Acta fabula
ISSN 2115-8037

2009
Janvier 2009 (volume 10, numéro 1)
Frédérique Fleck

Martial ou l’apogée de l’épigramme

Étienne Wolff, Martial ou l’apogée de l’épigramme, Rennes, Presses universitaires de Rennes, collection Interférences, 2008, 152 pages.

1En l’espace de 150 pages, ce petit livre réussit à donner des Épigrammes de Martial une vue très complète.

2Le premier chapitre, « Martial et son temps », constitue une utile synthèse de ce que l’on sait de la vie de Martial – il convient, dans ce domaine, d’utiliser avec discernement les informations tirées des Épigrammes mêmes –, de ses fréquentations dans le monde littéraire (les recoupements thématiques entre ses poèmes et ceux des Silves de son rival Stace sont mis en lumière dans un tableau) et enfin du contexte historique, religieux et littéraire dans lequel il vécut et écrivit.

3Dans le chapitre II, « Martial et son œuvre », sont présentés d’abord les différents livres d’Épigrammes, le Liber de spectaculis, les Xenia et les Apophoreta, dont la chronologie est discutée. Après une évocation rapide des problèmes, peu nombreux, relatifs au texte et à la numérotation des Épigrammes, ce sont les principes qui régissent l’architecture d’ensemble de l’œuvre et de ses différents livres qui sont exposés ; la composition est gouvernée essentiellement par le principe d’alternance et de variété (sur le plan à la fois des sujets, du mode d’énonciation, de la longueur et du mètre), et la présence de cycles de poèmes reprenant les mêmes thèmes sous des angles différents est une autre caractéristique importante. La composition du livre III, qui est traitée en détail, illustre ces pratiques. Suit une mise au point sur le genre de l’épigramme, rappelant notamment ses origines épigraphiques et les liens existant entre l’œuvre de Martial et celle de Catulle dont il se veut l’émule. La théorie martialienne de l’épigramme est ensuite dégagée : enjouement, brièveté, causticité, liberté carnavalesque, thématique sexuelle, représentation de la vie sont les principaux aspects de cette poésie qualifiée de lusus, « jeu, badinage », ou de nugae, « bagatelles », qui s’oppose notamment au genre de l’épopée, mais qui, par son réalisme et son refus de l’érudition, s’éloigne aussi en partie de l’esthétique du genre telle que l’on établie les prédécesseurs de Martial. Le chapitre évoque certaines pièces des Apophoreta décrivant des livres offerts à l’occasion des Saturnales qui ont ainsi valeur de critique littéraire, et il se clôt sur quelques réflexions concernant la condition du poète qui, malgré le succès acquis de son vivant, doit solliciter de riches protecteurs et mener la vie de client.

4Le chapitre III passe en revue les principaux thèmes de l’œuvre de Martial. La ville de Rome est très présente dans les Épigrammes, objet d’admiration, mais source aussi d’amertume. Les observations que fait Martial sur la société romaine sont tournées, conformément au genre adopté, vers la caricature, et les aspects retenus concernent presque exclusivement l’argent, le sexe et la hiérarchie sociale. Les malheurs du client, assujetti aux riches patrons, constituent un thème récurrent, traduisant le malaise de la classe moyenne de Rome. À ce thème est lié celui du don, considéré comme un devoir qui incombe aux grands, et concomitamment celui de l’avarice, l’invitation pour le repas du soir (cena) étant l’une des manifestations de cette bienfaisance, qui peut toutefois être entachée par divers mauvais procédés. Le corps et, plus particulièrement, les disgrâces physiques constituent un sujet que Martial affectionne, car il considère la laideur corporelle comme le révélateur des défauts de l’âme. La sexualité est traitée de manière très normative, reflétant les préjugés de la société romaine de l’époque. L’empereur est souvent flatté dans les Épigrammes, mais un certain nombre de ces louanges sont ambiguës et peuvent faire l’objet d’une double lecture. Il se dégage de l’ensemble des poèmes une philosophie teintée d’épicurisme, et l’amitié y tient une place importante. Certaines épigrammes manifestent la délicatesse des sentiments et du goût du poète (épigrammes funéraires, descriptions d’œuvres d’art ou de monuments). D’autres traitent de questions littéraires, souvent à travers la critique de rivaux qui permet par contraste aux idées de Martial sur la littérature de se dégager. Malgré la grande diversité des épigrammes, plusieurs convergences thématiques se dessinent donc. Une dernière section est consacrée au ressort du comique chez Martial.

5Le chapitre IV évoque enfin « le travail de la forme ». É. Wolff y décrit d’abord la langue de Martial : utilisation de termes relevant d’un registre élevé à côté de mots familiers et populaires, emploi de mots techniques rares qui n’appartiennent pas à la langue poétique, création de mots, le plus souvent à des fins expressives, transcription de mots grecs ou création de termes nouveaux à partir du grec, usage d’expressions imagées, souvent métaphoriques. Suit un examen des principaux procédés stylistiques : l’anaphore, l’apostrophe, les jeux de mots, la pointe, les jeux sur les sonorités, le principe du contraste et de la variation. L’intertextualité fait l’objet d’une autre section, qui montre la richesse des allusions littéraires présentes dans l’œuvre de Martial, et s’attarde plus particulièrement sur les échos catulliens et les réminiscences virgiliennes, dont les différentes fonctions sont examinées. Le chapitre s’achève sur deux courtes sections consacrées respectivement aux noms propres et à la métrique.

6Une réflexion sur la présence de Martial, de l’Antiquité à nos jours en passant par le Moyen Âge et la Renaissance, vient conclure ce tour d’horizon étendu.

7En fin d’ouvrage, le lecteur trouvera plusieurs annexes fort utiles : un choix de poèmes traduits, précédé de quelques observations sur la manière de traduire les Épigrammes ; une bibliographie sélective où sont indiquées les principales études et traductions de l’œuvre de Martial (un bon nombre d’autres travaux plus pointus sont indiqués au cours des différents développements) ; une liste des principales épigrammes servant de préfaces aux livres de Martial et explicitant ses conceptions littéraires ; enfin une liste des textes traduits et des pièces citées.

8Cet ouvrage qui offre un accès aisé à l’œuvre de Martial devrait contribuer à remettre à l’honneur en France cet auteur qui, comme le rappelle la préface, n’a pas très bonne réputation, et à faire justice, au passage, des accusations d’obscénité et de complaisance envers les puissants en replaçant l’œuvre dans son contexte. Ajoutons pour finir que le vœu formulé par l’auteur de voir fleurir d’autres études consacrées à Martial est déjà en partie exaucé : un ouvrage très fouillé de Daniel Vallat sur les nombreuses questions relatives aux noms propres chez Martial est désormais disponible chez Latomus (D. Vallat, Onomastique, culture et société dans les Épigrammes de Martial, Bruxelles, Latomus, 2008, 673 pages).