Acta fabula
ISSN 2115-8037

2004
Printemps 2003 (volume 4, numéro 1)
Anne Larue

Le Moyen Âge des romantiques

Isabelle Durand‑Le Guern, Le Moyen Âge des romantiques, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2001, 316 p., EAN 9782868475590.

1Ce livre donne la version abrégée d’une thèse de doctorat en littérature comparée. On regrettera que ce soit encore « trop » une thèse — avec ses lenteurs, ses précautions oratoires, ses préliminaires de préliminaires — car le propos en est très clair : étudier non le Moyen Âge, mais la métamorphose du Moyen Âge opérée par le regard romantique, à partir de textes français, anglais et allemands, en lecture croisée (introduction).

2Il y va parfois là de fausses naïvetés : feindre par exemple que le rapport entre le romantisme et le Moyen Âge pourrait être inattendu, c’est se faire sans doute trop candide. En revanche (p. 16‑17), si on affirme souvent l’intensité des liens entre Moyen âge et Romantisme, rares sont les travaux qui offrent une vraie synthèse du problème. D’où l’importance du présent ouvrage, qui s’attaque à cette question bizarrement laissée en friche, alors même qu’elle est effectivement centrale.

3L’auteur se propose d’abord une étude suivant les points d’ancrage suivant : l’imagerie médiévale, liée qu’elle est au revival du conte et de la ballade ; le théâtre, et le roman (drame romantique et roman historique) ; enfin les personnages privilégiés que sont Charlemagne, Louis XI et Jeanne d’Arc.

4Érudite et solide, la première approche sur les contes apporte de nombreux éléments. On commence à voir ici se dessiner le mythe du Moyen âge des romantiques : fervent et en prières, mais aussi ingénu et ambivalent. On devine ici une volonté de retour en enfance ; l’auteur effleure cette idée, par exemple p. 51, quand elle évoque un « temps idéal », une « nostalgie », un « temps primitif dans lequel plongent profondément les racines du présent », une « forme de recherche du temps perdu ».

5Dans le chapitre qui suit, sur la ballade et sa remise au goût du jour, on trouve des mises au point très strictes et précises sur ce qu’on entend par ce terme dans les différents pays, et au Moyen âge. C’est dans ce genre de mise au point qu’une méthode comparatiste prend toute sa valeur et sa justification. L’analyse précise des genres est d’ailleurs le souci d’I. Durand‑Le Guern au fil de tout l’ouvrage, ce qui est d’un grand profit pour le lecteur. Elle consacre plusieurs pages à la célèbre Lénore, et la couverture de son livre s’orne d’un des plus étonnants tableaux d’Horace Vernet sur ce thème. On ne se lasse pas de ce tableau, même s’il ornait déjà LaFrance frénétique de J.‑L. Steinmetz.

6On attendrait ensuite l’« imagerie médiévale » promise au début, mais l’auteur se tourne alors vers le théâtre et le roman, sans souci des images. « Imagerie » était donc à entendre seulement au sens métaphorique. Dommage ? L’analyse des images (des vraies images, pas des métaphores) fait une entrée encore trop timide en littérature comparée, discipline qui pourtant est sa terre d’accueil, en marge de l’histoire de l’art, domaine trop traditionnel qui se consacre encore avec trop d’exclusive aux seuls grands hommes et aux seules grandes oeuvres. Il est vrai que les travaux de Ségolène Le Men sur la cathédrale dans l’illustration romantique, augmentés de ceux de Joëlle Prugnaud sur ce thème de la cathédrale en littérature comparée, sont récemment venus éclairer le sujet ; néanmoins, puisque l’auteur souligne ici souvent le caractère « populaire » du fantasme moyenâgeux, elle aurait pu recourir à quelques images — léger regret.

7La seconde partie de l’ouvrage se consacre à une rigoureuse analyse de personnages historiques, revus et corrigés par l’imaginaire romantique. Ces études sont menées avec le même souci de précision documentaire que le reste du livre. On y trouve un florilège de textes cités. Il se dégage de ces portraits, la « réalité mythifiée » (p. 213) du Moyen Âge romantique.

8La troisième partie du livre tente de classer tout ce disparate. Le but en est d’établir une « poétique du Moyen âge au sein de la littérature romantique ». Trois catégories sont esquissées : grotesque, merveilleux noir et âge d’or. Pour la première catégorie, l’auteur se réfère à Bakhtine. Le surnaturel médiéval fait revivre l’effroi des monstres dans le chapitre qui suit ; enfin, dans le troisième temps, celui qui est consacré à l’âge d’or, c’est une image plus inattendue du Moyen âge qui est proposée.

9« La plasticité du Moyen âge, objet de représentations multiples, n’en finit pas de nous surprendre », écrit I. Durand‑Le Guern (p. 259). Il est vrai que la synthèse reste difficile à faire. L’auteur reste, à la fin, embarrassée par son idée de départ, suivant laquelle le romantisme est une « modernité » dont le Moyen âge serait « l’emblème paradoxal ». Mais le romantisme est‑il à ce point « moderne » ? Cela mériterait plus ample examen, au vu des études qui définissent au contraire le mouvement comme rétrograde, nostalgique et conservateur. Quant à Baudelaire, il faut distinguer entre le critique de 1846 (pour qui Delacroix est « moderne ») et celui qui, en 1859 (date de la rédaction du Peintre de la vie moderne) récuse ces premières amours pour embrasser, sous le même nom de « modernité », une tout autre cause.

10Quoi qu’il en soit de cette question, sur laquelle peut ouvrir la lecture de ce livre, LeMoyenÂge des romantiques est une utile mise au point qui remémore des jalons littéraires essentiels. On relève quelques bizarreries dans la bibliographie (une erreur d’éditeur au sujet de la traduction française des Mystères du château d’Udolphe, par exemple : le texte est en fait édité en Folio‑Gallimard, non en Laffont‑Bouquins), et l’index aurait gagné à être plus fourni : c’est en effet là un genre d’ouvrage où l’on a toujours un renseignement à chercher !

11Peut‑être attend‑on à présent de l’auteur, sur un autre mode et d’une autre plume, l’audacieuse et profonde synthèse qu’on devine ici, entre les voiles, ne pas oser encore précipiter sa foudre.