Acta fabula
ISSN 2115-8037

2013
Mars-Avril 2013 (volume 14, numéro 3)
titre article
Nathalie Vincent‑Arnaud

Tous en scène : les arts vivants en traduction

Natalie Roulon, L’Anglais des arts du spectacle. English for the Performing Arts, Montpellier : L’Entretemps, 2012, 139 p., EAN 9782355391545.

1S’il est une catégorie d’ouvrages qui ne fait pas défaut dans le domaine des études linguistiques, c’est bien celle des ouvrages consacrés à la traduction. Preuve tout à la fois de la vitalité accrue de la traductologie dans le cursus universitaire et d’une fascination pour ce territoire‑carrefour mouvant, toujours à définir et impossible à circonscrire, la prolifération des publications d’ouvrages — des manuels aux recueils d’actes de colloques en passant par d’éminentes revues spécialisées désormais en ligne — au cours des dernières décennies. Le domaine anglophone n’est évidemment pas en reste, l’anglais demeurant, et de loin, la langue source dominante sur le marché de la traduction selon les statistiques relevées par Jean‑Pierre Assouline dans son rapport de 2011 intitulé La Condition du traducteur1.

2De même, et pour des raisons identiques, la gamme des ouvrages sur la traduction des articles de presse s’est enrichie, ces dernières années, d’apports tels que L’Anglais des médias2 ou L’Anglais de la presse3, voisinant avec des précis de vocabulaire comportant plus ou moins d’exemples en contexte. S’inscrivant dans une perspective généraliste qui embrasse les diverses rubriques que comporte la presse, cette démarche éditoriale vient compléter avec bonheur les ouvrages centrés sur la traduction des textes littéraires dans la mouvance de la désormais classique stylistique comparée de Vinay et Darbelnet4, traditionnellement appliquée à la littérature, même si elle a, depuis sa parution, nourri la réflexion des traductologues dans les domaines les plus divers.

3L’ouvrage récemment paru de Natalie Roulon, angliciste qui a déjà signé, entre autres, Les Femmes et la musique dans l’œuvre de Shakespeare (Paris : Honoré Champion, 2011), se démarque de cette optique généraliste en venant, comme le précise la quatrième de couverture, « combler un vide éditorial manifeste ». Le choix des arts du spectacle, du théâtre au cinéma en passant par la comédie musicale, ne manquera pas de satisfaire un public varié à divers stades de maîtrise de la langue anglaise, étudiants ou professionnels, des débutants aux plus confirmés, à qui ce registre ferait défaut, de manière ponctuelle ou plus étendue, pour affronter des traductions, des comptes rendus critiques ou des essais dans ce domaine. On songera notamment aux nombreux étudiants qui, dans le cadre de formations spécialisées au sein des universités, se destinent à la traduction audiovisuelle — qu’il s’agisse de sur‑titrage ou de sous‑titrage —, ou encore à ceux qui sont ou seront amenés à pratiquer assidûment la traduction de la presse spécialisée, la confection de synopsis, de livrets ou de programmes bilingues de spectacles.

4On note toutefois une lacune relative, un peu étonnante de la part d’une chercheuse dont les travaux précédents ont été consacrés en grande partie aux interactions entre musique et théâtre : à la musique, au concert sous toutes ses formes, ne revient en effet qu’une part très réduite du livre, exception faite de quelques références à la comédie musicale et à la fosse d’orchestre. Le manque paraît un peu regrettable si l’on considère l’abondance, dans le monde anglo‑saxon, de la presse musicale, qu’elle soit consacrée aux musiques savantes ou populaires, et la place dévolue à la musique dans une culture tout autant pétrie de ses traditions élizabéthaine et baroque, entre autres, que de pop et de rock (sans parler de leurs divers métissages). Manquent également à l’appel quelques références aux arts du cirque et aux formes bien vivantes de street art qui composent notre panorama urbain contemporain et qui, à ce titre, auraient été bienvenues dans un ouvrage qui ne manque pourtant pas d’ouverture sur les productions artistiques récentes comme en témoigne, entre autres, la présence d’extraits de critiques de la pièce Blasted de Sarah Kane (1995) et du film Black Swan de Darren Aronofsky (2010). Une suite à l’ouvrage pourrait donc être imaginée dans cette perspective.

5L’ouvrage de N. Roulon est constitué de trois parties (« Glossaire », « Traduction » et « Choix d’extraits de textes ») qui forment un ensemble équilibré, les deux dernières parties offrant, au moyen d’exemples de dimensions variables, des illustrations contextuelles riches de nombreux termes répertoriés dans le glossaire. Si thème comme version ont droit de cité tout au long de la partie « Traduction » — ce qui en fait un outil utilisable aussi bien par les traducteurs anglophones que par les francophones —, on peut regretter en revanche qu’il n’en soit pas de même dans la dernière partie où seuls des extraits d’articles ou d’ouvrages anglo‑saxons spécialisés sont proposés. Étudiants comme professionnels auraient apprécié de se confronter aux deux versants de la pratique traductive. En outre, la provenance des courts textes qui composent la partie « Traduction » n’est pas clairement indiquée, contrairement à la dernière partie où les sources font, pour chaque extrait, l’objet d’une mention précise, se retrouvant par ailleurs regroupées en bibliographie avant les autres ouvrages de référence. Les variations stylistiques parfois notables qui existent habituellement entre les divers journaux et revues utilisés — élément culturel important — auraient ainsi pu être appréhendées par les lecteurs, tout comme elles auraient pu faire l’objet, çà et là, de mises au point concises. Un certain flou règne donc dans ce domaine, accentué par l’absence d’avant‑propos ou de paragraphes introductifs qui auraient pu constituer des outils de guidage référentiel et méthodologique intéressants.

6Indépendamment de ces quelques réserves, l’ouvrage présente de très nombreux intérêts à la fois lexicaux, culturels et traductologiques. Les entrées lexicales qui composent le glossaire sont choisies avec discernement, et permettent des définitions et des éclairages littéraires et civilisationnels très bienvenus. Le théâtre — de la Renaissance à l’époque contemporaine — et, dans une moindre mesure, le cinéma, sont les deux domaines dans lesquels ces éclairages sont les plus nombreux et les plus détaillés (telle la traduction des termes masque, comedy of humours, assortie de définitions très précises). La danse est également à l’honneur dans ce glossaire, tout comme elle l’est dans les parties comportant des extraits traduits ou à traduire : la note de bas de page précisant l’adoption par la langue anglaise des termes français élaborés à partir de la création de l’Académie Royale de danse sous Louis XIV ainsi que l’énumération de quelques noms de pas qui donnent une illustration éloquente de ces reports quasi systématiques seront à coup sûr fort utiles à un traducteur non initié. Une ouverture sur la sphère contemporaine et sur certaines spécificités lexicales forgées par différents chorégraphes aurait pu venir enrichir cette partie, même s’il est vrai que, d’une part, le vocabulaire de la danse classique fournit en grande partie les assises terminologiques de la danse contemporaine et que, d’autre part, le contexte foisonnant de la création contemporaine aurait pu rendre le choix des termes particulièrement délicat. De même, une liste plus complète des différents types de danse qu’embrassent les hyperonymes dance et dancing aurait pu trouver place dans cette rubrique : si ballet, tap dance, folk dancing, morris dancing et belly dancing composent déjà un inventaire conséquent (qui aurait pu être agrémenté, pour morris dancing, d’un petit éclairage historique), sont exclues d’autres formes de danse largement représentées de nos jours dans les arts du spectacle, du néo‑classique au hip hop en passant par le modern jazz.

7Sur un plan plus spécifiquement traductologique, l’ouvrage possède notamment le grand mérite d’offrir un panorama des spécificités rédactionnelles qui se font jour dans chacune des deux langues, à registre équivalent, sous la plume des critiques et des historiens de l’art. La traduction n’y est jamais envisagée comme un simple « phénomène de langues en contact » (telle l’approche rejetée par Fortunato Israël, entre autres5), mais comme une attention constante portée à des faits de discours et à des configurations textuelles particulières. Même si quelques commentaires traductologiques auraient permis de détailler ce cheminement stylistique d’une langue à l’autre, les morceaux choisis pour illustrer cette recherche d’équivalents stylistiques qui doit animer le traducteur sont variés et pertinents. On ne peut également que louer la qualité des traductions proposées, ce qui, pour ceux qui ont déjà eu l’occasion de se colleter avec ce type de textes et leurs aspérités, sera très appréciable.

8C’est là une pierre ajoutée à l’édifice déjà impressionnant que constituent, par leur apport substantiel à la communauté des chercheurs et des curieux, les ouvrages parus aux éditions montpelliéraines de L’Entretemps, dont une orientation majeure est le dialogue des arts vivants sous toutes leurs formes. À l’heure où, plus que jamais, les entre‑deux et les hybridités en tous genres se multiplient dans le domaine artistique et dans les attentes du public, on ne peut qu’espérer que les initiatives de ce genre feront florès.


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9Ce petit ouvrage servira très utilement la cause de tous ceux, traducteurs apprentis ou déjà confirmés mais toujours en devenir d’un texte à l’autre, qui, à l’instar de ce traducteur maçon imaginé par Carlos Batista dans son Bréviaire du traducteur, conçoivent l’activité traduisante comme l’art de « refaire les fondations, mais sans démolir la maison6 ». Un credo à cultiver, quel que soit le domaine concerné.