quoi consiste cette vache sacrée qu’on nomme la littérarité ?

Précisons donc l’enquête. Il s’agit de réfléchir à l’apport de la paradoxologie (terme englobant, pédant mais assez commode) à la définition du type de pensée ou d’esprit que promeut une relation particulière au langage. Que le langage nous serve à penser, cela n’est guère douteux ; mais une manière spécifiquement poétique d’appréhender le langage (ce qui n’est pas la même chose que le langage poétique) n’invite-t-elle pas à penser d’une certaine manière, sous forme de paradoxes6, de provocations, en faisant appel puis bon accueil à la contradiction, à la mauvaise foi, voire à la méchanceté, à tous ces rebuts qui ont pourtant un pouvoir d’excitation et de séduction sur l’esprit ? On pourrait aborder la question de la pensée du littéraire ou du poétique à partir des genres ou des discours comme le récit, l’essai, la poésie, mais il semble plus neuf de saisir ce type de pensée à même ces cristallisations énonciatives que nous subsumons sous le terme de paradoxologie : ensemble des énoncés, atypiques, qui défient les patrons logiques et sémantiques qui nous sont familiers et en cela arrêtent la lecture, retiennent l'attention, font saillance.

Il s’agit donc de reprendre sur nouveaux frais la question de la littérarité en la déplaçant sur le terrain des idées. Cette ambition est sans doute démesurée. Jakobson avait appréhendé la fonction poétique par le biais exclusif du jeu sur le signifiant7. L’immortel slogan I like Ike est un énoncé poétique pour des raisons phonétiques ; c’est oublier un peu vite la pensée qui se cache derrière ces trois mots et invite à voter pour un type sympathique plutôt qu'honnête ou compétent. Aimer, apprécier, sont-ils les critères du « bon choix » politique ? On a ensuite tenu la métaphore et plus généralement les tropes, pour l’étalon de l’énoncé poétique : quand en 1975 Ricœur publie La Métaphore vive8, c’est en effet l’ensemble du discours poétique qui se trouve à la fois défini et aimanté par le métaphorique en tant qu’accès privilégié à l’imagination, aux mondes possibles, à la reconfiguration du réel. En raison de son ancrage historique et de sa puissante réflexion sur le langage, la rhétorique a paru être la voie d’accès royale pour cerner l’articulation de la pensée et de la littérature. Mais la séduction de l’énoncé poétique ou littéraire n’a que peu à voir avec la persuasion, tant il est vrai que l’intention manifeste de briller en déréglant nos habitudes peut au contraire fragiliser la force de conviction.

À quelles conditions l'énoncé inconvenant ou paradoxal est-il saillant, c'est-à-dire mémorisable ou détachable, appelant la sur-interprétation ? Dans quelle mesure l'énoncé inconvenant ou paradoxal réactive-t-il la vieille catégorie si contestée de l'écart ou de la séquence stylistiquement intempestive ? Telle formule ne vaut-elle que pour le locuteur auquel on peut l'attribuer, ou définit-elle un élément de sagesse ou d'« art de vivre » doté d’une valeur générale, constituant une expression éthique valide ? Est-elle une proposition sérieuse, digne de confiance, s’offrant de bonne foi à la discussion ou n'est-elle, cette phrase séduisante, qu'une ironie, un pied-de-nez, relevant de l’art de la blague supérieure ? Ou de la mauvaise foi9 ? N'est-elle, in fine, qu'une manière habile de se promouvoir soi-même, sous les espèces valorisantes du style ? Le poète de la pensée stylisée n’est-il qu’un pseudo-penseur, pour ne pas dire : un imposteur ? Cette ambiguïté n’est-elle pas constitutive du régime poétique de la pensée, qui appelle le correctif salutaire, incessant, d’une pensée vraiment critique – celle du lecteur peut-être ?

Modalités (Date limite de soumission des propositions pour le colloque : 28 février 2018) :

 

Les propositions sont à envoyer sous la forme d’un résumé de 500 mots sous format Word, accompagné d’une notice personnelle (nom, affiliation, coordonnées personnelles et professionnelles), aux adresses suivantes :

 

joel.july@univ-amu.fr

ph.jousset@gmail.com

stephane.chaudier@wanadoo.fr

 

Comité d’organisation :

Philippe Jousset (Pr AMU, vice président de l'AIS)

Joël July (Mcf AMU, président de l'AIS)

Stéphane Chaudier (Pr Lille 3, trésorier de l'AIS)

Comité scientifique :

Laurence Bougault (Université Rennes II)

Stéphane Chaudier (Université de Lille 3)

Maxime Decout (Université de Lille 3)

Karine Germoni (Université Paris 4)

Laure Himy-Piéri (Université de Caen – Basse-Normandie)

Joël July (Université d'Aix-Marseille)

Philippe Jousset (Université d'Aix-Marseille)

Michèle Monte (Université de Toulon)

Bérengère Moricheau-Airaud (Université de Pau)

Gilles Philippe (Université de Lausanne)

Laurence Rosier (Université libre de Bruxelles)

Geneviève Salvan (Université de Nice - Sophia Antopolis)

Stéphanie Thonnérieux (Université de Lyon 2)

Mathilde Thorel (Université d'Aix-Marseille)

Mustapha Trabelsi (Université de Sfax)

Sandrine Vaudrey-Luigi (Université Paris 3)

Philippe Wahl (Université Lumière Lyon 2)

Judith Wulf (Université de Nantes)

Précédents colloques de l'AIS :

  • « Questions de stylistique & stylistiques en question10 » (24-26 janvier 2008) organisé à l'université de Rennes II par l'EA LIDILE avec le soutien de l'équipe Sens, Textes, Histoire (Paris IV),

  • « Faits de langue et effets de style11 » qui a eu lieu à l’Université de Caen-Basse Normandie du 7 au 9 novembre 2011,

  • « Méthodes stylistiques. Unités et paliers de pertinence12 ? » (mars 2015) organisé par Philippe Wahl et Agnès Fontvieille à l'université Lumière Lyon 2 par Passages XX-XXI (EA 4160)/ Textes&Langue de l’Université Lumière Lyon 2 avec le soutien de l'équipe BABEL (Université de Toulon).

 

1 Matthieu, 8, 22 ou Luc 9, 60

2 Sacha Guitry, Elles et toi, Paris, Raoul Solar éditeur, 1947, p. 62. Le mot « traîne » partout sur internet.

3 Keny Arkana, rappeuse marseillaise, titre J'me barre, album Entre ciment et belle étoile, 2006.

4 Dominique Maingueneau, Les Phrases sans texte, Paris, Armand Colin, collection « U », 2012.

5 Georges Molinié, La Stylistique, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », p. 3.

6 Nous signalons la thèse de Pierre-Yves Gallard, ATER à l'Université de Saint-Étienne, « Le Style paradoxal des moralistes classiques : Montaigne, Pascal, La Rochefoucauld, La Bruyère », soutenue à Nice sous la direction d'Anna Jaubert en décembre 2016, à paraître aux Classiques Garnier dans la collection « Investigations stylistiques ».

7 Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, Paris Minuit, 1970, tome I, p. 209 et suivantes.

8 Paul Ricœur, La Métaphore vive, Paris, Le Seuil, 1975.

9 Maxime Decout, En toute mauvaise foi. Sur un paradoxe littéraire, Paris, Minuit, 2015.

10 Actes parus sous le titre : Stylistiques ?, sous la direction de Laurence Bougault et Judith Wulf, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2010, 504 p.

11 Actes parus sous le titre : Le Style, découpeur de réel. Faits de langue, effets de style, sous la direction de Laure Himy-Piéri, Jean-François Castille et Laurence Bougault, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2014, 446 p.

12 Actes à paraître en juin 2018, aux PUL, sous la direction de Philippe Wahl, Michèle Monte et Stéphanie Thonnérieux.