Acta fabula
ISSN 2115-8037

2008
Octobre 2008 (volume 9, numéro 9)
Natacha Lafond

Pour une dramaturgie de l’image chez Maeterlinck

Denis Laoureux, Maurice Maeterlinck et la dramaturgie de l’image. Les arts et les lettres dans le symbolisme en Belgique, Éditions Pandora, Cahier 10, 2008, 288 p.

1L’étude est consacrée à la place de la peinture dans l’œuvre du dramaturge, tant dans ses sources que dans la conception dramatique de ses textes pour ouvrir à ses influences dans le domaine scénique. S’il ne s’agit pas de faire l’analyse de la « picturalité de l’écriture », la réflexion sur la conception du symbole est mise en place à partir de l’inspiration picturale et non de l’image littéraire. Le plan du livre est construit ainsi en partie autour des œuvres picturales inspiratrices, regroupées par époques et par écoles : « le musée secret » (1ère partie) s’appuie sur les œuvres personnelles de l’écrivain grâce à des témoignages ; « les illustrateurs d’un songe » (2ème partie) présentent les peintures sur et avec les textes de Maeterlinck ; « un théâtre de l’image » (3ème partie) en montre les conséquences sur les représentations autant que sur la conception générale du théâtre de l’auteur (structure et écriture). L’approche concerne un ensemble et non des textes particuliers, interrogé à la lumière des inflexions particulières de peintres. Cette méthode qui relève aussi de l’histoire de l’art, se fonde sur les réflexions de l’auteur et les manifestations de son époque, engagées dans un renouvellement pictural et dramatique, fondé sur la présence plus imposante de l’image. Le lecteur est invité à visiter le musée d’un auteur, qui représente tant l’entrée dans le symbolisme qu’une personnalité marquée du sceau de l’identité belge. L’étude prend le parti de souligner plutôt les traits importants d’une série de peintures, (écoles en première partie et peintres plus influents en deuxième partie), avec une abondante iconographie, que de présenter des réalisations scéniques. De même, l’accent est porté sur la belgitude de cet auteur par ses influences picturales, plutôt que sur les échanges avec d’autres dramaturges ou d’autres identités rappelées en première partie par exemple (écoles flamandes et allemandes).

2Dans « le musée secret », l’étude remonte aux sources plus anciennes qui ont influencé l’auteur, tout en mettant en place les traits les plus importants qui vont déterminer ses choix dans la peinture symboliste notamment. Le passage à la deuxième partie est aussi chronologique en se fondant sur l’identité belge du symbolisme de Maeterlinck. Grâce à son Cahier Bleu, surtout, D. Laoureux a reconstitué ses affinités picturales tout en montrant l’importance de ses visites dans des lieux de peinture, avec le traditionnel voyage en Italie qui a suivi ses critiques pourtant polémiques à l’encontre de la Renaissance italienne. Elles sont à entendre plutôt comme une « critique des formules académiques » pour « s’insurger contre la peinture d’histoire et à s’entourer d’œuvres issues du mouvement préraphaélite et du symbolisme ». L’étude relève à l’opposé le silence sur les périodes maniéristes et baroques. Par cette récusation, Maeterlinck fait aussi le choix de quelques peintres comme Léonard de Vinci, Bruegel, (et Rembrandt) qui gardent une influence importante. Pour les périodes plus tardives, du XIXe siècle préraphaélite, il évoque surtout les œuvres de Burne-Jones et de Walter Crane, par les travaux en noir et blanc, l’attention accordée aux personnages féminins, aux scènes extérieures, pour « rendre le paysage dans un sens de proximité à la nature », et l’influence des mythologies. Dans cet esprit, l’auteur montre comment le passage du réalisme au symbolisme s’appuie sur une théâtralisation de l’image, par la présence de la mythologie, comme dans la peinture de Moreau. L’image devient une scène, où chaque personne trouve une place précisée. Nature, mythologie, féminité et précision de la toile participent aux sources de l’imaginaire théâtral de Maeterlinck. Même si le travail de la couleur est relevé en outre dans certaines de ces toiles, c’est surtout à la forme des corps et des éléments dans une composition d’ensemble que s’intéresse cet auteur.

3La deuxième partie est concentrée ainsi sur une période chronologique plus contemporaine pour l’auteur et autour d’une série d’artistes belges avec lesquels des collaborations ou des inspirations plus actives ont pu être fondées : George Minne, Charles Doudelet, Fernand Khnopff, Auguste Donnay, et Léon Spilliaert. Les illustrations d’Odilon Redon pour Goya permettent de faire la transition vers cet univers d’artistes symbolistes belges qui ont illustré, décoré, peint ou inspiré les œuvres de Maeterlinck. Le livre d’art se développe très largement à cette période, et fonde à son tour une transition entre l’univers scénique du dramaturge et l’univers pictural des artistes. Il met en scène l’écriture dans quelques pages de décor (frontispices, couvertures, culs-de-lampe, illustrations internes) qui sont travaillées pour des commandes ou, surtout, par affinités entre amis et dictées par le texte. Il peut suivre la narration du texte, développer des « figurations allégoriques » ou des « interprétations » mais, surtout, il approfondit quelques tendances essentielles pour le théâtre de l’auteur. On peut relever ainsi d’emblée l’influence de la sculpture, par les poses très expressives de George Minne qui vont dans le sens de cette recherche picturale pour la dramaturgie. De même, il faut noter le travail en noir et blanc qui annonce l’esthétique de la suggestion (parties estompées ou ciselées, indétermination des formes, etc.), et de l’expressivité (contrastes très importants autour des lumières, travail du trait, du vide et du plein, de la mise en espace avec des fonds très structurés, etc.) : pour Doudelet par exemple, « la théâtralité de l’image passe par l’épuration des lieux », en transformant « le champ symbolique où le décor, comme structure signifiante, se substitue la simple toile de fond ». Cette dramaturgie de l’image s’appuie enfin sur une nouvelle attention accordée au silence et aux paysages sombres d’un Spilliaert qui interroge la place de ces êtres dans l’univers et dans les profondeurs oniriques du tragique quotidien. Cet art de l’illustration montre comment l’immobilisme semble arrêter chaque scène dans le théâtre maeterlinckien, tandis que la suggestion expressive évoque « l’absence d’épaisseur psychologique des personnages » en valorisant une esthétique portée par le mythe.

4Ces situations maeterlinckiennes du tragique quotidien portées par une représentation onirique fondée sur le statisme, le silence, le dépouillement général et les figures icônes, sont directement issues, selon cette présentation, de l’influence des peintres et plus encore, de cette prédominance de l’image sur la scène. La troisième partie souligne ces orientations théâtrales nées de ces affinités et de ces collaborations. Elle commence par évoquer les choix théoriques de l’auteur à partir de ses écrits sur le théâtre (Les Menus propos), avant d’en venir à des propositions scéniques et de retrouver certains traits de pictorialisme dans l’écriture. Cette nouvelle théâtralité s’inquiète de l’étrangeté des êtres, dévisage les apparences dans des situations d’attente ou de douleur, etc. tandis que le nocturne extérieur renvoie aux ténèbres des intérieurs humains (crise du sujet et du langage). « L’acte pictural évolue vers un retrait de la gestualité au bénéfice de la notion d’arrangement fondé sur la géométrisation de la composition et sur une atmosphère monochrome ». L’étude rappelle par exemple la récurrence des portes dans cette œuvre, qui délimite chaque espace dans une dramaturgie de l’arrangement où l’être est toujours attendu et sondé dans un ensemble.

5Le théâtre de Maeterlinck se situe ainsi entre les figures spectrales de Spilliaert et les premiers travaux en photographie, dans cette « fissure » ouverte entre l’ombre et la lumière, le flou et la précision d’une boule de cristal déployée autour des êtres.