Acta fabula
ISSN 2115-8037

2012
Janvier 2012 (volume 13, numéro 1)
Virginie Tellier

Le romantisme français : un absolu bien relatif

Serge Zenkine, L’Expérience du relatif. Le romantisme français et l’idée de culture, Paris : Éditions Classiques Garnier, coll. « Études romantiques et dix-neuviémistes », 2011, 244 p. EAN 9782812402562.

1L’Expérience du relatif est la version française de la thèse de Serge Zenkine, publiée à Moscou en 20021. L’auteur s’y fixe pour but de faire l’« archéologie » de l’idée de culture au sein du romantisme français, ce dernier étant envisagé selon deux perspectives différentes : il correspond, d’une part, à un mouvement littéraire de la première moitié du xixe siècle et, d’autre part, à un tournant dans l’histoire de la littérature, qui la fait entrer dans l’ère de la modernité, c’est‑à‑dire « le début de l’époque que nous, gens des xxe-xxie siècles, reconnaissons comme notre présent » (p. 232). Si l’étude du romantisme au sens restreint est privilégiée dans le cadre de l’ouvrage, c’est précisément parce que le relativisme culturel, alors naissant, s’y laisse observer avec la plus grande netteté. Néanmoins, d’une part, le phénomène étudié ne concerne pas exclusivement le mouvement romantique au sens étroit : Serge Zenkine propose des analyses d’?uvres de la fin du siècle, de Flaubert et de Mallarmé notamment, et laisse entendre que la réflexion pourrait être prolongée tout au long des xxe et xxie siècles. D’autre part, la notion de relativisme culturel ne permet pas de saisir tous les enjeux du romantisme français, ni même nécessairement de rendre compte de ses productions majeures :

[…] « l’idée de culture » est en conflit avec le canon littéraire du xixe siècle tel qu’il existe aujourd’hui. Située perpendiculairement à lui, à sa périphérie ou dans son sous‑sol, elle affecte surtout les « petits romantiques » et ne fait son apparition sur l’avant‑scène littéraire que dans certains cas rares et symptomatiques : une sorte d’inconscient culturel. (p. 233)

2Le relativisme culturel qu’identifie S. Zenkine est donc un phénomène à la fois mineur et essentiel du romantisme français. Souterrain, il ne se laisse pas percevoir dans les ?uvres les plus visibles de ce mouvement ; fondamental, il permet la mise au jour des bouleversements que le romantisme opère, de manière irréversible, au sein de la représentation traditionnelle de la culture. L’ouvrage semble ainsi prendre la succession d’une étude capitale de Marc‑Mathieu Münch, Le Pluriel du Beau, dans laquelle l’auteur cherchait à analyser la « genèse du relativisme esthétique en littérature », et dont la méthode, ainsi que l’objet, paraissent fort proches de ceux de S. Zenkine. M.‑M. Münch y affirmait notamment que « celui qui veut comprendre la maturation d’une idée nouvelle doit tenir compte, comme un archéologue, de tous les niveaux enfouis, qui n’apparaissent pas d’abord, mais qu’il faut mettre au jour »2. Les deux chercheurs se sont donc ainsi faits les archéologues du relativisme, l’un de l’idée de beau, l’autre de l’idée de culture.

3Dans leur quête, ils s’inscrivent tous deux en faux contre une notion qu’on rattache, presque systématiquement, au mot même de « romantisme » : celle d’Absolu. Tout un pan de la recherche littéraire et philosophique s’est en effet attaché à démontrer que la révolution romantique tient précisément au lien indéfectible qui se noue alors entre l’idée d’absolu et celle de littérature. On peut citer, parmi une foule d’autres travaux, ceux de Philippe Lacoue‑Labarthe et Jean‑Luc Nancy3, de Jean‑Marie Schaeffer4, ou encore la synthèse récente d’André Stanguennec5. On objectera avec raison que les trois études citées portent sur le romantisme allemand et, pour deux d’entre elles, sur l’idée de « littérature », non celle de « culture ». Les déplacements géographique et conceptuel suffisent‑ils à concilier la théorie d’un « absolu littéraire allemand » et celle d’un « relativisme culturel français » ? Certes non. L’objet du présent compte-rendu pourrait donc être de chercher, dans la réflexion proposée par S. Zenkine, des points d’articulation permettant de dépasser l’antithèse brutale entre deux regards portés sur le même événement historique, celui qui, autour de 1800, ouvre la voie de la modernité. Précisons d’emblée qu’il nous sera difficile ici de rendre justice à toutes les nuances, à toutes les études de détail d’un ouvrage qui évite avec élégance, sans renoncer à la fermeté de sa thèse, les écueils du dogmatisme.

4L’une des dimensions essentielles de l’essai de S. Zenkine, et qui en fait un ouvrage comparatiste, est l’analyse de l’émergence, dans la littérature, de la notion ethnologique de « culture » au sens moderne du terme. L’auteur revient en introduction sur le passage historiquement daté « d’une relativité culturelle de fait (culture‑en‑soi) à un relativisme culturel de droit (culture‑pour‑soi) » (p. 11). La fin du xviiie siècle et le début du xixe siècle voient ainsi l’émergence de la « parole de l’autre »6, que cet « autre » soit géographique, historique ou social.

5L’Expérience du relatif propose à son lecteur de revivre quelques uns des voyages littéraires qui rendent manifestes, chez les romantiques, la « non-intégration de l’Autre » (p. 44), accepté dans son altérité même, sans qu’il soit nécessaire de chercher à le réduire à du familier ou d’en exagérer l’exotisme à des fins comiques, comme c’était le cas antérieurement.

La littérature romantique, elle, met en valeur une figure complexe de l’étranger, défini par ses traits non seulement négatifs mais aussi positifs ; un caractère différentiel, se distinguant de « nous » (des Français) comme des autres nations. (p. 45)

6La prise en compte de l’altérité de l’étranger ne va pas de soi. La politesse et la civilité sont des comportements éminemment culturels, que le sujet tend à percevoir comme naturels, se trouvant alors dans l’impossibilité de suspendre son jugement face à des étrangers qui ignorent tout des codes mondains en vigueur au sein de sa propre nation. S. Zenkine a choisi les deux figures de madame de Staël et du marquis de Custine pour illustrer l’inconfort du voyageur romantique qui,

d’une part, regrette avec nostalgie les manières faciles et aisées de sa patrie, et d’autre part, s’efforce de discerner la possibilité d’une autre politesse « non-polie », dans l’altérité culturelle du pays qu’il visite. (p. 87)

7Plus loin, c’est l’invention du tourisme par Stendhal7, « son expérience de la culture comme objet de visite, comme une curiosité ou un monument » (p. 131), qui retiennent l’attention de l’auteur. Celui‑ci montre qu’au‑delà des lieux de culture, ce sont bien « les passions et les m?urs des hommes qui attirent le voyageur stendhalien par‑dessus tout » (p. 167).

8L’intérêt pour autrui, qui trouve également à s’incarner dans le rapport qu’entretiennent les hommes de lettres romantiques à la traduction8, rend donc manifeste une première limite de l’absolu romantique. Néanmoins, dès l’introduction, S. Zenkine note que le relativisme culturel est limité par la sphère politique et idéologique, qui tend toujours à se présenter précisément comme un absolu. Il ne s’agit donc pas de nier la nature profondément idéologique du discours politique et historique inauguré par le romantisme, mais de rappeler que, si la notion d’« esprit des peuples » conduit à élaborer un système de valeurs qui hiérarchise les peuples et peut conduire à légitimer l’asservissement de certains par d’autres, elle est aussi à l’origine d’un intérêt réel et bienveillant porté à la diversité culturelle9.

9La politique, chez les romantiques, a partie liée avec la religion, qui occupe une place centrale dans la réflexion sur la culture, comme le rappelle André Stanguennec :

[…] c’est la mythologie et en conséquence la religion qui occupent la première place dans l’analyse des formes communautaires de la culture : « la religion, écrit Fr. Schlegel, n’est pas simplement une partie de la culture, un segment de l’humanité, mais le centre de toutes choses, ce qui est sans restriction au premier et au plus haut rang, l’absolument originel ». Ce sont donc manifestement la mythologie et la religion qui donneront leur sens à l’éducation, à la philosophie politique et à la philosophie de l’histoire […]10.

10Le projet de S. Zenkine n’est pas de dénouer le lien fondamental entre religion et absolu, mais de présenter quelques tentatives propres au romantisme français pour concilier religion et relativisme culturel. Les croyances religieuses cessent en effet d’être pensées comme substances, pour devenir des formes :

Le monothéisme judéo-chrétien reconnaît la seule « bonne » tradition, tout le reste relevant de l’impiété : Dieu est un, mais les démons sont légion. Georges Gusdorf et Michel de Certeau ont montré comment cette conception moniste commence à s’étriquer dès le xviiie siècle : « religion peut désormais se dire au pluriel », on peut dorénavant parler des religions, pas de la religion, la relativité culturelle pénètre dans la notion même de religion. Le néo-classicisme de la fin du xviiie siècle et du début du xixe siècle a inauguré, avec le poème de Schiller « Les dieux de la Grèce », la tradition d’une nostalgie poétique du polythéisme, que Nietzsche devait généraliser : « N’est-ce pas là précisément la divinité, qu’il y ait des dieux, qu’il n’y ait pas un Dieu ? »11. (p. 27)

11L’essai de S. Zenkine développe ainsi quelques exemples de ce relativisme, qui conduit, non pas à l’abandon de la religion en elle‑même, mais bien à une reconsidération du religieux. Une intéressante étude porte ainsi sur la notion de politesse, appliquée non plus au peuple étranger, mais au commerce avec l’au‑delà. Nous nous concentrerons ici sur deux autres analyses, qui révèlent des stratégies nettement différenciées pour concilier la relativité des religions avec l’absolu du religieux. Le premier de ces exemples est la religion saint-simonienne12, dont le paradoxe consiste en ce qu’elle refuse les « attributs essentiels d’une religion » (p. 53) et semble ainsi se priver de sacré. La réflexion d’Enfantin sur la religion le conduit à « une nouvelle conception, une nouvelle mythologie du signe […] : par un miracle, ce n’est pas Dieu qui fait signe aux hommes, mais c’est le nouveau qui fait signe à l’ancien. Il s’agit d’un signe horizontal et non plus vertical ; d’un signe immanent, sans signification transcendante ni divine, ou le signifiant et le signifié appartiennent tous les deux à l’ordre humain. » (p. 66) Certains récits portent malgré tout la trace d’une expérience du sacré, « sous la forme d’un sentiment de fascination, de dissolution de la personnalité et d’une interpénétration du rêve et de la réalité, qui ne va pas sans évoquer la continuité substantielle propre au sacré » (p. 77). Religion culturelle, nécessairement paradoxale, le saint-simonisme tente de « reconstituer la religion discréditée par des moyens artificiels et profanes » (p. 73), opposant le Culte — inaccessible — à la Culture, seule accessible dans un monde désacralisé.

12À l’opposé, pourrait-on dire, se trouve la tentative désespérée de Gérard de Nerval, analysée dans l’un des plus beaux passages du livre de S. Zenkine. Ce n’est pas l’absence du sacré qui caractérise le mysticisme de Nerval, c’est sa surabondance. Et S. Zenkine de rappeler en introduction cette anecdote révélatrice : « Avec certains de ses contemporains, Nerval rêvait à un retour du polythéisme et, répliquant à quelqu’un qui lui reprochait de “n’avoir pas de religion”, disait fièrement qu’il en avait “dix‑sept” » (p. 171). Le Voyage en Orient est l’un des rares ouvrages romantiques dans lequel l’orientalisme est exempt de toute visée colonialiste et ouvert à la quête d’une synthèse providentielle des religions. Après quelques remarques sur Sylvie, l’auteur de l’essai analyse dans ce sens L’Histoire de la Reine du Matin et de Soliman, prince des génies, qui mêle réflexions religieuse et politique, puisque la mise en cause du Dieu unique y est associée à la peinture d’une utopie de type socialiste. Mais l’acceptation du relativisme des religions ne va pas sans souffrance, dans la pensée d’un Nerval qui ne renonce pas à l’absolu :

Les deux attitudes nervaliennes […], la régression et la révolte, sont en dernier ressort des tentatives plus ou moins inconscientes de surmonter la pluralité culturelle, de la ramener à un élément central et plein, que ce soit la paix idyllique d’Éden ou le démonisme tragique de Caïn. Les deux tentatives se soldent par un échec, car, tissée de non-être, la culture ne se laisse pas surmonter : elle sape elle-même les fondements traditionnels du monde, comme le ciron minait peu à peu le trône de Soliman. (p. 181)

13C’est, dans les ?uvres des années 1850, comme Angélique, Les Nuits d’octobre, Octavie et, bien sûr, Aurélia, le motif de l’« errance » qui se fait stratégie culturelle, débouchant progressivement sur la menace, et l’accomplissement, de la mort. S. Zenkine propose alors de relire le mysticisme nervalien et de réinterpréter sa fin, non pas en tentant de faire le répertoire de ses sources ésotériques13, mais en insistant sur le fait que cette culture immense était, pour un homme étranger à tout groupe, toute secte, toute confession, un « savoir volé, une sorte de feu de Prométhée dérobé de l’Olympe » (p. 189) :

L’épreuve de la culture aboutit à l’épreuve du néant. Sensible au non-être qui est au fond de la culture, Nerval a su s’échapper du cercle vicieux du savoir hermétique, qui cherche une vérité absolue des contenus mais en réalité s’enferme dans sa synonymie infinie ; ce savoir, il a su le vivifier, en le dotant d’un sens personnel et historique. (p. 191)

14L’insurmontable paradoxe d’un homme qui, confessant dix‑sept religions, n’est pas parvenu à en avouer une, conduit à un « polythéisme esthétique », débouché naturel du relativisme en littérature. Dans son premier chapitre, S. Zenkine développe deux oppositions révélatrices du changement de paradigme esthétique qui s’opère au début du xixe siècle. La première, entre destruction et création, rejoue l’opposition mythique entre Hercule, le destructeur de monstres, et Prométhée, l’inventeur de techniques. Les romantiques, restaurant les ruines, collectionnant les livres anciens, amassant des vieilleries dans des musées, choisissent résolument le second. « Ce sont les actes créateurs, opposés aux exploits guerriers, qui seront dorénavant dignes d’être mémorisés. » (p. 33) La seconde opposition, entre texte et artéfact, rend manifeste la « dérive » que subit la littérature du xixe siècle, dans sa représentation d’elle‑même comme dans sa pratique : « son ?uvre est conçue de plus en plus comme un artéfact, non comme un texte » (p. 37). S. Zenkine revient alors sur la cathédrale-livre décrite dans Notre‑Dame de Paris14, mais aussi sur les figures de bibliophiles et autres bibliomanes qui hantent les récits d’un écrivain comme Charles Nodier :

Ayant abandonné à bon escient la recherche de l’absolu et la création du sur-livre condensant toutes les variantes possibles de la culture, le personnage de Nodier [il s’agit de Théodore] se passionne pour la collection des multiples ouvrages réels, s’intéressant moins au contenu d’un texte qu’au caractère unique de l’exemplaire donné. (p. 38)

15La culture nécessite qu’il y ait des objets à collectionner, mais aussi des individus capables de les discerner et de les apprécier. L’art n’est plus le seul fait de l’artiste, il nécessite des amateurs éclairés,  capables d’échapper à la foule vulgaire des consommateurs de produits culturels, que la révolution économique et sociale du xixe siècle tend à créer.

16Pour illustrer ce propos général, S. Zenkine propose une analyse particulièrement rigoureuse de l’évolution du sens du terme « classique » à l’époque romantique. L’idée presque mythique de l’?uvre classique, seule digne d’imitation, tend à être supplantée par un autre phénomène de duplication, celui de la « mode », liée étymologiquement au « moderne ». Le romantique ne signe pas la fin du classique : il le relativise. Le classicisme émerge comme notion historique, et ses critères esthétiques sont rapportés à une époque donnée, valables pour cette époque précise, non plus pour toutes.

Celle-ci [la notion de « classique »] a partout survécu comme institution : dans le système scolaire, dans la pratique éditoriale, dans l’activité des académies, etc., mais cette institution n’a plus d’autorité absolue et cesse progressivement de servir de véhicule privilégié du pouvoir idéologique. À l’époque post-romantique, la littérature classique comme instance de pouvoir est remplacée de plus en plus par la culture de masse, dont l’apparition a été liée à la figure de l’auteur à la mode ; […]. (p. 142)

17Une étude parallèle du terme de « rhétorique » rend manifeste également la révolution romantique : « la crise de la rhétorique s’est manifestée par l’apparition, à l’époque romantique, d’une nouvelle notion, qui est, somme toute, la nôtre, de culture. En un certain sens, sa pluralité a remplacé l’unité du style classique. » (p. 145) Quelques poèmes de Victor Hugo15 et Théophile Gautier16 servent à illustrer ce changement de sens, et permettent de revenir sur l’opposition — et le rapprochement — des activités créatrice et destructrice.

18Le dernier chapitre de cette riche étude en reprend l’ensemble des thématiques, tout en les étendant à des auteurs postérieurs au mouvement romantique à proprement parler, Flaubert et Mallarmé, chez qui la culture se fait musée. L’étude de Bouvard et Pécuchet est centrée sur la notion de « vulgarisation de la science » (p. 198). À la science enseignée, sacralisée, s’oppose en effet une science vulgarisée, qui présente « tous les attraits de liberté et de facilité : elle se transmet en une sorte de jeu, elle n’implique pas de contrôle » (p. 201), mais elle se trouve alors socialement dévalorisée, en raison de son allègement, mais aussi de son irresponsabilité, puisqu’elle est destinée à un public maintenu à l’écart de la sphère du pouvoir : « privée d’autorité scolaire, devenue une partie d’une culture relative et accessible à tous, la science s’expose sans défense à la merci d’une vulgarisation incontrôlable » (p. 202). Cette problématique est illustrée dans le roman de Flaubert par une analyse des livres imprimés et des manuscrits qui y figurent. Se trouve ainsi interrogée l’intense activité de copie à laquelle se livrent les deux héros, véritables « chiffonniers de la culture ». Chez Mallarmé, c’est l’« idée d’une mémoire empreinte dans les objets et réveillée par eux » qui retient l’attention du critique. Les procédés de négation entraînent l’« aboli bibelot d’inanité sonore » sur la voie de la déréalisation, où choses et êtres, réunis en un « musée » décadent, signalent en définitive la déréalisation du sujet lyrique lui-même : « en supprimant, par un suicide ou un acte créateur, sa personne empirique, on peut espérer laisser après soi un Livre, sinon un monde réel où tout serait calculé et doté de sens comme dans un livre, où rien ne serait laissé au hasard » (p. 223). S. Zenkine souligne ainsi que « “la disparition élocutoire du poète”, son suicide spectaculaire, le côté dramatique et mis en scène de la “mort de l’auteur” dont on devait parler plus tard, rejoint la reconnaissance d’un relativisme universel, où le coup de dés, réalisé dans le structure d’un poème, sert de remède homéopathique et d’expiation sacrificielle de la chute des choses, qui ont perdu leur lien avec l’absolu » (p. 229).

19C’est peut-être en définitive du côté du langage qu’il faut chercher l’unité profonde du mouvement romantique. L’Absolu littéraire repose sur le primat décisif accordé au langage dans la quête esthétique. Le relativisme étudié par Serge Zenkine interroge à nouveaux frais ce primat, et les contradictions qui lui sont inhérentes. La double question herméneutique, qui considère le signe comme motivé, et sémiotique, qui postule au contraire son arbitraire, est bien en définitive une interrogation sur le langage, chargé d’exprimer, dans la pluralité des systèmes sémantiques, une indéfectible aspiration à l’absolu.