Acta fabula
ISSN 2115-8037

2004
Automne 2004 (volume 5, numéro 3)
P.-A. Miniconi

Le superlatif de l’interne

SIGILA (revue transdisciplinaire franco-portugaise sur le secret), N° 12, Automne-hiver 2003 : L'Intime, GRIS-France, 218 p.ISBN : 2-912940-11-7

1Un détour par l’étymologie permet à l’auteur du texte introductif de ce numéro de Sigila, consacré à « l’intime », de voir dans ce dernier « le superlatif de l’interne ». L’origine latine du mot renvoie bien, en effet, au sens de « le plus profond, le plus reculé », et nous propose ainsi une définition qui, tout en nous rapprochant du secret, semble justifier la diversité des contributions traitant ici de cette réalité de l’intime. L’une de ces contributions, consacrée à l’intime chez les migrants, nous montre en quoi celui-ci éclaire les comportements que ce statut amène le sujet à adopter dans sa relation, tant avec son pays d’accueil qu’avec sa communauté d’origine, et comment il apparaît comme une conscience qui ne se voile que dans cette relation avec l’autre. A l’inverse, le « sentiment toujours vacillant de sa propre existence », et de celle des êtres aimés, que connaît Mireille Havet, poète et personnalité du Paris littéraire et mondain du premier tiers du XXe siècle, dont le premier tome du journal vient d’être publié, semble là pour témoigner du caractère secret, insaisissable de ce même intime.

2C’est à une telle  ambivalence de l’intime que s’intéresse, d’une certaine manière, Pierre Vidal-Naquet dans sa longue étude consacrée à ce qu’il appelle « la Méthode de Paul Valéry ». Une méthode qui, à travers la pureté du langage poétique, s’attacherait à rejoindre celle de ce moi impersonnel, ignorant toute détermination, ce moi absolu qui se confond avec « la durée absolue de toutes choses », et se perd dans le néant. Mais pour Pierre Vidal-Naquet, à cette tentation du néant s’opposerait, toutefois, le « serpent de la Connaissance » qui ferait vivre ces catégorisations, ces déterminations qui structurent et fondent le sensible. La connaissance, on la retrouve dans le processus réflexif que nous font découvrir d’autres contributions.

3Une étude des larmes, dans l’œuvre du jésuite portugais Antonio Vieira (1608-1697), les décrit ainsi comme écran permettant au regard, devenu introspectif, d’explorer les profondeurs de l’être, où il découvre le péché. Comme essaye de le montrer une autre étude, c’est une démarche assez proche qui rendrait compte de la création romanesque chez Michel del Castillo. Celle-ci constituerait une recherche du plus intime, une « tentative d’une re-construction » du soi, détruit, de l’enfance. Mais ces diverses approches nous disent-elles ce qui, au-delà de ses modalités, fait l’unité, l’essence de l’intime ? Une contribution consacrée à trois philosophes de l’école existentielle offre au lecteur ce qui pourrait être une réponse. L’un de ces philosophes, Jules Lequier, définit, en effet, l’intime et son fonctionnement comme expression de la conscience en tant qu’« acte créateur » ; ce que Louis Lavelle exprime, pour sa part, en affirmant que l’intime, l’être est là où il est cause, lieu de la « fécondité subjective ». Cette conscience qui se réalise dans l’activité, le fait aussi, comme on le verra dans la même contribution,  par la rencontre, l’échange avec la conscience de l’autre. L’échange avec l’autre, l’illustre, plus longuement, une réflexion sur le toucher, la caresse de l’œuvre plastique, gestes ou tentations si répandus chez le visiteur de musée, qui attribueraient à cette œuvre le caractère de substitut d’un être absent, d’une intimité avec lesquels on veut communiquer. Nicolas Berdiaev, également cité ici, en définissant son être intime par ce « je suis acte avant tout », semble confirmer, au terme de ce parcours, que l’intime exploré par les contributions rassemblées dans ce numéro se révèle comme une réalité mouvante qui, entre un indéterminé où elle ne peut que se perdre et une opacité qui exclut tout regard, est celle de la vie intérieure qui fait le sujet dans la diversité de sa relation à soi et à l’autre.