Acta fabula
ISSN 2115-8037

2008
Novembre 2008 (volume 9, numéro 10)
Audrey Gilles-Chikhaoui

Copia et varietas : pour une approche de la Renaissance par sa postérité

La Postérité de la Renaissance, sous la direction de Fiona McIntosh-Varjabédian, Publication de l'Université de Lille 3, 2007, Collection UL3, "Travaux et recherches". EAN : 9782844670960

1Recueil des actes d'un colloque qui s'est tenu à Lille 3 en février 2004, La Postérité de la Renaissance rend hommage à la Renaissance en répondant à deux notions importantes de cette époque, la copia et la varietas. En effet, l'ouvrage, marqué par l'abondance des textes (vingt-trois articles) et la diversité des horizons de recherche (littérature, politique, philosophie, art, histoire...) comme des espaces culturels associés à la Renaissance (France, Italie, Angleterre), est d'une grande richesse culturelle. C'est une compilation de divers savoirs dont la mise en perspective historique nécessitée par l'étude de la postérité permet un questionnement infini sur la notion même de Renaissance. Période historique, mythe, mouvement culturel et littéraire, la Renaissance est observée, analysée grâce à ses échos dans d'autres siècles.

2Le recueil est structuré en six chapitres : Renaissance et politique, La Renaissance et les arts, Mythes et héros de la Renaissance, Modernité de la Renaissance et pensée philosophique, Postérité humaniste et postérité poétique, Réécritures : un éloge grimaçant de la Renaissance ?

3Christophe Imbert propose d'analyser, dans "La Renaissance : un programme pour le XIXè", la renaissance comme modèle pour les différentes révolutions du XIXème siècle. Ce renouveau du XIXè est abordé selon deux sens du terme Renaissance, le premier signifiant "nouvelle naissance" et rejoignant le même parcours que celui effectué par les humanistes mais face à un nouvel objet, le second se présentant comme une "nouvelle Renaissance" puisque sont reprises les catégories de la civilisation des XVè et XVIè siècles.

4Dans "Machiavel et la naissance de l'Etat : le discours politique au seuil du Risorgimento italien", Sabine Greiner met à jour la réalité du mythe de Machiavel pour le Risogimento en revenant sur la réception de l'oeuvre de Machiavel et en envisageant les perspectives théoriques et pratiques qui découlent de cette influence pour le Risorgimento.

5L'article de Fiona MacIntosh-Varjabédian, "La Renaissance : ruptures et continuations", se penche sur la difficulté à définir la Renaissance, d'où le titre de l'article, à partir de l'oeuvre de Michelet. L'auteur de l'article met en évidence les contradictions émanant  de la vision de la Renaissance par Michelet qui place la Renaissance au commencement de la modernité, permettant ainsi l'avènement de la Révolution.

6L'article de Joëlle Prugnaud, "Anathèmes esthétiques et modèles architecturales", sonne comme un hapax dans ce recueil, puisque contrairement aux autres articles, celui-ci envisage une postérité négative de la Renaissance. L'auteur s'est attaché à mettre en perspective la postérité de la Renaissance et celle du Moyen-Age chez les admirateurs de cette période au XIXè en littérature et dans les arts. L'article montre un rejet violent de la Renaissance, rejet qui est guidé par une double idéologie, l'idéologie politique allant de pair avec une idéologie esthétique.

7"La grande manière : une idée pré-contemporaine de la renaissance artistique" de Christophe Henry étudie l'évolution d'"un art de faire et de penser la peinture" au XVIè siècle : la grande manière. Ce courant esthétique reconnu par l'époque classique comme déterminant dans la pratique artistique est retracé par l'auteur qui en analyse l'idéologie, la querelle au XVIIè et la postérité dans les siècles suivants.

8Après avoir exposé comment la peinture romantique a puisé dans la Renaissance italienne à plusieurs niveaux (la couleur, l'éveil de l'individu, la période trouble et incertaine), Patrick Absalon, dans "Etre "modernes dans l'archaïsme" : la Renaissance italienne chez quelques peintres français du XIXè siècle en quête d'idéal", s'attache à deux peintres français, Delacroix et Moreau, en évoquant leurs liens avec la peinture de la Renaissance italienne et en particulier avec Le Titien.

9"Le retour du modèle "renaissant" dans l'opéra et les relations musico-littéraires du début du XXè de Timothée Picard analyse les différents modes de représentation de la Renaissance dans l'opéra allemand du XXè siècle, en insistant en particulier sur la mise en scène de rivalités culturelles telles que Renaissance / Réforme, Nord / Sud et surtout Allemagne/Italie qui permettent de travailler cette postérité de la Renaissance sur le mode d'un "fantasme d'origine" de l'opéra.

10Yvonne Bellenger, avec son article "Nostradamus au fil du temps" nous propose un voyage du XVIIè au XXè siècle, de Mazarin à la venue de Pape à Lyon en 1986, en s'attardant sur les manipulations exégétiques des écrits du poète-astrologue pendant la Révolution ou encore sur la fascination morbide qu'a pu exercer son tombeau. L'auteur retrace ainsi une postérité de Nostradamus qui oscille entre admiration, scepticisme et rejet.

11En s'attachant à la notoriété de deux philosophes italiens de la renaissance, Agostino Nifo et Pietro Pomponazzi, Laurence Boulègue dans son article intitulé "Autour de la controverse sur l'immortalité de l'âme (1516-1518) : la difficile réception de l'aristotélisme du XVIè italien" s'inscrit dans une double perspective en mettant en abîme la notion de postérité, puisqu'elle s'intéresse à la fois à la réception d'Aristote à la Renaissance et à la réception de ces philosophes italiens qui se sont intéressés au philosophe antique. Cette réflexion permet à l'auteur de poser une question très intéressante, celle de la définition de la philosophie de la Renaissance.

12L'article de Chantal Liaroutzos, "Potier et paysan : Bernard Palissy et Olivier de Serres dans l'historiographie du XIXè siècle" se penche sur les réceptions différentes de traités agricoles du XVIè à travers les biographies de leurs auteurs écrites au XIXè. L'auteur met en évidence des schémas littéraires différents selon qu'il s'agit de retracer la vie et l'oeuvre de Palissy ou de Serres, tout en analysant les modulations subtiles du discours biographique tout au long du XIXè siècle, pour aboutir à une historiographie "positiviste", "méthodique" où il faut à la fois dire le vrai et donner du sens.

13Alexander Roose, dans la lignée de l'article de Laurence Boulègue, interroge, dans son article "Un premier printemps, presque anéanti sous la neige" Karl Jaspers, Hannah Harendt et Hans Blumenberg sur la notion de la Renaissance", le terme de Renaissance en philosophie, en étudiant l'emploi de cette notion chez trois "professeurs de philosophie" : Karl Jaspers, qui s'est intéressé à la période par le biais de Léonard de Vinci, Hannah Harendt qui ne donne pas pas à cette période un caractère autonome et Hans Blumenberg qui "récuse le terme et les ambitions de la Renaissance".

14La réflexion d'Alexis Tadié dans son article "Francis Bacon et le genre de l'essai" a pour point de départ la définition que donne William Hozlitt de l'essai, un genre anglais qui aurait pour père Bacon. L'auteur analyse ce qui, dans l'oeuvre de Bacon, a pu ou peut servir de modèle pour définir l'essai. Le choix de Bacon comme figure emblématique de l'essai permet ainsi d'orienter vers une certaine analyse du genre.

15Marjan Krafft-Groot s'intéresse à une réception contemporaine de la Renaissance dans son article intitilé "Grunberg, anti-humaniste moderne ? Une version moderne de l'Eloge de la folie d'Erasme". En effet, elle se penche sur un ouvrage paru en 2001, L'Humanité soit louée, Eloge de la folie, écrit par un jeune auteur néerlandais, Arnon Grunberg. M. Krafft-Groot compare d'abord ces deux éloges, puis situe l'ouvrage néerlandais dans l'histoire de la littérature et des mentalités pour enfin poser la question de l'héritage humaniste chez Grunberg.

16L'article de Michel Baridon, "La Renaissance et la redécouverte du paysage : une mise en perspective", propose une réflexion sur la notion de paysage. La Renaissance redécouvre le paysage, absent au Moyen-Age, en raison du développement des sciences : la géométrie et l'optique, par exemple, favorisent une théorisation de la perspective. La réflexion de M. Baridon ne s'arrête pourtant pas à la Renaissance, puisqu'il part de la notion de paysage définie à la Renaissance pour en observer la postérité dans les siècles suivants en mettant en parallèle les différentes approches du paysage avec les découvertes scientifiques.

17Yves Clavaron choisit trois romanciers anglais du XXè siècle pour son étude sur "Florence et l'héritage de la Renaissance italienne dans le roman anglais du XXè". E.M. Forster, D.H. Lawrence et A. Huxley ont tous les trois écrit des romans qui ont Florence et sa région pour cadre. C'est sur ce point que se fonde le travail d'Yves Clavaron qui étudie le motif de la Renaissance florentine chez ces auteurs par une triple approche de la Renaissance, métaphorique, esthétique et politique.

18Dans son article "Le Torquato Tasso de Goethe, Werther en Italie ?", Monique Dubar nous propose de découvrir le "Goethe italien" pour lequel la rencontre avec l'Italie fut une expérience poétique forte. L'auteur analyse ainsi les modalités de "transfert" d'un personnage de la Renaissance, Le Tasse, chez Goethe, aussi bien chez l'homme que dans son oeuvre, en mettant en perspective le personnage du Tasse avec celui de Werther, confrontant ainsi littérature du nord et littérature du sud.

19A cette étude sur Goethe succède une étude sur le roman de Mme de Stael, Corinne ou l'Italie. Myriam Roman se penche en effet, dans "Renaissance, mélancolie et palimpseste dans Corinne ou l'Italie de Mme de Staël", sur la façon dont est présente la Renaissance dans ce roman qui se veut à la fois roman sentimental et récit de voyage. C'est une Italie terre des arts qui est évoquée par Mme de Stael dans un "roman musée" où la Renaissance italienne est représentée par les beaux-arts et la littérature et analysée également dans les rapports qu'elle entretient avec l'Antiquité.

20L'article qui ouvre ce chapitre est consacré à la réécriture de Roméo et Juliette de Shakespeare par Balzac dans Splendeurs et misères des courtisanes. "Roméo et Juliette à Paris : une réécriture de Balzac" de Veronica Bonnani analyse avec précision les éléments intertextuels présents dans le roman de Balzac afin de mettre en évidence les références littéraires qui guident l'imaginaire et l'écriture balzaciens, mais aussi de "comprendre la valeur de ses personnages", Lucien et Esther. V. Bonnani montre ainsi que cette réécriture donne au roman une duplicité portée par des personnages qui vont de "l'abaissement parodique" à "l'élévation jusqu'au sublime".

21Damien Aubel s'intéresse lui aux liens entre Renaissance et Romantisme dans son article intitulé "L'homme romantique et l'homme de la Renaissance dans les Cenci de Shelley : doubles anachroniques ou faux-jumeaux ?". L'auteur rappelle l'influence de la Renaissance sur le Romantisme en particulier grâce à la notion d'individu. A partir de ce constat, il se propose "d'introduire un peu jeu" dans l'assimilation de l'homme de la Renaissance et de l'homme romantique, grâce à l'étude de la pièce de Shelley et en particulier de ses deux personnages principaux, le comte et Béatrice.

22Les nombreuses allusions à la Renaissance dans le poème de Baudelaire, A une mendiante rousse, donne à Franck Bauer le sujet de son article, "Ronsard, Bellau, Baudelaire et d'autres. L'ode à la mendiante rousse". Il analyse en effet l'héritage renaissant dans ce poème comme une intertextualité polémique qui se fait par le biais de deux interprétants, Tristan L'Hermite et Théodore de Banville. Ainsi mis en abîme, l'héritage poétique de la Renaissance avec lequel joue Baudelaire est, pour Franck Bauer, révélateur d'une opposition de Baudelaire à plusieurs esthétiques : l'élitisme anacréontique, "l'illusionisme lyrique" de Banville et le "concettisme maniériste" de Tristan L'Hermite.

23Dans son article, "Sainte-Beuve et la poésie du XVIè", Michel Brix analyse l'intérêt de Sainte-beuve pour la poésie du XVIè comme une volonté de nourrir les débats littéraires de son époque et d'ouvrir le pas au Romantisme. Pour Sainte-Beuve, la rénovation de la littérature doit passer par une relecture des textes antiques, ce qu'on fait les auteurs de la Renaissance en leur temps. Ceux qui intéressent Sainte-Beuve, ce sont les poètes anacréontiques et M. Brix montre comment le critique rêvait d'un renouveau de la poésie du XIXè grâce à l'anacréontisme, renouveau qui n'eût jamais lieu, espoir demeuré vain à cause du désintérêt, déploré par Sainte-Beuve, des romantiques du Cénacle pour la Renaissance.

24L'article de Martial Martin, "Le Postérité de La Satyre Ménippée : "la fin des empires" et "la renaissance" montre à quel point cet ouvrage de la Renaissance, qui entendait légitimer le roi et la nation pendant la Ligue, a servi de modèle à une littérature patriotique, en France, à partir de la Révolution française et pendant tout le XIXè siècle. L'auteur rappelle ainsi que La Satyre Ménippée est pour le XIXè un "grand modèle de la littérature de combat" et un "mythe de la France restaurée".

25Le dernier article "Agrippa d'Aubigné, personnage de fiction et d'histoire" de Gilles Banderier s'intéresse à Agrippa d'Aubigné comme personnage historique de fictions. En effet, lorsque son oeuvre est redécouverte au XIXè, Agrippa d'Aubigné incarne l'esprit du XVIè et trois oeuvres de fiction au XIXè l'intègrent dans leur personnel dramaturgique ou romanesque : La Mort de Henri III de Louis Vitet (pièce historique composée en 1829), Agrippa d'Aubigné d'Elie Berthet (nouvelle publiée en 1838) et Une journée d'Agrippa d'Aubigné d'Edouard Foussier (drame joué en 1853 et publié en 1854). L'auteur conclut malicieusement son article en évoquant une parution de 2002 narrant les amours du jeune Agrippé d'Aubigné.