Acta fabula
ISSN 2115-8037

Dossier critique
2019
Janvier 2019 (volume 20, numéro 1)
titre article
Marc Escola

Le formalisme bien tempéré de Michel Charles

Michel Charles, Composition, Paris : Seuil, coll. « Poétique », 2018, 470 p., EAN 9782021332117.

1Rien de plus aisé que de décrire la composition de Composition. Deux brefs chapitres théoriques forment la Première partie : une centaine de pages qui offrent avec des « Réflexions sur l’analyse » un éventail de propositions mises longuement à « L’épreuve des textes » dans les chapitres de la Seconde partie consacrés pour leur part à la composition de six œuvres canoniques de prose fictionnelle (dans l’ordre chronologique : les chefs d’œuvres de Mme de La Fayette, Prévost, Stendhal, Balzac, Flaubert, Proust), le tout suivi d’un « Post-scriptum » qui récapitule les acquis des analyses en esquissant, avec de nouvelles hypothèses, une typologie des formes romanesques, laquelle ménage une place à quelques considérations sur leur évolution historique.

2Rien de moins facile que de cerner les enjeux de l’entreprise, a fortiori pour qui connaît les livres précédents de M. Charles et a longuement frayé le cours conduisant de Rhétorique de la lecture à Introduction à l’étude des textes en passant par L’Arbre et la source — auprès desquels il est toujours bon de revenir se rafraîchir. Le suffisant lecteur retrouvera certes dans ce nouvel essai ce qui caractérise le style théorique de l’auteur : une ambition méthodologique qui donne continûment priorité à la description sur l’interprétation, et le souci de se tenir au plus près de la lettre des textes dans la dynamique de leur lecture, sans trop s’embarrasser de références superflues — au vrai, la démarche se dispense à peu près de tout débat critique avec les théoriciens comme avec les interprètes des œuvres convoquées, les rares notes sont vouées aux seules références de pagination, et l’on chercherait en vain une bibliographie. O­n doit faire état toutefois d’une surprise : Composition prend acte d’une manière d’« inflexion nouvelle », déjà sensible dans un article publié en 2010 dans Poétique (n° 164) sous le titre « Trois hypothèses pour l’analyse, avec un exemple », qui était venu poser les prolégomènes d’une théorie de la composition— de fait, ces pages consacrées à un « exemple » proustien (la composition des cent-trente pages consacrées au dîner chez les Guermantes dans « Le Côté de Guermantes ») ont donné jour à l’une des sections de Composition (chap. vi : « La forme du sens »). Fine lectrice et spécialiste de rhétorique, Christine Noille en avait la première fait… l’hypothèse dans un article donné à la même revue, qui s’attachait à… la composition de l’article (« Sur un exemple de Michel Charles, ou comment composer (avec) des textes », Poétique, n° 169, 2012)1 : les « Trois hypothèses » marquaient autant de pas de côté à l’égard de la « théorie des textes possibles » dont Introduction à l’étude des textes constituait le discours de la méthode2. La parution de Composition permet de prendre la mesure du chemin parcouru dans l’intervalle : alors que les trois livres précédents dénonçaient, chacun à leur façon, la croyance en l’unité du texte comme un préjugé critique et théorisaient en conséquence la marge d’intervention du lecteur jusqu’à lui attribuer le pouvoir de (re)faire le livre autrement sous le sceau du « possible », Composition s’attache à ce qui fonde la stabilité du texte comme substrat de l’activité lectorale, en dressant par ce biais la liste des propriétés de ce que l’on n’ose plus nommer la littérarité d’un texte.

3En rendre compte ici supposera de s’adonner d’abord à l’art (trop délaissé) du centon et aux joies (toujours obliques) des italiques.

Au fil de l’eau

4On s’accordera d’abord sur le caractère « non-dialogable » de cet objet de langage qu’est le texte :

 Si j’ai la liberté de modifier à mon gré sa manifestation (interrompre ma lecture, “sauter des pages”, “lire en diagonale”, voire à rebours), je n’empêcherai pas qu’il existe aussi indépendamment de moi avec tous les éléments disposés dans un certain ordre3. […] Sans pouvoir dire quoi, je sais que quelque chose dans un texte résistera à toute intervention de ma part4

5Il faut ensuite faire valoir cette seconde propriété que « partagent la lecture la plus triviale comme l’approche la plus élaborée » :

Quelle que soit la lecture qu’on en fait, un texte se scinde toujours en [un] “déjà lu” ou “déjà connu” et [un] “encore à lire” ou “encore à connaître”5

6Cette distinction n’a pas lieu d’être dans le cas de la parole vive, dont le cours peut toujours dévier — dont la suite et la fin ne sont pas anticipables : le « discours composé de la parole artificielle6 » s’oppose au « discours rompu » de la conversation ou de la parole ordinaire.

7Dès lors, la dynamique de la lecture tient dans un ajustement entre la découverte progressive du texte en train de se faire, un segment après l’autre (« je viens de recevoir une partie », « une partie est prête à venir »), et le pressentiment constant du tout, soit : la conviction que le texte est « bel et bien fait »7, préalablement à la connaissance que j’en prends ou à la lecture que j’en poursuis — il existe indépendamment de moi comme une totalité, en vertu d’une série de décisions que je postule spontanément parce que j’en éprouve localement les effets. La dimension imaginaire d’une telle conviction n’entame en rien son efficacité : tout le temps de ma lecture, j’avance en supposant qu’« un discours existe dans sa version intégrale — qu’il est “fait”»8.

8 Les textes littéraires exacerbent ainsi les traits de tout discours artificiel : « le discours élaboré est celui dont il est en principe possible de postuler l’existence et de prendre, a posteriori, une vue d’ensemble (toujours Aristote), autrement dit de le recevoir comme un objet “composé” »9. Désigner, reconnaître, recevoir ou traiter un texte comme littéraire, c’est le supposer ou le réputer composé ; si elle devait s’imposer, cette définition-là de la littérarité nous épargnerait bien des débats oiseux.

9Tel est donc le sens à donner à cette notion très commune de composition : tout à la fois « signe et fondement de l’identité du texte » et « critère de l’artificialité du discours ».

10En privilégiant le terme de composition sur celui de dispositio, M. Charles vient arbitrer à sa façon le « très vieux débat » qui traverse la tradition rhétorique et qui distingue « deux idées de la totalité (totus et omnis) » :

D’un côté, il y a combinaison et coexistence essentielle des parties solidaires d’un objet (c’est la composition) ; de l’autre, il y a combinaison et coexistence circonstancielle des parties autonomes d’un objet (c’est la disposition). […] Si je considère le texte comme un tout harmonieux, je penserai composition ; si je le considère comme un assemblage de séquences, je penserai disposition.10

11Pour abrupt qu’en soit ici l’énoncé, la distinction éclaire la singularité de Composition en regard de l’opus précédent: dans la perspective rhétorique qui était celle d’Introduction à l’étude des textes, l’agencement du texte relevait de la seule disposition (l’objet de l’analyse rhétorique est par définition un texte déjà lu : rien d’étonnant à ce que les séquences observées puissent jouir d’une autonomie qui autorise à les interpoler ou à les retrouver dans d’autres textes ou à envisager le texte autrement, en regardant le texte réel comme un texte possible parmi d’autres) ; dans la dynamique ordinaire de la première lecture, et dans une perspective qu’on pourrait qualifier d’esthétique11, l’agencement est pensé comme relevant de la composition et perçu comme nécessaire. Le programme de travail peut dès lors tenir dans cette unique hypothèse :

La question est de comprendre comment la disposition (des énoncés) produit un effet de composition (du texte).12

12Les questions les plus simples sont aussi les plus difficiles, comme ne le savent pas assez les étudiants (de tout âge) : comment rendre compte de la façon dont le lecteur éprouve dans le temps, au fil de sa lecture, la forme d’un texte ? Ainsi ce nouveau livre de M. Charles a-t-il bien le même objet que les trois précédents — le processus de la lecture —, mais il s’agit cette fois d’en appréhender la dynamique telle que régie par la composition, laquelle toujours « règle l’allure », de rendre compte donc de la façon dont le lecteur se trouve embarqué : « emporté, pris dans le défilé des lieux et des scènes, […] subit la scansion des affects, les changements de régime, les variations de vitesse et de lumière.13 » Au fil de l’eau donc, puisque la lecture « ordinaire » suit un cours qui décide pour elle du défilé des paysages successifs sur lesquels elle ne jouit pas d’une vue cavalière — à la différence du (re)lecteur « professionnel » qui traite d’un texte déjà lu, depuis la perspective surplombante (tribune ou promontoire) qu’offre la ressaisie de l’œuvre comme un tout14.

13L’hypothèse est donc formaliste, et revendiquée comme telle — au vu de ce qui précède comme au regard des trois livres précédents, nul ne songera à s’en étonner.

On posera […] que le discours artificiel en général et le discours littéraire en particulier se caractérisent par la perceptibilité de leur forme, ou, plus justement, qu’ils se caractérisent par une forme sensible.

14« La perception de la composition d’un texte est d’abord la perception d’une forme : la composition est la forme même que prend l’ensemble du matériau, des plus petites aux plus grandes unités […] »15.

Forme, formalisation, formalisme… la forme du sens

15« Le formalisme n’a pas bonne presse », note placidement M. Charles16. Tout le livre vient faire la preuve qu’on aurait tort de rendre le formalisme « responsable de tous les maux » dont souffrent les études littéraires, comme le professait naguère un théoricien qui croyait devoir venir à résipiscence17 : si chaque lecteur s’approprie le texte en fonction de son histoire individuelle et la somme de ses lectures antérieures, comment pourrions-nous partager nos lectures si nous ne faisions pas l’expérience commune d’une forme ?

16Dans un entretien accordé à la revue Critique pour accompagner la parution de Composition, M. Charles est revenu sur le « malentendu » qui s’attache au terme même de formalisme, non sans ironiser sur le poncif qui veut que « la poétique [soit] née dans les années 1970 pour s’éteindre dans les années 1980 » :

[…] Je donne la priorité à la forme sur le sens, et c’est pourquoi je parle de la forme du sens, je veux dire de la façon dont le sens est agencé pour produire une forme [sic] : oui, la configuration du texte nous touche au plus profond ; oui, il y a une immersion dans les formes essentielle au plaisir de lire ; et oui, on peut décrire rationnellement ce phénomène. […] Il s’agit d’un plaisir sensible, […] et le bonheur, c’est qu’il est d’autant plus fort qu’il rejoint le plaisir intellectuel. […] Que la littérature façonne notre imaginaire, que les textes modélisent nos comportements, c’est une évidence, mais l’immersion dans les formes est première en ce qu’elle rend possibles ce façonnement et cette modélisation.18

17On ne saurait mieux dire qu’« à refuser le formalisme, on s’interdit de comprendre les émotions », selon l’heureuse maxime qui donne son titre à l’entretien, aussi bien que la possibilité même d’un partage du plaisir pris à telle ou telle œuvre : sans formes, pas de communauté. On s’empêche dans le même temps de penser cette « chose aussi simple que fondamentale » : la permanence des œuvres dans la diversité des expériences dont elles sont l’occasion — « pourquoi et comment un texte peut être même et autre, comment et pourquoi chacun l’identifie et le transforme à son gré »19. Sans formes, pas d’histoire : si la forme d’une ville change plus vite que le cœur d’un mortel, la forme d’un poème change peu avec les goûts des lecteurs — la mélancolie de Baudelaire pouvait au moins faire fonds sur cette permanence-là. Double leçon qui est celle de la poétique elle-même : Paul Valéry les professait d’une même voix — on s’en souvient peut-être : composition était l’un des maîtres-mots de son enseignement (de poétique).

18Reste à comprendre ce que nomme « forme du sens » sous la plume de M. Charles, et cet étrange théorème qui pose que le sens est agencé pour produire une forme — quand la doxa critique ou scolaire postule le mouvement inverse. Le privilège accordé à la description sur l’interprétation impose-t-il de donner congé à toute considération sémantique20 ? Toute l’affaire tient dans l’assomption de la forme au sein même de ce qu’on pourrait nommer le « déroulé sémantique » d’un texte. Car le paradoxe est ici que la forme est rendue sensible par des éléments de toute nature, parmi lesquels on ne doit pas exclure « l’organisation du sémantique » :

On va construire une forme en s’appuyant sur des éléments de toute nature et donc, entre autres, sur l’organisation du sémantique : tout formaliste que soit le principe que l’on peut tirer de notre hypothèse sur la composition, il ne s’agit pas de nier cette évidence que le sémantisme est un instrument très puissant d’élaboration de la composition, et peut-être le plus puissant, que l’analyse sémantique est indispensable. Mais voilà que le bon sens nous conduit à une étranger idée : le “fond” est alors, dans cette perspective, au service de la forme. Le sens travaille à la forme, il la rend sensible, ou plutôt la forme est l’agencement du sens. […] En somme, on examine le sens pour élaborer la forme, on s’exerce à faire abstraction du sens pour la percevoir et la décrire. C’est un exercice particulier de réduction.21

19« Formalisme bien tempéré » donc, mais non pas édulcoré, que celui que revendique sans coup férir M. Charles dans Composition, en posant résolument le sens « en amont » de la forme.

20Ainsi s’explique au passage le choix du corpus : c’est dans la prose fictionnelle que l’organisation sémantique est l’organisation la mieux perceptible, faute de ces unités de composition prédéterminées que constituent par exemple l’organisation rimique pour la poésie strophique ou l’alternance de répliques et de scènes pour le théâtre classique.

La classe de composition : exercices de réduction

21C’est en effet dans la lecture du texte fictionnel en prose que la « forme » s’éprouve le mieux pour ce qu’elle est — l’expérience commune d’une « dynamique textuelle », laquelle suppose une « panoplie de procédés » susceptibles de lier les unités (énoncés ou séquences) en assurant le continuum textuel. L’entreprise de M. Charles tient dans un patient relevé de ces procédés, et la « question capitale de la transition »22 y occupe une place centrale.

22Les chapitres de la deuxième partie sont ainsi à lire comme autant d’exercices de réduction — de la composition à la disposition. Le mot d’exercice est bien ici celui qui convient : l’entreprise visant à promouvoir un mode d’analyse des textes, partageable et évaluable, donc enseignable, elle ne se départit pas de la perspective pédagogique qui prévalait dans les précédents ouvrages de M. Charles. La formule de ces exercices de réduction se trouve mise au point dans la section de la première partie consacrée à la composition d’une lettre de Mme de Sévigné (qui fait seule exception dans le panorama de fictions narratives abordées)23 : la réduction consiste à « esquisser la figure du texte, à décrire son mouvement », à isoler la succession de formes avec laquelle nous entretenons « le plus de proximité sensible » mais dont la description suppose peu « d’investissement sémantique (lequel varie avec les lecteurs) ». Analyser la composition de la lettre, ce sera ici « repass[er] le “morceau” », « reprendre dans l’ordre en essayant de dessiner [une] figure de la séquence, d’approcher progressivement une forme nette et dépouillée. » À suivre les quatre « étapes » de l’exercice, on aperçoit que le sens est « utilisé comme un agent décisif de la mise en forme : il produit un jeu de différences par lesquelles est configurée la séquence ; l’essentiel, pour la perception du texte, est dans ces différences, et dans les ruptures et changements de régime : les déséquilibres sont plus importants que les équilibres ; c’est sans doute cette “cadence” que nous pouvons le plus profondément partager. Elle nous touche au cœur et au corps. » Inutile de postuler que Mme de Sévigné a délibérément œuvré à l’élaboration de cette « cadence » : la forme obtenue au terme de l’exercice est proposée « comme une indication pour une lecture », pour un partage du texte et sans doute aussi pour son enseignement — pour une « exécution » du texte, selon le mot de M. Charles qui recourt souvent dans Composition à l’une de ces métaphores musicales qu’affectionnait G. Genette mais qui n’avaient guère leur place dans Introduction à l’étude des textes ou Rhétorique de la lecture.

23Le Post-Scriptum de l’ouvrage (re)donnera le mode d’emploi de ces exercices de réduction de la disposition à la composition :

La réduction ne consiste pas à focaliser l’attention sur une petite partie du texte ou de la séquence examinés, mais à dépouiller progressivement, prudemment le texte ou la séquence d’éléments sémantiques ou thématiques qui en brouillent les lignes. [...] Le but visé est alors de parvenir à une multitude de figures relativement simples : gradation, contraste, symétrie, renversement, etc. Cette première étape est tout à fait comparable à l’analyse rhétorique qui, par un effort d’abstraction, isole des figures, et l’on peut d’ailleurs en utiliser efficacement la terminologie24.

24La première étape du travail consiste à « multiplier les figures et schémas, de façon à disposer d’assez d’éléments pour élaborer une combinatoire. » Le deuxième temps tient dans une prise de recul, « pour examiner des contextes plus larges », simplifier peu à peu, « mettre au point des transitions de figure à figure », « étudier l’efficacité de telle ou telle combinaison afin de passer à une autre échelle au prix d’un deuxième effort d’abstraction », puis tenter de « construire une forme d’ensemble qui rende perceptible la composition du texte ». Dans son troisième moment, l’exercice invite à s’interroger sur la pertinence de la configuration obtenue au-delà de la séquence analysée.

25Comme l’auront montré dans l’intervalle les chapitres consacrés aux romans Mme de La Fayette, Prévost, Balzac et Proust, mais comme le suggérait déjà la première analyse de Mme de Sévigné, « l’instrument le plus efficace » pour de tels exercices de réduction tient dans « l’idée de régimes du texte », notion qui se passe de définition, par décision de méthode :

[…] un régime se caractérisant soit par une configuration lexicale (sémantique), soit par l’adoption d’une certaine disposition (syntagmatique), soit, le plus souvent, par les deux. […] [La notion de régime textuel] sera d’autant plus opératoire qu’elle restera plus souple. Ce qui importe en effet, ce n’est pas de définir strictement et nommer les régimes, mais [de] repérer leurs différences pour décrire les relais, superpositions, variations… et l’on s’intéressera plus au passage qu’à l’état stable de tel ou tel régime textuel. Le changement de régime, sous toutes sortes de formes (pause et reprise, silence, modification des temps, des types de discours, accélération, décélération, thématique nouvelle, etc.) indique au lecteur qu’il passe à autre chose et rend sensible ce passage. En tant que tel, il est la marque par excellence de la configuration du texte.25

26La notion de « régime » doit rester aussi souple que les configurations qu’elle permet de décrire : « ce formalisme n’est donc plutôt pas un structuralisme »26, déclare incidemment M. Charles dans une épanorthose que ne désavouerait pas Bartleby ; et il n’a rien d’abstrait ou de « désincarné » :

[Le lecteur] évolue réellement dans le schéma ou les schémas offerts par le texte, dans la succession des divers régimes et programmes sémantiques ; il s’inscrit réellement dans la configuration dynamique de ce qu’il lit : il passe avec le texte d’une émotion à une autre ; il n’habite pas les espaces dessinés par le texte, mais il change bel et bien d’espace avec le texte ; il partage avec lui une organisation, un mode de succession des affects, une structure temporelle, un aménagement de la durée. Cet aménagement est le fait du texte même : découpage, scansion, vitesse, ruptures temporelles ou thématiques, mais aussi retours ou reconnaissances. C’est par cette forme que la relation au texte est la plus intime, car cette configuration n’est pas vécue seulement sur le mode imaginaire et intelligible, mais bien sur le mode sensible, et elle a ses effets propres. Cette organisation des émotions, des paysages, des objets, ce jeu des tensions, des détentes, des suspensions, des surprises, ce temps vécu sont une forme. On y trouve ce qui est effectivement vécu, ressenti au plus profond.27

27Si la forme est ainsi « ce par quoi les textes nous sont rendus sensibles », il faut décidément imaginer les formalistes heureux.