Acta fabula
ISSN 2115-8037

2013
Juin-Juillet 2013 (volume 14, numéro 5)
titre article
Hervé Baudry

Montaigne, Descartes : problématiques d’une conjonction traditionnelle

Montaigne Studies, vol. 25, n° 1‑2, 2013 : « Montaigne and Descartes », publié sous la direction de Nicola Panichi & Mariafranca Spallanzani, 224 p., ISSN 1049-2917.

1La livraison des Montaigne Studies de 2013, qui s’intitule Montaigne and Descartes, contient, outre une majorité de contributions consacrées à cette question, trois articles de Varia. Commençons par ces derniers.

2Avec « Dix-huit volumes de la bibliothèque de La Boétie légués à Montaigne et signalés par lui comme tels », Alain Legros poursuit l’archéologie de la bibliothèque montaignienne sur un point des membra disjecta du legs boétien, grâce à la traque des exemplaires marqués d’un « b » disséminés dans six bibliothèques, françaises et anglaises. Cette étude s’enrichit en outre de l’édition des notes manuscrites, données en annexe, lisibles sur trois ouvrages (Appien, Sophocle et Strabon).

3Robert Kilpatrick (« “Et nous enferrons de nos armes” : Self-irony and Paradox in “Du pedantisme” ») délivre une fine lecture de ce chapitre-clef des Essais (I, 25 ; I 24 dans l’édition de la Pléiade, 2007), qui le conduit à définir l’essai montaignien comme un « exercice auto-réflexif, un lieu pour mettre à l’épreuve l’action et le jugement, l’acte et le mot » (« a self-reflexive exercise, a place to put action and judgment, deed and word to the test », p. 224).

4« L’expérience italienne “à l’essai” : Montaigne, Machiavel, Guichardin » de Jean Balsamo s’intéresse aux lectures montaigniennes des deux Italiens. Si le premier réapparaît de temps en temps, comme en filigrane de l’étude et des préoccupations de Montaigne, c’est l’étude du second, demeurée en retrait jusque-là, qui fait l’objet de la majeure partie de l’article. L’auteur mène son enquête sur les traces d’une relation qui remonte à l’époque d’une « campagne de lecture systématique des historiens modernes, vers 1565-1570 » (p. 199). Des emprunts textuels (une dizaine, p. 192‑196) à la communauté de pensée, par l’effet de « rencontre » (p. 201), de la citation à la réfutation (p. 201‑206), il révèle toute l’importance de l’intertexte de la Historia d’Italia dans la pensée et les pratiques d’écriture de Montaigne. En définitive, le Florentin emplit cette fonction-clef, pour l’auteur des Essais, de servir à « définir, par contraste, l’enjeu de son livre » (p. 206). Bien qu’il soit placé en seconde position, nous analysons cet article en dernier parce que, par l’effet d’une heureuse coïncidence, il apporte une sorte de contrepoint problématique aux contributions consacrées à la thématique du numéro. Dans cette perspective, ce « Montaigne et Guichardin » figure comme l’exemple de ce que doit faire et peut être (ou peut faire et doit être) l’approche intertextuelle par la méthode philologique, assurant la démarche herméneutique par le passage des modes de lecture, effective, aux contours d’une pensée. On ne saurait trahir l’esprit de l’enquête en proposant sa lecture préalable du reste du numéro afin d’engager, comme par anticipation méthodologique, celle des travaux sur « Montaigne et Descartes » auxquels est consacrée la présente livraison.

Montaigne & Descartes : une conjonction de filiation

5La conjonction qui unit, généralement de façon exclusive, ces deux noms de la pensée française entre Renaissance et classicisme implique l’existence d’une relation forte véhiculée par une tradition née il y a plus d’un siècle et qui repose sur l’assomption de la lecture du premier par le second. Or l’étude historique et philologique de cette tradition que nous avons menée dans Le Dos de ses livres. Descartes a‑t‑il lu Montaigne ?1 montre l’inconsistance de cette relation, des outils conceptuels couramment employés et la faiblesse de nombre d’arguments avancés à travers une bibliographie abondante et redoublée. Il faut donc ici tenter de déterminer la place de ces nouvelles contributions par rapport à cette tradition et selon la perspective critique récemment ouverte.

6Ce dernier‑né du parallèle philosophique « Montaigne et Descartes » se compose d’une présentation suivie de seize études, dont trois en anglais. La présence, pour ne pas dire la vitalité, « romane » exclusive des auteurs (neuf Italiens, quatre Français, deux Brésiliens et un Espagnol) vient de ce que treize de ces travaux ont fait l’objet, tels quels pour onze d’entre eux à en juger d’après les titres, d’une communication au colloque d’Urbino, « Montaigne e Descartes. Una genealogia filosofica » des 12 et 13 juin 2012. Précisons que sur les quinze participants, deux ne figurent pas dans la revue tandis que trois articles de non-participants y ont été ajoutés. Enfin, sans vouloir forcer le choix des éditeurs, Nicola Panichi et Mariafranca Spallanzani, qui ont décidé de ne pas structurer l’ensemble, on peut observer que les travaux se succèdent suivant trois grandes catégories : contributions relatives à la philosophie, qui abordent deux thèmes principaux, le scepticisme et la subjectivité (articles de N. Panichi, M. Spallanzani, G. Paganini, J. M. Neto, T. Birchal) ; aux sciences, notamment à travers les questions du progrès, du mécanisme, de l’atomisme, du dualisme et des animaux (articles de C. Santinelli, M. Sgattoni, E. Ferrari, Th. Gontier, M. Pécharman, R. Carbone) ; enfin à la morale, pour les thèmes de la coutume, la volonté, la mort, le rire et la mélancolie, la douceur et la civilité, l’éthique (articles de R. Carbone, D. Kambouchner, L. Delia, P. Schiavo, F. Lelong, J. Begon).

7Les lecteurs intéressés à la question de la « généalogie philosophique » (sous-titre de l’introduction) peuvent ainsi découvrir, voire repenser, les relations entre les œuvres sur des aspects prévisibles (par exemple le scepticisme ou les coutumes) et d’autres qui le sont moins (le mécanisme ou la douceur). Sans être exhaustive, la diversité des points mis en examen reflète la volonté des éditeurs d’accueillir une « recherche polyphonique » (« a multi-voiced research », p. 3), mêlant approches littéraires et philosophiques, qui permette d’« affiner notre compréhension » (L. Delia, p. 141) sur des points précis à la croisée des œuvres, interventions diverses qu’il serait inutile de présenter par le menu. Quel bilan généalogique peut‑on établir, outre le caractère multiforme et les points de repère variés ? Tout d’abord qu’on ne saurait parler de legs homogène ni inférer une transmission (au sens patrimonial) sereine, c’est‑à‑dire, côté « héritage » (G. Paganini, p. 47 et F. Lelong, p. 162), une réception conservatrice des contenus : c’est l’histoire d’une « tension » (R. Carbone, p. 128) faite de convergences et de divergences, de reprises plus ou moins fidèles voire de dépassements (M. Sgattoni p. 79 et D. Kambouchner, p. 137), en somme un oui et non. Dans tous les cas, étudier « Montaigne et Descartes » revient à se mettre à l’écoute d’un « dialogue » aux visages multiples : direct (Spallanzani, p. 19), idéal et tacite (C. Santinelli, p. 61 et p.  70) voire implicite (Th. Gontier, p. 96). En revanche, lorsqu’il est qualifié d’« imaginaire » (J. Begon, p. 175), c’est parce que la référence au face-à-face entre les interlocuteurs supposés (M. Pécharman, p. 112) s’est muée en un jugement, lucide, sur l’activité critique. Dès lors se trouve posée la question du statut véritable du « débat » (M. Pécharman, p. 107) : le lecteur ne doit pas oublier que nous sommes ici en terrain philosophique, dans le hors‑temps du travail conceptuel, ce dialogue dans les sphères dont parlait Léon Brunschvicg dans son Descartes et Pascal lecteurs de Montaigne (Lausanne, La Baconnière, 1942, p. 108), régulièrement cité comme un classique (p. 5, p. 49, p. 53, p. 70 et p. 126).

8La métaphore du dialogue fait donc bien référence à ce moment-clef de l’activité des historiens de la philosophie qui a consisté à mettre en relation des auteurs débouchant le plus souvent sur l’accord et le désaccord, mais aussi le solde de tout compte (D. Kambouchner, p. 137) voire le choix laissé au lecteur en dernière instance (J Begon, p. 176). Ainsi « Montaigne et Descartes » constitue‑t‑il tout d’abord un concept opératoire permettant d’enquêter à la croisée des textes. Nul ne songerait à mettre en cause l’efficacité passagère de cet instrument de comparaison. Cependant, le travail critique qui s’insère dans une visée qualifiée de généalogique suppose la vérification par les marqueurs textuels de réception, ou sources. Ce que Balsamo a fait pour Guichardin, la dimension généalogique disparaissant derrière une conception plus techniciste de la philologie, reste valable pour Descartes, en dépit de sa discrétion citationnelle (à l’exception, en quantité considérable, des échanges, correspondance et réponses aux objections). Les auteurs de l’introduction en ont bien conscience : « La modalité “philosophico-philologique” du “texte”, basée sur la comparaison littérale des ouvrages — i.e. occurrences textuelles, citations primaires ou secondaires, connexions directes ou indirectes, renvois explicites ou implicites —, tente de retracer le rôle et l’influence des Essais dans la construction de la philosophie cartésienne » (p. 5 ; nous traduisons).

9Sans remonter aux plus lointaines origines de la question de la « filiation » (L. Delia, p. 147) Montaigne-Descartes, on peut déclarer son âge de raison lorsque le jeune Paul Laumonier publie son étude « Montaigne précurseur du xviie siècle »(Revue d’histoire littéraire de la France, 1896, année du tricentenaire de la naissance de Descartes). Avant celui de Brunschvicg déjà cité, un autre ouvrage fait date, l’édition profusément commentée du Discours par Étienne Gilson en 1925. Dans son ensemble, l’entreprise vise à apporter des réponses historiques et philosophiques grâce à la confrontation des textes tout en admettant que le « dialogue » instauré par la critique entre eux se fonde sur la réalité d’un « dialogue » entre les auteurs, en l’occurrence, la réponse de Descartes à Montaigne. Cependant l’ordre chronologique, généralement respecté, n’empêche pas le recours à l’inversion, qui rappelle la suprématie du métaphorique : possibilité d’une généalogie « à rebours » (N. Panichi, p. 17), proposition selon laquelle Montaigne a pu « contrevenir au principe de Descartes de ne pas englober la vérité de la foi » (M. Sgattoni, p. 77). En revanche, l’analyse originale d’Emilio Ferrari sur les mouvements involontaires et les idées mécanistes entérine à juste titre l’abandon de la vision précursiviste, inaugurée par Laumonier, au profit de la notion de « voisinage intellectuel » (p. 88).

10Cependant, les contributions de ces études se rattachent à l’ensemble de la production consacrée à cette question. Tout se passe dans l’acceptation, tacite ou non, de l’affirmation suivante : Descartes a eu en Montaigne un maître de jeunesse (p. 53, 60, 137). Thèse clef qui justifie la centaine de rapprochements textuels entre les Essais et la quasi-totalité du corpus cartésien (des premiers écrits de 1619 aux Passions de l’âme, la moitié desquels concernent le Discours de la méthode)relevés par la tradition. Le présent numéro verse dans ce dossier trois nouvelles propositions (G. Paganini, p. 44, E. Ferrari, p. 90 et L. Delia, p. 147). Un rapprochement canonique est allégué à l’appui de la thèse (N. Panichi, p. 7, J. M. Neto, p. 124). Au total, la « modalité philologique » ne fonctionne que dans le sens de la preuve. L’article de M. Pécharman, « Contre le “pensement” et le “parler” des bêtes ou Descartes devenu juge de Montaigne », adopte à cet égard une perspective nouvelle. À supposer que ce que les éditeurs entendent par « connexion directe » consiste dans un référentiel explicite, tel est donc le cas de la nomination de Montaigne (et Charron) par Descartes dans sa fameuse réponse du 23 novembre 1646 au marquis de Newcastle. On peut même dire qu’il s’agit de l’unique connexion directe à Montaigne dans toute l’œuvre de Descartes. Elle est donc fréquemment alléguée comme preuve de la lecture. Or M. Pécharman a raison de considérer ce dernier comme un « nom emblématique2 » et un « interlocuteur supposé » (p. 107 et 111, italiques de l’auteur), et de faire de Descartes un « juge » malgré lui étant donné qu’il faut d’abord admettre que le nom de Montaigne surgit sous la plume du philosophe parce que c’est son interlocuteur qui l’a lancé sur ce terrain.

Descartes lecteur non certifié de Montaigne

11L’effectivité de la lecture de Montaigne par Descartes n’a jamais été mise en doute. La mise en garde de Pierre Villey (Montaigne et Bacon, 1913, p. 6) a eu en définitive assez peu d’impact. Dans le champ de l’herméneutique philosophique, cette question implique plutôt partisans et adversaires de la méthode philologique (sur ces derniers, voir la réaction de Michel Adam, « René Descartes et Pierre Charron », Revue philosophique, 1992, p. 473). Si l’on en juge d’après l’actuelle vitalité de l’attitude « rapprochiste », tant chez les littéraires que les philosophes (par exemple Delphine Reguig, « Réécrire Montaigne au xviie siècle : remarques sur les enjeux de l’imitation linguistique des Essais », Littératures classiques, 74, 2011, p. 49‑69 ; Dan Arbib, « Le moi cartésien comme troisième livre. Note sur Montaigne et la première partie du Discours de la méthode », Revue de métaphysique et de morale, 2012/2, n° 74, p. 161‑180), l’on ne peut que constater une forme d’incertitude ou de prudence, plutôt rafraîchissante, de la part de plusieurs contributeurs. Limitons‑nous à quelques exemples. Conclure, à la suite d’un parcours de conviction, sur la « possibilité même de [la] généalogie » réoriente quelque peu l’affirmation initiale selon laquelle celle-ci « ne surprendra sûrement pas » (N. Panichi, p. 173 et 7). Comment expliquer ce recours au conditionnel : « La découverte de soi comme point de vue irréductible et à partir duquel il y a un monde serait alors l’héritage de Montaigne à Descartes [nous soulignons] » (T. Birchal, p. 38), sinon que l’hypothèse semble esquiver l’assertion, admise depuis les années 1970, selon laquelle Descartes hérite la subjectivité montaignienne, pour ne pas identifier l’héritier en titre ? Un « comme si [Descartes] était un véritable disciple de Montaigne » (M. Sgattoni, p. 77) libère passagèrement du poids de la tradition. Enfin, la métaphore de la saveur montaignienne (« Montaignian in flavour », R. Carbone, p. 125) appliquée à un passage célèbre du Discours sur le voyage rappelle à quel point la méthode philologique, entre réminiscences et citations dites implicites, demeure subjective. Dans l’arbre généalogique montaigno-cartésien, l’abondant feuillage tend à estomper la structure.

12Pourtant d’autres branches ont été depuis longtemps mises à nu. La vieille leçon d’Alan Boase, qui dédoublait de manière quasi systématique « Montaigne et Charron » (The Fortunes of Montaigne, London, Methuen and Co., 1935), demeure peu suivie. Signalons à cet égard, outre la prudence boasienne de J. M. Neto (« Rationalisme critique académicien chez Montaigne et Descartes »), que la communication de M. Pécharman au colloque de juin 2012 s’intéressait précisément à la « place » de Charron dans le débat entre Montaigne et Descartes sur les animaux. La question du relais charronien constitue l’un des points clefs de cette histoire de textes.

13Faut-il donc voir dans ces indices de « prudentialisme » méthodologique un tournant dans les études montaigno-cartésiennes ou l’évidence d’une certaine gêne provoquée par les obligations conventionnelles du parallèle ? Dans notre cas, avant d’être un fait, il constitue un exercice d’école, voire un véritable genre herméneutique. Mais le parallèle en dit‑il toujours plus, ou mieux, sur les œuvres ou les auteurs mis en balance que sur le critique qui l’effectue ? Avec Montaigne et Descartes, s’agissant d’une tradition dont les présupposés n’ont jamais été mis au clair, ce soupçon alourdit le dossier. Dans sa magistrale Skepsis (Vrin, 2008), G. Paganini a su démêler l’extrême complexité de l’histoire d’une notion sur quelques décennies à travers les textes d’au moins quatre protagonistes pré-cartésiens (au sens chronologique) : Montaigne, Sanches (ou Sanchez), Campanella, La Mothe Le Vayer. Comme contraint au rapprochement bipolaire, l’article des Montaigne Studies écrase cette perspective pour le lecteur non averti. L’auteur s’avoue sur le point de succomber à la tentation du rapprochement textuel (« il est très tentant de comparer », p. 44) alors que sa grande étude en est restée vierge dans le cas de Montaigne et Descartes. Blanc qui faisait logiquement suite à son affirmation, lors d’un séminaire à l’ENS Ulm le 15 juin 2007, sur l’impossibilité dans laquelle nous demeurerons de savoir « quoi et combien de cette réception de Montaigne » a été perçu par Descartes.

14Que donc Montaigne-et-Descartes, comme tout exercice de parallèle, stimule la pensée, nul ne le niera. Cet acte d’inventaire se mène sous l’égide de la balance. Figure de pensée, la comparaison constitue une attitude heuristique. En fait, la notion même de généalogie embarrasse plus qu’elle ne facilite la tâche. Les enquêtes intertextuelles, qui s’avèrent non probantes, échouent à rendre probante l’affirmation d’une relation historique, c’est‑à‑dire une lecture de Montaigne par Descartes. Avec pour résultat fréquent la violence herméneutique et le cliché philologico-historique résultant du présupposé de filiation et débouchant sur la figure d’une entité close sur elle‑même. C’est ainsi que doit se déconstruire le parallélisme citationnel mis en exergue de ce numéro : la phrase extraite des Essais (« Ce n’est pas grand merveille si mon livre suit la fortune des autres livres ») semble orientée vers l’avenir tandis que celle de Descartes (« La lecture des bons livres est comme une conversation avec les plus honnestes gens des siecles passez... ») l’est vers le passé — les Essais à l’horizon du Discours de la méthode et celui‑ci dans le legs de ceux‑là. En réalité, dans le passage des Essais, Montaigne, soucieux de sa mémoire défaillante, déplore l’oubli auquel il voit son livre condamné. Incompatibilité des propos. La question philologique, posée dans toute son ampleur, invite donc la critique du cartésianisme à faire de même, oublier les Essais comme source de légitimitation humaniste à l’auteur des Méditations et des Principes de la philosophie, abolir le récit des origines, voire une quasi-gémellité intellectuelle chez les partisans les plus fervents de la visée généalogique. Inversement, les montaignistes, mais cela leur sera moins pénible, se passent de la prétendue descendance cartésienne pour prendre la mesure de la postérité de l’auteur des Essais.

15En somme, habituons‑nous à l’idée que Montaigne n’est pas le précurseur de Descartes et que Descartes n’est pas le fils de Montaigne ; à disjoindre plutôt qu’à conjoindre, non pas dans le but de reproduire les figures d’antithèse que la tradition, avec Koyré et Brunschvicg notamment, s’est élaborées mais afin de mieux mettre au jour la grande complexité des relais et le foisonnement des lignes de fracture qui dessinent le paysage entre automne de la Renaissance et aube des Lumières beaucoup moins linéaire et homogène que le programme à deux termes ne le laisse penser.