Acta fabula
ISSN 2115-8037

2015
Novembre 2015 (volume 16, numéro 7)
titre article
Slaven Waelti

L’Affaire des Quatorze ou la genèse de l’opinion publique de l’esprit des chansons

Robert Darnton, L’Affaire des Quatorze. Police et réseaux de communication à Paris au xviiie siècle, Paris : Gallimard, coll. « NRf Essais », 2014, 240 p., EAN 9782070145249.

1Après Bohème littéraire et révolution, Édition et sédition ou encore L’Aventure de l’Encyclopédie, on s’était habitué à voir en Robert Darnton un brillant historien du livre au temps des Lumières. À se limiter à l’écrit ne risque-t-on cependant pas, pour une société encore largement analphabète, de passer à côté des principaux canaux d’échange et de traitement de l’information ? Un livre ne stocke pas des voix, mais des idées ; il ne stocke pas des sons, mais des partitions ; en un mot, il ne stocke pas de l’oralité, mais uniquement ce qui a passé par « le goulet d’étranglement du signifiant1 ». D’où le défi que se lance R. Darnton dans L’Affaire des Quatorze. Police et réseaux de communication à Paris au xviiie siècle(Gallimard, 2014) de « combler en partie [le] vide » (p. 8) laissé par l’oralité dans l’histoire de la communication au xviiie siècle. Car qu’on le veuille ou non, notre modernité n’a pas inventé la société de l’information, elle en a seulement transformé les médias. Là où aujourd’hui on parle « sms, tweets, téléchargements […] ou simples conversations téléphoniques », la population de l’Ancien Régime déclamait ou chantait des poèmes qu’elle « connaissait par cœur » (p. 9), et qui renvoyaient souvent aux « événements du moment », constituant « un commentaire suivi des affaires publiques » (p. 10).

2Cette oralité, nous n’avons guère aujourd’hui que deux moyens de l’approcher : soit partir des partitions et autres chansonniers auxquels une chanteuse prêtera sa voix le temps d’un enregistrement disponible sur internet (http://www.hup.harvard.edu/features/poetry-and-the-police/) ; soit se mettre en quête des traces de cette oralité partout où elle aurait pu être saisie sur le vif, documentée, avérée. C’est ici que L’Affaire des Quatorze apparaît comme une enquête historique au sens à la fois scientifique et policier du terme — que le lecteur découvrira avec autant de plaisir que l’auteur semble en avoir pris à l’écrire — car R. Darnton se fonde, comme il le dit lui-même, sur des matériaux qui « proviennent de l’opération de police la plus approfondie [qu’il ait] rencontrée dans [ses] propres recherches » (p. 8).

3De quoi s’agit-il ? Qu’appelle-t-on l’« Affaire des Quatorze » ? C’est ici que débute l’enquête à proprement parler :

Au printemps de 1749, le lieutenant général de police à Paris, Nicolas René Berryer, reçut l’ordre de capturer l’auteur d’une ode qui commençait par « Monstre dont la noire furie ». (p. 13)

4Et le monstre en question n’était autre que Louis XV, vraisemblablement pris à parti par des partisans de Maurepas, démis et exilé en avril. Il y a donc quelque chose d’un « crime de lèse-majesté » (ibid.) dans les vers incriminés, qui réclament de la police l’activation de ses réseaux de mouches et d’informateurs pour remonter à leur source. C’est de cette enquête que R. Darnton a retrouvé les protocoles — dates, montant des rémunérations aux « indics », lieux, etc. — conduisant à une première arrestation, celle de l’étudiant en médecine François Bonis. À partir de là tout s’enchaîne, et R. Darnton suit les limiers de l’Ancien Régime qui, d’interrogatoires en confessions, purent retracer jusqu’à quatorze étapes dans la circulation du poème en question, arrêtant au passage les intéressés : prêtres, juristes, diacres, clercs, abbés et étudiants, avant que la piste ne se perde. Remarquable travail note R. Darnton qui, à partir de ces quatorze infortunés amateurs de vers, va déployer son questionnement : a) sur les réseaux de communication à Paris ; b) sur les rapports entre la cour et la ville dans le traitement de l’information ; c) sur les systèmes de propagations de rumeurs à des fins politiques ; d) sur les différents types de poèmes et chansons qui commentaient l’actualité ; e) et, en dernier lieu, sur la formation de l’opinion publique au xviiie siècle, que l’historien va suivre « par les rues de Paris » (p. 19), plutôt que tenter de la définir à la manière d’un Foucault2 ou d’un Habermas3. Centrée sur un nombre restreint d’individus précisément identifiés, l’investigation emprunte donc aux principes de la micro-histoire. Pour autant, rappelant avec force par le biais d’un exemple que toute technique médiatique est toujours déjà un enjeu stratégique de pouvoir, elle apporte une contribution substantielle à cette « archéologie des médias » actuellement en plein développement dans les sciences humaines. Le livre se clôt sur de riches annexes, proposant le texte de nombreuses chansons qui circulèrent à Paris au milieu du xviiie siècle.


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5La première chose qu’il s’agit donc de reconstruire est le « réseau de communication » (p. 21) à l’intérieur duquel le poème « Monstre dont la noire furie » s’est propagé. C’est ce que fait l’historien en présentant sous forme de diagramme les rapports entre les prévenus, diagramme fondé sur le travail du lieutenant général de police. Au final, le groupe de quatorze personnes incriminé apparaît constitué d’hommes issus des couches moyennes de la société parisienne, petite bourgeoisie respectable et instruite, et dans l’ensemble aussi éloignée de la politique que peu marquée idéologiquement. Le dernier homme sur la liste des policiers est un « professeur de philosophie au Collège du Plessis », et « l’un des premiers à avoir enseigné Newton en France » (p. 30), Pierre Sigorgne, qui mit par son silence un terme à la chaîne des dénonciations. Il est vraisemblable qu’il ait par là cherché à protéger le véritable auteur des vers — ou alors certains de ses étudiants, comme André Morellet ou Anne Robert Jacques Turgot, qui auraient « pu séjourner un temps à la Bastille [s’il] avait parlé » (p. 31). Leur ami commun, Denis Diderot, autrement plus engagé idéologiquement, passera au cours de la même année 1749 de longs mois à Vincennes. Toujours est-il, note R. Darnton, que la place était bien loin d’apparaître comme « minée et prête à exploser […]. Nulle part dans les dossiers on ne peut humer les prémices d’une révolution » (ibid.).

6Voilà pour les faits que la patience de l’historien a pu reconstruire ; l’analyse embraye alors avec la question de savoir pourquoi, en l’absence de toute menace imminente, une telle diligence policière ? L’enquêteur américain met le doigt sur ce que son diagramme ne révèle qu’en négatif : l’absence de « contact avec l’élite au-dessus de la bourgeoisie des professions libérales, et celui avec les gens du commun plus bas » (p. 32). Le problème serait ainsi celui de la propagation de haut en bas de l’échelle sociale des vers incriminés, et donc du rapport entre la cour et la ville, car, poursuit‑il, la cour « pouvait injecter des messages dans un circuit de communication et les en extraire également » (ibid.) ; une grande partie de la poésie populaire qui circulait dans Paris avait de fait Versailles pour source. Entre les nombreuses études sur le monde de la cour d’une part et sur la culture populaire de l’autre, le livre de R. Darnton fait voler en éclat toute cloison diastratique. C’est cela qui expliquerait notamment l’exhortation de Marc-Pierre de Voyer de Paulmy, comte d’Argenson et secrétaire d’État de la Guerre de Louis XV, de suivre chaque piste « aussi haut qu’il est possible » (p. 35).

7C’est vers la cour qu’il faut alors remonter pour retrouver la piste d’intrigues de couloir aux conséquences politiques plus ou moins graves, comme le renvoi d’un ministre le 24 avril 1749. Nous l’avons signalé, le poème traite de la disgrâce du comte de Maurepas, qui fut la conséquence non d’une faute politique, mais de « poèmes » et de « chansons » (p. 37). Plus précisément, de chansons que Maurepas aurait « [distribuées, commandées ou composées] lui-même » (ibid.) contre la Pompadour, en vue de freiner son inexorable ascension. Ces chansons auraient en outre été diffusées à Paris pour faire entendre à la cour que la marquise était partout « l’objet d’insultes publiques et que le mépris qu’elle inspirait s’étendait au trône » lui-même (p. 38). Mais le calomniateur sera confondu ; ses forfaits versifiés avérés, Maurepas finira par tomber en disgrâce. Quant au poème qui a donné lieu à l’« Affaire des Quatorze », il aurait pour sa part été le fait d’amis du ministre déchu.

8Par delà l’intrigue de couloirs, la clé de toute l’affaire réside donc bien dans le rapport de la cour à la ville et dans leur porosité. Pour le lecteur, même si R. Darnton se refuse à toute théorisation, il devient parfaitement évident que si les élites sont en constante interaction avec la population, elles cherchent surtout à contrôler stratégiquement sa manière de les percevoir. Or s’il est vrai que la foule sous l’Ancien Régime déjà vilipendait ou applaudissait les faits et gestes des hommes au pouvoir, elle n’était jamais qu’un public ne prenant aucune part aux intrigues elles-mêmes. Elle pouvait cependant jouer un certain rôle comme moyen de vaincre un adversaire politique, car le roi s’intéressait beaucoup à ce que le peuple disait et chantait — intérêt qui donnait un grand pouvoir au « ministre qui canalisait les informations jusqu’à lui, d’où la tentative de saper l’influence de Mme de Pompadour […] en exposant Louis à un feu nourri de poèmes satiriques » (p. 47). Louis XV, semble-t-il, était en outre fort capable d’infléchir sa politique pour répondre à ce qu’il percevait comme les attentes de la rue. Pour l’historien, les conclusions à tirer sont donc les suivantes : primo la politique tourne autour d’intrigues de cour ; secondo la cour ne constitue pas un système autarcique. Dans ce contexte, un poème fonctionne « comme un élément d’un jeu de pouvoir des courtisans, et comme expression d’un autre genre de pouvoir : cette autorité indéfinie mais influente connue sous le nom de “voix publique” » (p. 49). Pour le dire avec Chamfort : l’État français était « une monarchie absolue, tempérée par des chansons4 ».

9Suite à ces considérations, retour à l’histoire. Car ce que la vox populi chantait en 1749, c’était essentiellement son mécontentement suite au dénouement de la Guerre de Succession d’Autriche, son incrédulité devant le traitement réservé au prince Edouard — qui avait gagné le cœur des parisiens — son indignation devant des charges d’impôts supplémentaires — levées en dépit du rétablissement de la paix —, sa lassitude des querelles religieuses. Et ce mécontentement, elle le récitait d’une part sous forme d’odes classiques, jugeant les actes des puissants et personnifiant « les relations internationales comme des luttes entre monarques » (p. 63) — sachant que ce que l’on attaque ici, ce n’est pas tant la royauté que la faiblesse du souverain. Et d’autre part le chantait sous forme de chansons composées de vers courts, où sur un air on ajoute ou retranche des strophes à l’envi, des chansons qui tournent dans « les tavernes, sur les boulevards et sur les quais où des foules s’assemblaient autour des chanteurs jouant du violon ou de la vielle » (p. 70‑71). Parmi ce type de chansons, certaines ont donné lieu à des cycles, comme les Poissonnades en « l’honneur » de la Pompadour (dont le nom de jeune fille était Jeanne-Antoinette Poisson), qui rappellent les Mazarinades du temps de la Fronde. Chansons qui circulaient sous forme orale et écrite, et que les chanteurs rassemblaient en Chansonniers pour les vendre.

10De tels recueils montrent bien la créativité du peuple de Paris, improvisant selon le procédé multiséculaire du contrafactum des paroles nouvelles sur des airs connus, commentant ainsi l’actualité et les faits divers, ce qui, dans « une société en partie alphabétisée », faisait pour ainsi dire office de journaux ; les chansons « fournissaient un commentaire suivi des événements du moment » (p. 81). Et ces chansons sont reprises en tous lieux et par tous types de personnes, des palais aux guinguettes, par des vaudevillistes professionnels écrivant pour le théâtre de la foire ou par de simples particuliers, nobles ou non. Il existait en outre de véritables institutions du type du Café du Caveau, fondé en 1733, où l’on improvisait « des chansons tout en se passant la bouteille et en rivalisant à qui ferait rire le plus » (p. 86). En 1740, les vaudevillistes avaient même pris l’Opéra-Comique, et leurs chansons étaient diffusées bien au-delà de Paris. R. Darnton rappelle quelques uns des noms connus et moins connus de ces vaudevillistes : « Charles-François Panard, Barthélémy-Christophe Fagan, Jean-Joseph Vadé, Charles Collé, Alexis Piron, Gabriel-Charles Lattaignant, Claude-Prosper Joyot de Crébillon (Crébillon fils) » (ibid.), qui participèrent à la création d’un « âge d’or de la chanson française et avec lui [d’]une atmosphère où régnaient l’esprit et la gaieté qui, aussi retravaillée et commercialisée qu’elle eût été, en vint à être identifiée avec la France elle-même » (ibid.).

11Lorsque l’on parle de l’histoire politique du xviiie siècle, il faut évidemment se garder de tout rapporter au renversement majeur qui clôt le siècle. L’esprit et la gaieté dont font preuve les Parisiens commentant l’actualité ne les montre pas réellement en train de « [se préparer] à prendre la Bastille » (p. 102). Pourtant, si l’on lit avec R. Darnton le journal de d’Argenson, on constate tout d’abord qu’en 1748 et 1749, dans le flot d’information qui parvenait à l’élite jour après jour, on trouvait les ragots les plus improbables, accusant par exemple le roi de prendre des bains de sang d’enfants pour se laver de ses péchés (p. 122). Et l’on constate ensuite que le ministre prenait au sérieux de telles rumeurs « comme signe d’une rébellion naissante ou même d’un attentat possible contre la vie du roi » (p. 123) ; en un mot, d’Argenson, à ce moment déjà, commence à percevoir un « danger réel de révolte populaire » qui n’est pas pour autant une Révolution française, chose « qui demeurait […] impensable en 1749 » (ibid.). Mais le ministre voit néanmoins juste. L’instabilité des finances royales, le poids de la dette après les guerres, le nouvel impôt, les querelles religieuses, et surtout la progressive apparition de l’opinion publique, comptent bel et bien parmi les facteurs qui conduiront à la révolution. D’Argenson parlait du reste dès le milieu du xviiie siècle de « sentiment du public », « mécontentement du peuple » ou de « sentiments et opinions populaires » (p. 124). Dans tous les cas, il entendait par là une force palpable et surtout capable d’affecter la politique de l’extérieur de Versailles.

12Tous les contemporains relèvent bel et bien en cette fin des années 1740 une vague de chansons hostiles au pouvoir, bien que personne ne conçoive encore clairement la notion d’opinion publique. Cette dernière est en effet encore largement traitée comme une simple humeur courant dans la population. À partir du milieu du xviiie siècle cependant, elle est de plus en plus évoquée par les intellectuels, comme « un tribunal ayant autorité pour juger les affaires publiques », que le gouvernement commence à se sentir contraint de « prendre au sérieux » (p. 128). Turgot, Necker, Calonne et Brienne engagèrent par exemple des philosophes comme Condorcet et Morellet pour mobiliser le soutien public pour leurs politiques. Ce public deviendra à terme la nation elle-même. Malesherbes notait en 1788 : « Ce que l’on appelait l’an passé le public est ce qu’on appelle aujourd’hui la Nation » (ibid.). Mais dans tous les cas, on est loin de revendications démocratiques, car ce que les philosophes entendent par opinion publique est une sorte de « Raison, opérant par le verbe imprimé sur une citoyenneté de lecteurs » (ibid.). Condorcet y voyait « un pouvoir qui animait le monde moral d’une manière analogue à la gravitation dans le domaine de la physique : c’était une action intellectuelle agissant à distance, invisible, tranquille et irrésistible » (ibid.). Mais tout le monde n’adopte pas la définition rationaliste du philosophe. Mercier par exemple a une toute autre conception de l’opinion publique. Pour lui,elle est une formation sociologique constituée par l’ensemble des messages échangés dans les réseaux de communication. Et l’on trouve sous la plume de Mercier, lorsqu’il observe cette opinion publique dans son processus de formation au niveau de la rue, des expressions capitales telles que « monsieur le Public » — un monsieur qui n’est en rien l’incarnation de la Raison…

13L’opinion publique est donc tour à tour un processus philosophique qui agit pour le progrès de l’humanité, ou un phénomène social mêlé de façon inextricable aux événements courants. Pouvait-on réconcilier ces deux formes, se demande alors Darnton ? « La question devint urgente au cours de la crise prérévolutionnaire de 1787-1788 » (p. 133), note-t-il. En tout état de cause, il semble que l’opinion de la rue n’ait jamais vraiment suivi les philosophes, même si les pamphlétaires et autres orateurs se réclament de la voix du public. Les révolutionnaires, poursuit Darnton, tentèrent quant à eux « d’amener le concept abstrait au niveau de la rue en célébrant l’opinion publique dans des fêtes patriotiques. Mais jamais l’idéal philosophique ne coïncida avec la réalité sociale. Monsieur le Public existait bien avant que les philosophes n’écrivent des traités sur l’opinion publique » (p. 136). C’est « une force qui montait des rues, une force déjà manifeste à l’époque des Quatorze et qui sera irrésistible quarante ans plus tard, quand elle balaierait tout devant elle, les philosophes y compris, sans accorder la moindre attention à leurs tentatives pour concevoir le public de façon discursive » (ibid.). Revanche ultime en quelque sorte de la rue sur les couloirs et les cabinets de la cour, et leçon de l’historien : le pouvoir peut bien tenter de manipuler les foules ou le peuple ou « l’opinion », il ne peut jamais être entièrement certain que les médias qu’il met en œuvre dans ce but ne se retourneront pas contre lui. Les chansons et les vers qui circulèrent entre la cour et la ville jouèrent un rôle certain dans la constitution de cette opinion publique de plus en plus consciente de la manière dont elle était gouvernée — leçon très actuelle s’il est vrai qu’internet sert autant à la surveillance étatique qu’à l’exercice de droits démocratiques. C’est ce dont R. Darnton — se refusant toutefois à toute comparaison historique — convaincra son lecteur.


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14Comment l’historien peut-il appréhender l’expérience orale de gens du passé, se demande l’auteur en conclusion ? En faisant une enquête de détective. Et dans le cas de l’Affaire des Quatorze, le travail avait pour ainsi dire déjà été fait :

Je trouve remarquable que les archives de la police fournissent suffisamment d’informations pour que l’on puisse suivre la trace [d’un poème] au fil d’un réseau oral disparu depuis 250 ans. (p. 126)

15Les historiens comme les policiers, ne cherchent pas à « lire dans l’esprit » des prévenus, mais « procèdent de façon empirique et herméneutique », ils « interprètent les indices, suivent les pistes et construisent une affaire jusqu’à ce qu’ils parviennent à une conviction » (p. 139). Cette conviction, le lecteur l’aura compris, s’entend dans le sens à la fois judiciaire et psychologique. Et la police, en 1749, avait tout juste : pas un parmi les Quatorze ne s’approchait un tant soit peu du révolutionnaire, tel que nous le comprenons après 1789. Mais il y avait une communication qui contribua à « constituer le public » lui-même par des « actes de transmission et de réception de l’information », qui « donnaient corps à une conscience commune d’implication dans les affaires publiques » (p. 142). L’Affaire des Quatorze révèle la façon dont une « société de l’information opérait quand l’information se diffusait de bouche à oreille et que la poésie véhiculait des messages dans le petit peuple très efficacement et bien avant l’internet » (ibid.).

16R. Darnton propose donc dans ce nouvel opus, ni plus ni moins qu’une archéologie de l’opinion publique au xviiie siècle opinion qui, pourrait-on dire en détournant un titre célèbre de Nietzsche, naquit en définitive de l’esprit de la chanson populaire.